Tocsin du renseignement
Diplomate de haut rang et ancien directeur de la DGSE, les cadres feutrés dans lesquels Pierre Brochand a évolué tout au long de sa carrière ne l’empêchent pas pour autant, selon la formule consacrée, de « voir ce qu’il voit ». Même s’il n’est pas journaliste, depuis qu’une de ses interventions sur le thème de l’immigration a été relayée par Le Figaro et Valeurs actuelles, l’homme fait autorité sur ce sujet et son discours dépassionné et offensif dénote au sein de la classe politique. Son entretien accordé au Figaro en mars 2022, au cœur de la campagne présidentielle, est un modèle du genre. Son frère, Bernard Brochand, comme lui passionné de football, est l’ancien député-maire LR de Cannes influent dans les milieux d’affaires et audiovisuels. On lui doit notamment la chaîne France 24 et il a participé à la création de la chaîne Canal+. Marié tardivement à son épouse de nationalité britannique, Pierre Brochand est père de trois enfants. Fin 2023, il s’oppose fermement au rideau de fumée de la xième loi sur l’immigration de Gérald Darmanin, n’y voyant qu’un nouvel appel d’air à plus de déferlement.
Portrait vidéo
Formation universitaire
Il effectue toute sa scolarité secondaire à Cannes, sa ville de naissance. D’abord dans l’établissement privé catholique Saint Joseph, puis aux lycées Jules Ferry et Carnot. Il monte ensuite à Paris, où il sera diplômé d’HEC et intègrera l’ENA en 1968 (promotion Turgot). Au sein de cette promotion, il se lie d’amitié avec Michel de Bonnecorse, futur « Monsieur Afrique » de Jacques Chirac lors de son deuxième septennat. Il détient également une maîtrise d’économie de l’Université Paris-Sorbonne.
Parcours professionnel
Il commence sa carrière diplomatique en tant que conseiller à l’ambassade de France de Saïgon (1971–1975), où il est témoin des conséquences terribles du retrait américain, puis à Bangkok (1975–1979) au moment même où le Cambodge, pays frontalier, tombe aux mains des khmers rouges.
Après avoir été Consul de France à San Francisco (1979–1982), il est nommé au Quai d’Orsay comme sous-directeur des affaires étrangères Asie/Océanie (1982–1985).
À partir de 1985, il est le représentant permanent de la France à l’ONU pendant quatre ans.
À peine un moins après la chute du Mur, il est nommé ambassadeur en Hongrie (1989–1991). On lui doit en partie la visite du président Mitterrand en Hongrie, la première d’un président français en Europe Centrale à l’ère post-communiste.
Toujours au cœur des remous de l’action internationale, il est nommé en Israël (1991–1993) quinze jours après la signature des accords d’Oslo.
Retour au Quai, plus précisément à la Direction générale des affaires culturelles en 1995, avant de repartir en poste en tant qu’ambassadeur au Portugal pendant trois ans (1999–2002).
Nommé en 2002 par Jacques Chirac sur proposition du ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie pour remplacer Jean-Claude Cousseran, proche du Parti Socialiste, il a notamment pour mission d’opérer la fusion entre les Renseignements généraux (RG), dont l’une des prérogatives était la lutte contre le terrorisme interne ou externe, et de la Direction de surveillance du territoire (DST), chargée du contre-espionnage. Lors de son mandat, il a réorienté significativement l’activité du service dans la lutte antiterroriste et développé ses moyens d’interceptions techniques C’est à cette même période qu’a lieu la libération d’otages français en Afghanistan et en Irak, comme la journaliste Florence Aubenas, à laquelle il prend une part active. Il est démis de ses fonctions en 2008 et prend sa retraite dans la foulée.
