Le monde est à vous
Pierre-Antoine Capton est le fils d’une propriétaire de salon de coiffure et d’un patron d’auto-école. Parti de Trouville avec le bac en poche, ce producteur jongle avec les opérations financières de haute volée grâce à ses amis et argentiers Niel et Pigasse. Pas rassasié par le succès de ses émissions au ton « popote chic » et ses coups éditoriaux (le documentaire sur Macron diffusé au lendemain de son élection, c’est lui), il règne désormais sur un colosse de la production et diffusion des contenus audiovisuels qui pèse 1,6 milliard d’euros : Mediawan. À l’instar de son meilleur ami Vincent Labrune qui a un temps dirigé l’Olympique de Marseille, il préside le club de foot sa région, le Stade Malherbe de Caen. Portrait d’un poids lourd de l’audiovisuel qui est là pour durer.
Formation
Il passe son baccalauréat au lycée André Maurois de Deauville. Via ses cours de théâtre, il entre en contact avec l’agent et producteur Dominique Besnehard, un ancien pensionnaire du lycée. « Un jour, alors que je venais de jouer dans Antigone, je suis allé le voir pour lui dire que je rêvais d’aller à Paris. J’avais 18 ans. Il m’a invité à venir le voir chez Artmedia (une grande agence artistique parisienne ‑ndlr). J’y suis allé et j’ai sonné à sa porte. Il m’a dit : « va au cours Florent et apprends ». Même s’il ne se découvre aucun talent d’acteur, il est décidé à travailler derrière l’objectif.
Parcours professionnel
Il débute d’abord par un premier stage chez AB Productions, alors un robinet de sitcoms et démissions pour la jeunesse, où il découvre les coulisses de la télévision en effectuant des « petits boulots un peu désagréables » (il commence même en tant que coursier). Pour la petite histoire, Capton rachètera la boîte de production en 2017 avec Mediawan. Après s’être fait les dents, le jeune homme débarque à Canal Jimmy, une filiale du groupe Canal+ créée en 1990 : « Nous avions une dizaine de chaînes thématiques. C’était un peu branché, il y avait Edouard Baer, Ariel Wizman, et tout un tas de jeunes talents ». En tant que chargé des programmes, il se fait repérer par Marc-Olivier Fogiel qui l’embauche après un entretien de trente minutes. Il travaillera ainsi deux ans avec l’enfant chéri de la télé, puis s’occupera de la déclinaison de Nulle Part Ailleurs à partir du tournant du siècle.
Peu après la prise de contrôle sur Canal de Jean Marie-Messier en 2000, il est une des victimes du plan social qui dégraisse alors les effectifs de la chaîne cryptée. Sans se laisser abattre, il utilise son chèque de sortie pour lancer à 25 ans sa propre boîte de production dans un parking de Boulogne-Billancourt.
3e œil productions
L’année du lancement de 3e œil productions, il convainc le patron de TPS de lui laisser réaliser le pilote d’une émission culturelle après avoir fait le pied de grue devant l’immeuble de la chaîne. Il investit toutes ces économies dans ce programme, une quotidienne de cinéma, intitulée « Star Mag ». L’émission sera diffusée pendant dix ans sur TPS Star et connaîtra plusieurs présentateurs, dont Emmanuelle Gaume, Estelle Denis, Éric Naulleau ou encore Valérie Amourou.
La consécration du producteur vient avec « C à Vous », un talk-show convivial et détendu programmé à la même heure que le « Grand Journal » de Canal+, la grande-messe médiatique des années 2000. D’abord concurrente, l’émission rivalise avec le vaisseau-amiral de Canal+ et finit par lui passer devant à partir de 2015 avec des moyens beaucoup moins importants. Intellectuels, artistes et politiques se pressent désormais sur le plateau de France 5 où les chroniqueurs dînent en prime-time dans une ambiance bourgeoise-bohème assumée où la complicité et la bienveillance règnent. Comme le résume bien Patrick Cohen, le chroniqueur le plus ancien de l’émission : « On n’invite pas quelqu’un pour se le payer. Sur d’autres chaînes, c’est la politique éditoriale… »
Mediawan
Le producteur, pas rassasié par le succès de ses émissions phares (Zemmour&Naulleau, C à Vous) se lance dans une opération inédite en 2015 avec les deux milliardaires de gauche Mathieu Pigasse et Xavier Niel. C’est le premier qui propose à Capton de présider une SPAC (Special Purpose Acquisition Company), une société sans activité opérationnelle dont les titres sont émis sur un marché boursier en vue d’acquisitions dans un secteur particulier, ici le secteur des médias. La veille de l’introduction en bourse de Mediawan, le 22 avril 2016, la société a levé pas moins de 250 millions d’euros. Fort de cette puissance financière peu commune, le conglomérat s’enrichit très vite de nombreuses sociétés de production, parmi lesquelles AB Productions (son actif principal), CC & C, ON kids & family et l’activité télévision d’Europa Corp, la société de Luc Besson. Les acquisitions de sociétés italiennes (Palomar) et espagnoles (Good Mood, Weekend Studio) laissent présager la mise en œuvre de coproductions à l’échelle européenne alors même que Mediawan met la main en 2020 sur le catalogue de Lagardère Studios, présent en Espagne (Groupe Boomerang), en Finlande (Aito Media), aux Pays-Bas (Skyhigh TV), mais aussi sur le continent africain (Keewu au Sénégal).
Le fonds d’investissement KKR, entré au capital de Mediawan en 2020, devient l’acteur-clé de la stratégie américaine du groupe. Henry Kravis, un des trois cofondateurs de ce fonds prestigieux, met à la disposition de Capton son réseau hollywoodien. Les résultats ne se font pas attendre : en 2022, Mediawan rachète le studio indépendant fondé par Brad Pitt, Plan B Productions. Capton met ainsi la main sur environ 60% du capital du studio, tout en préparant une option de rachat pour le solde d’ici trois ou cinq ans. En échange, Brad Pitt et ses associés actuels entrent à hauteur de près de 10% dans Mediawan, moyennant titres et cash, où ils disposent désormais d’un représentant au conseil de surveillance.
Voir aussi : Mediawan, infographie
Ce qu’il gagne
En tant que président de Mediawan, il reçoit en 2020 une rémunération de 450 000€ versée en douze mensualités comme l’atteste le rapport du Conseil du directoire du groupe.
Vie privée
Pierre-Antoine Capton épouse Alexandra Bikialo à Trouville le 23 juin 2013. Parmi les invités, au risque d’en oublier : les trois témoins, Alessandra Sublet, Vincent Labrune et Florian Zeller sont ses témoins de mariage. Parmi les invités, Julie Andrieu, Karl Zéro et Jacques Chancel sont de la partie.
Il est le cadet d’une fratrie de trois garçons. Son frère aîné Jérôme est journaliste sportif.
Sa femme, Alexandra Biakilo, d’origine lituanienne, sœur de Nicolas Biakilo acteur et compositeur et fille du pianiste Gerard Biakilo. Elle a fondé la maison d’édition Louison spécialisée dans la publication de littérature d’Europe orientale. Éric Naulleau siège au comité de lecture.
Le couple a quatre enfants et réside dans un appartement de Saint-Germain.
Il l’a dit
«Peu de sociétés françaises ont réussi à faire leur trou aux États-Unis — Gaumont y est parvenu, mais d’autres comme EuropaCorp et Canal Plus Group ont échoué.
C’est drôle parce qu’avant de conclure cet accord, tout le monde me rappelait ce qui s’était passé avec EuropaCorp et Canal Plus. Mais nous parlons d’une époque que les moins de 20 ans n’ont jamais entendu parler. Aujourd’hui, le marché du contenu audiovisuel est mondial et, il y a 15 ou 20 ans, c’était encore un marché local, qui fonctionnait très différemment. Maintenant, nous avons des talents français comme Omar Sy, Florian Zeller ou Louis Letterier qui sont aux commandes d’énormes machines aux États-Unis. Ce qui m’intéresse maintenant, c’est d’établir une stratégie pour les années à venir, afin de permettre à mon groupe de se développer et de prospérer. Et je ne suis pas un distributeur de salles de cinéma comme l’a été EuropaCorp un temps, et je n’ai pas acheté Universal comme l’a fait Jean-Marie Messier à l’époque. Je ne fais pas affaire avec une société de 4 000 personnes. Je ne fais affaire qu’avec Plan B et ses trois fondateurs », Variety, 12/12/2022.
« Mais mon premier vrai succès est “C à vous”. J’ai consacré quatre ans de ma vie à cette émission. Du matin au soir, je produisais, j’étais en régie, j’inventais les chroniques, j’ai choisi et je continue de choisir l’équipe d’antenne. C’est mon bébé. Face à un “Grand journal” tout-puissant, on était des outsiders, et au fil des années, en restant fidèles à nous-mêmes, on a vu les courbes se croiser. D’un coup, Lady Gaga, Sia, les politiques… tout le monde voulait venir » Paris Match, 06/04/2021.