Parcours militant
Lors des élections municipales 2014, il apporte son soutien à David Lisnard, candidat LR qui brigue la mairie de Cannes à la suite de son frère, Bernard Brochand, dont il a été l’adjoint pendant de nombreuses années. A Nice-Matin, il assure : « Les Cannois doivent choisir entre poursuivre l’œuvre remarquable entreprise depuis 12 ans, ou retomber dans les errements précédents. C’est donc sans hésiter que j’apporte tout mon soutien David Lisnard. Il est capable, avec sa touche personnelle, de poursuivre l’œuvre de mon frère. Il est cannois, jeune, compétent , cultivé, intelligent et intègre. J’ai pris connaissance de son programme, il est remarquablement concret et précis. Et autant en matière de gestion que d’hommes, je pense avoir un peu d’expérience… ».
Aux journalistes de Libération qui souhaitent sonder le degré d’implication de l’ambassadeur dans la campagne d’Éric Zemmour, il répond de la manière suivante : « Je n’ai jamais appartenu, n’appartiens pas aujourd’hui et n’appartiendrai pas dans l’avenir qui me reste, à une quelconque formation politique. Je n’ai, a fortiori, pas participé à une campagne électorale de toute ma vie ». Ses relations, son parcours ainsi que sa proximité avec certains cercles de pensée dénotent toutefois une sensibilité gaulliste.
On ne peut le soupçonner d’être un pro-américain fanatique : il faisait partie de ceux qui ont informé très tôt le Premier ministre de Villepin que l’Irak ne possédait pas d’armes biologiques et chimiques en 2003 et certaines de ses déclarations laissent penser qu’il est plutôt sceptique quant aux effets de la politique internationale américaine. En 2008, son appartement aurait même été sonorisé par la CIA.
Sur sa vision de l’Union européenne, on peut lire dans La Croix :
« Alors que la mondialisation de l’économie amenuise le rôle des Etats dans l’organisation des échanges internationaux, Pierre Brochand savoure l’extension inverse du champ d’action d’un ambassadeur à l’intérieur de l’Union européenne. « Au sein de l’UE, tout devient politique et ouvre le champ d’une négociation entre Etats-membres : l’environnement, les transports, la bioéthique… ».
Publications
- L’espionnage dans le droit public international (Fabien Lafouasse, préface Pierre Brochand), Le Grand Jeu, 2012
Il l’a dit
« C’est ainsi que l’oligarchie des « serviteurs de l’État » a cédé la place à celle des magistrats et des médias, nouveau clergé d’une nouvelle religion, qui s’est approprié le monopole nucléaire de l’excommunication des hérétiques. Étrange configuration, où nos « dirigeants », conscients de l’impopularité de l’immigration, mais asservis au dogme, ne peuvent que faire semblant de lutter contre elle … En fait, ce que nous avons minutieusement organisé, depuis cinquante ans, c’est notre aboulie publique, au nom du principe onirique de la fraternité humaine. Utopie dont nos dirigeants sont d’autant plus comptables que le reste du monde ne la partage pas. », Le Figaro, 8 novembre 2023.
« Dans ces derniers jours, dans ces dernières heures, la triste vérité était que les Sud-Vietnamiens étaient abandonnés de tous. Ils étaient abandonnés par leurs alliés américains ; ils étaient abandonnés par leur chef ou leur soi-disant tel. Et je crois que c’est à l’honneur de la France que d’avoir tenté, dans cette fuite généralisée, quelque chose, même si les résultats, à mon avis bénéfiques, n’ont été que temporaires. Je crois que les Sud-Vietnamiens l’ont apprécié et je crois aussi que c’est à l’honneur de mon pays de l’avoir tenté », Vietnam: A Television History, 1983.