« Vous pourriez produire aujourd’hui l’émission qu’Éric Zemmour fait sur CNews ou pas ? — Non parce qu’on est dans la confrontation aujourd’hui sur Paris Première arbitrée par Anais Bouton. Sur CNews, il est interviewé et intervieweur à la fois. Ce n’est pas un format avec lequel je serais à l’aise. Aujourd’hui on arrive à le produire car il est en confrontation en permanence avec Éric Naulleau », BFM TV, 12/10/2020.
«Toutes les décisions stratégiques sont prises ensemble [avec Niel et Pigasse, NDLR]. On se parle par mail tout le temps. Ils me challengent sans arrêt et sont au courant de tout, explique PAC dans son bureau cosy du quartier Oberkampf, au siège de 3e OEil. Même dans trois ans, si Mediawan pèse 1 ou 2 milliards d’euros, je continuerai à suivre les séries et les animateurs qui marchent. Ma force, c’est de connaître ce milieu de l’intérieur, de garder le nez dans les contenus » Les Echos, 09/03/2018.
« J’avais connu la fin de l’ère Lescure-De Greef à Canal+ qui était, en termes d’indépendance et de liberté, l’une des choses les plus merveilleuse que j’aie vécues. Depuis les bureaux, on prenait l’ascenseur et on arrivait sur le plateau de “Nulle part ailleurs” où Prince jouait en live. Ça m’a marqué. D’ailleurs si vous prenez l’ascenseur ici, vous arriverez sur le plateau de “C à vous” »,
Sa nébuleuse
Marc-Olivier Fogiel : Il rencontre pour la première fois Marc-Olivier Fogiel en 1998 à l’initiative de l’animateur. « J’ai eu l’idée de diffuser tous les épisodes de la série Friends dans une seule et même soirée. C’était le premier « marathon ». A l’heure de Netflix, ça fait rire, mais à l’époque, c’était révolutionnaire. Il y avait eu un petit papier dans le Journal du dimanche qui a été lu par Marc-Olivier Fogiel. Il présentait l’émission « TV+ » qui faisait rêver tout le secteur… Il m’a appelé, on a eu un rendez-vous qui a duré une demi-heure. » Fogiel est tout de suite séduit : « Plus que des compétences, Pierre-Antoine Capton affichait une telle détermination que je l’ai pris tout de suite ». Ils collaboreront ensemble pendant deux ans avant que Fogiel ne rejoigne France 3.
Voir aussi : Marc-Olivier Fogiel, portrait
Xavier Niel : « Il lançait Free mobile mais il était invité du “Grand journal” avant de venir chez nous. J’ai appelé son attachée de presse en lui disant qu’on allait enregistrer son passage avant qu’il aille sur le plateau du “Grand journal”, mais qu’on ne le diffuserait que le lendemain. Il est venu, on a enregistré et, au moment où il a pris son taxi pour aller chez Canal, on a annoncé qu’il était en exclu le soir même chez nous. Ils ont été obligés de le déprogrammer! ». À la fois exaspéré et intrigué par l’audace du producteur, il cherche à l’inviter au restaurant le lendemain.
Mathieu Pigasse : C’est Anne Hommel, l’ancienne conseillère de DSK et fondatrice de l’agence de communication Majorelle, qui le présente à Matthieu Pigasse en 2015.
La composition du conseil de surveillance de Mediawan renseigne sur l’ampleur des réseaux du producteur : Pierre Lescure (chroniqueur de «C à vous») à la présidence, le patron d’Eutelsat, Rodolphe Bellmer (ex-Canal +), Cécile Cabanis, la directrice générale Finances de Danone, Julien Codorgnou (Facebook Europe) ou Jacaranda Caracciolo (la fille de Carlo Caracciolo, actionnaire historique de La Repubblica en Italie). Autre cheville ouvrière du dispositif : l’avocat d’affaires Bruno Cavalié (cabinet Racine) qui est le conseil de Mediawan et, accessoirement, un cousin de Matthieu Pigasse.
Voir aussi : Matthieu Pigasse, infographie
Frédéric Michel : Nommé conseiller spécial à la communication et stratégie de l’Elysée, l’homme est un proche de Pierre-Antoine Capton qui a largement milité auprès du président Macron en faveur de cet homme de réseaux, qui a construit de solides relations dans le milieu de la presse dès sa jeunesse blairiste au Royaume-Uni. Diplômé de la London School of Economics, l’homme entre au service du magnat australien Rupert Murdoch en tant que lobbyiste. Il contribue, entre autres, à convaincre son fils James Murdoch à entrer au capital de Brut en 2021, via le fonds d’investissement Lupa System. Egalement proche de Matthieu Pigasse, il devient aussi administrateur des Inrocks la même année.
Comme un symbole, Capton fait partie de l’aréopage de grands patrons accompagnant Emmanuel Macron à Washington en novembre 2022, aux côtés de Luc Rémont (EDF), Patrick Pouyanné (TotalEnergies) ou Bernard Arnault (LVMH).
Vincent Labrune : L’ancien président de l’Olympique de Marseille, qui a longtemps joué le rôle d’intermédiaire en TF1 et la presse, est un intime de Pierre-Antoine Capton, qui le rencontre alors que Labrune n’est encore qu’attaché de presse de France 2. Il est même le parrain de l’un de ses enfants. Dans Challenges, il ne tarit pas d’éloges sur l’homme qui « est drôle [et] raconte bien les histoires ».
Patrice Duhamel : Le frère de l’antédiluvien Alain Duhamel donne un coup de pouce important au producteur lorsqu’il fait pencher l’appel d’offres de France 5 en faveur de Pierre-Antoine Capton. Sans Duhamel, point de C à Vous.
Jacques Chancel : Selon Technikart, il aurait bénéficié des réseaux de droite de la voix mythique de « Radioscopie » lors de la présidence Sarkozy. C’est par son entremise qu’il rencontre Florian Zeller, l’auteur dramatique à succès. Une fois oscarisé grâce à sa propre adaptation cinématographique de sa pièce « Le Père », avec Anthony Hopkins dans le rôle-titre, Zeller s’associe avec Mediawan pour créer une société de production, Blue Morning Picture. De ce partenariat devrait déboucher de nombreux films et séries télévisés dans les années à venir.
Éric Naulleau : Naulleau, alors modeste éditeur, est repéré par Capton qui le fait débuter en tant que chroniqueur sur sa première émission « StarMag ». Cinq ans plus tard, il lui offre la présentation de « Ça balance à Paris » sur Paris Première. Les deux hommes se doivent beaucoup l’un à l’autre. Selon le chroniqueur, Capton « est réglo, on a un caractère assez facile tous les deux, on ne se prend pas au sérieux ».
Ils ont dit
« Une rencontre de plus pour jalonner ce bel itinéraire d’un entrepreneur jamais rassasié et qui ne manque jamais une occasion de dîner un soir avec ses potes dans une brasserie de Trouville (Les 4 Chats) Arnaud de Puyfontaine ou Gilles Pélisson. Pas vraiment des inconnus non plus : respectivement patron de Vivendi et tout juste ex-PDG de TF1 », Entreprendre, 10/10/2022.
« “C à vous” est l’émission la plus marquante de ma carrière, géniale et tellement dure… Toutes ces remarques misogynes, ces articles odieux qu’on a écrits sur moi et que j’ai conservés ! Contre vents et marées, Pierre-Antoine Capton y a cru. Il n’y a pas beaucoup de gens à qui je peux vraiment tout dire, mais lui en fait partie », Alessandra Sublet, Paris Match, 02/06/2021.
« Il n’y a rien de dingue dans leur portefeuille. Ils avancent une stratégie européenne, mais cela reste très franco-français.» Certains concurrents n’excluent pas une opération de «build-up financier» dans l’optique de revendre l’ensemble dans cinq ou dix ans. Selon le patron d’un poids lourd du secteur, «pour l’instant, c’est surtout un empilement de sociétés. Ce n’est pas Pierre-Antoine Capton qui va fédérer tout ça et organiser un groupe. C’est plutôt un chef de bande » Les Échos, 09/03/2018.
« Pierre-Antoine a rapidement assimilé les codes extrêmement complexes des marchés financiers internationaux et se meut maintenant dans ce monde très particulier avec agilités » Bruno Cavalié, Technikart, 04/09/2017.
« Le travail du service public, c’est d’être l’école du peuple, et pour ça, il faut spectaculariser la culture, la rendre digeste. En tant que publicitaire, je pense savoir le faire. Si elle ne l’est pas, les gens ne la consomment pas. France Télévisions préfère employer des producteurs qui se plantent, comme Pierre-Antoine Capton, dont « Un soir à la tour Eiffel » n’est qu’une sorte de « Vivement dimanche » et « C à vous » une pauvre copie du dîner de « 93, Faubourg Saint-Honoré ». » Thierry Ardisson, Le Monde, 23/10/2014.
Illustration : capture d’écran vidéo Foot Normand via YouTube (Pierre-Antoine Capton : “Je pense beaucoup à Jean-François Fortin”, 16 mai 2021)