« La présence française souffre d’une image plus contrastée. D’un côté, nous conservons à Budapest un prestige surprenant parmi les milieux intellectuels dont nous demeurons souvent la référence alors même que la langue française n’a jamais été ici la première. Mais d’un autre côté, ce capital a pâti du fossé creusé par les guerres mondiales qui ont vu la Hongrie entraînée volens nolens dans le camp germanique: en particulier, la responsabilité imputée à la France dans le «funeste» traité de Trianon de 1920– dont le traumatisme reste incroyablement présent – a créé toutes les conditions d’un amour déçu et qui n’a jamais été vraiment ranimé. Depuis deux ans, l’intérêt réel manifesté à Paris pour l’expérience hongroise a rendu confiance à ceux, nombreux à Budapest, qui comptent sur nous pour contribuer à rééquilibrer une influence germanique un peu envahissante […]La Hongrie sera dans cinq à dix ans un partenaire européen de plain pied, au coeur d’un «gisement de croissance» d’où la francophonie ne serait pas exclue (Budapest pourrait devenir le Vienne de Bucarest) », extrait d’un télégramme, Bernard Lachaise, « Le voyage de François Mitterrand en Hongrie en 1990 », Öt Kontinens, 2009.
« Le combat entre l’Occident et les jihadistes n’est pas une guerre entre gentils et méchants, c’est une guerre entre des valeurs et des cultures. Si en faisant cette guerre vous abandonnez ces valeurs et renoncez à votre culture, alors vous êtes vulnérables, car vous ne croyez pas vous-mêmes en vos valeurs », propos tenus dans le documentaire « Terrorisme, raison d’état » et relayés dans Les Inrocks, 16/05/2017.
« Au long de ce parcours – coopérant en Afrique, boursier aux États-Unis, diplomate sur trois continents, responsable d’un Service de renseignement et même comme époux –, j’ai fréquenté infiniment plus d’étrangers que de Français. À l’occasion de ces milliers de relations de toutes natures, je n’ai eu d’autre objectif que d’entrer en empathie avec l’Autre, cet être énigmatique, qui n’est notre semblable que jusqu’au moment où il ne l’est plus. À son contact j’ai pu vérifier la pertinence de lieux autrefois communs : à savoir que, si le biologique nous rassemble, le culturel interpose entre nous une distance variable, et parfois insurmontable. Il m’a aussi permis des observations que je ne saurais rapporter sans frissons, par exemple que rien n’est plus universel que la xénophobie et que les configurations « multi » (culturelles, nationales, ethniques) sont le plus souvent vouées au déchirement. Et j’ai même constaté, « horresco referens », que les « minorités » pouvaient être violentes et les « victimes » avoir tort », « Pour une véritable politique de l’immigration », Fondation Des Publica, 02/07/2019.
« L’immigration exerce sur l’ensemble de notre vie collective un impact transversal, que je tiens pour globalement négatif. [Un aspect] qui se traduit concrètement par une tiers-mondisation rampante de la société française et sa régression continue dans des domaines clés, tels que l’éducation, la productivité, les services publics, la sécurité, la civilité, etc. En d’autres termes, si tout ce qui va mal en France n’est pas la faute de l’immigration, loin s’en faut, elle y participe dans une mesure, à mon avis, très sous-estimée », discours prononcé le 15 novembre à l’Amicale gaulliste du Sénat et relayé par Le Figaro, 06/12/2022.
Sa nébuleuse
Un article de Victor Chabert paru dans Europe 1 en novembre 2021 mentionne que Pierre Brochand a prodigué des conseils et formulé des propositions concrètes à l’équipe de campagne d’Éric Zemmour
Ils ont dit
« Le métier d’ambassadeur est multiforme : « Représenter l’État, promouvoir ses intérêts, influencer nos partenaires, informer notre gouvernement, aider nos compatriotes, servir la France »… Lorsque l’opinion française s’étonnait que le Portugal refuse l’extradition de Rezala, au motif qu’il risquait la détention à perpétuité en France, Pierre Brochand s’est fait expert juridique. Prudemment, il a fait valoir à Lisbonne combien l’image du Portugal et la construction européenne pâtiraient d’un rejet de la demande d’extradition. « Ils ont joué le jeu », dit-il sobrement », La Croix, 02/09/2000.
« Le journal Le Monde avait été le premier à tirer, le 23 juin 2002. En gros caractères à la Une, il titrait ce lundi-là : « L’Élysée accuse les services secrets d’avoir enquêté sur M. Chirac sous le gouvernement de M. Jospin. » Jacques Chirac venait d’être réélu chef de l’État, et les règlements de comptes d’après campagne se préparaient, comme le quotidien le laissait entendre, assurant dans le chapeau de présentation de l’article : « Convaincu que la DGSE et la DST ont recherché, au Liban et au Japon, des éléments destinés à le compromettre, le président de la République souhaite en remplacer rapidement les directeurs. L’annonce n’est pas encore officielle mais la décision est acquise. » En effet, quelques jours après, Jean-Claude Cousseran est remplacé en conseil des ministres par Pierre Brochand », Pierre Siramy, 25 ans dans les services secrets, Flammarion, 2008.
« Brochand est un homme de dossiers. Sa petite cour le suit. Je dois plutôt dire que c’est son directeur de cabinet qui ouvre la marche. Je doute que le DG sache où se trouvent les locaux qui lui diffusent pourtant et entre autres les chaînes de sport dont il raffole. Ceci ne l’empêche pas d’être un gros travailleur et un dévoreur de papiers », Ibid.
« Pierre Brochand parle d’un examen de conscience. À notre avis, il n’est pas achevé. En fait, son diagnostic et ses solutions, qui concernent seulement l’étape dépassée depuis plusieurs années d’une immigration excessive, seraient impuissants à juguler le désastre démographique et civilisationnel de ce raz de marée d’allogènes sans un bouleversement de la volonté politique. Qu’il fasse un pas de plus et se mette en première ligne de cette volonté : son historique personnel lui en confère la légitimité.
Il faut rendre hommage à la lucidité partielle et au courage de Pierre Brochand d’avoir présenté un constat aussi riche et argumenté devant un public dont on peut se demander s’il a été très réceptif au vu de la conclusion très froide de Chevènement, l’homme des 100.000 régularisations de 1997. Cependant, s’il en a bien présenté les effets, il n’a pas dénoncé la cause première de cette situation désastreuse, due à cette oligarchie dirigeante qui a gouverné la France depuis 40 ans, et dont il fait lui-même partie », André Poshokow, Politique Magazine, 11/06/2020.
« Depuis que Paul-Marie Coûteaux les a présentés, dans un restaurant du boulevard Saint-Germain, en mars 2019, Zemmour s’est beaucoup rapproché de Pierre Brochand, directeur de la DGSE, les services secrets français, entre 2002 et 2008. « On échange quasi quotidiennement », reconnaît l’éditorialiste de CNews quand nous l’interrogeons, en septembre 2021 », Étienne Girard, « Le radicalisé: Enquête sur Éric Zemmour », Seuil, 2021. « P.Brochand n’a jamais travaillé sur les questions migratoires. Il n’a aucun crédit sur ce sujet, et pas beaucoup plus sur les questions géopolitiques. Il faut être à la fois bien ignorant de l’état des débats et très orienté idéologiquement pour lui prêter attention. C’est tout », Gilles Clavreul, Twitter, 26/03/2022.
« Je l’ai connu [Brochand] par Chevènement et sa fondation Res Publica. Je l’ai présenté à Éric pour qu’il étoffe son équipe qui était jusque-là constituée de matelots pas vraiment faits pour la haute mer. Je savais qu’il regardait Zemmour sur CNews et qu’il l’aimait bien. Un jour, Brochand me dit “je l’aime bien mais il a dit une bêtise là”. J’ai donc organisé un dîner chez Vagenende, à Saint-Germain-des-Prés, ce devait être après les européennes, en 2019 – je le sais car à l’époque j’allais beaucoup chez Vagenende, qui est l’autre Lipp [une autre brasserie]. Le lien est passé et ils ont continué à avoir des entretiens réguliers, en relation directe », Paul-Marie Coûteaux, Libération, 09/12/2022.
Illustration : capture d’écran vidéo “Ils soutiennent David Lisnard”, Cannes, mars 2020.