La guerre dans les yeux
« Ma démarche n’est pas idéologique ni explicative ! Je ne fais que raconter ce que je vois », L’Incorrect, 15/10/2020.
Fils d’un officier sous-marinier ayant grandi à Cherbourg, le nom de Le Sommier se confond presque avec les reportages de Paris Match, dont il a hanté la rédaction pendant vingt-cinq ans et dont il n’est jamais très loin. Fasciné par l’armée, l’homme se découvre une vocation de reporter de guerre qui le fera arpenter les principaux champs de bataille du XXIe siècle (Irak, Syrie, Afghanistan, Haut-Karabagh) et glaner des entretiens remarqués, en particulier ceux de Bachar El-Assad en 2014 et 2019.
Si la guerre le rattrape jusqu’à son fauteuil d’éditorialiste sur RT France, qu’il est bien forcé de délaisser quelque mois après avoir rallié la chaîne, l’homme ne manque pas de munitions : à la tête de son nouveau « média d’investigation 100 % digital », Omerta, il entend continuer à faire front dans la guerre de tranchées médiatique.
Chose rare, l’homme revendique son identité bretonne et parle même le breton, qu’il a appris lors de “cours sauvages” dispensés à Paris-Dauphine. Il intervient régulièrement sur Europe1 et CNews depuis 2021, en particulier pour commenter l’actualité internationale et promouvoir ses propres reportages.
Formation universitaire
Il suit la formation de mousse dispensée par l’École navale. Après le bac, il s’engage dans une licence d’histoire. Hésitant sur son avenir, il entre en deuxième année à Sciences-Po où il achèvera son cursus par un master en communication médias obtenu à Lyon (1993–1995).
Parcours professionnel
1992
Il doit effectuer un stage entre sa deuxième et sa troisième année de Sciences-Po. Il atterrit donc à Paris Match un peu par hasard par l’entremise de Patrick Mahé, alors rédacteur en chef du magazine et ami de son père. Il pige pour le magazine.
1994
De nombreuses piges plus tard, il publie son premier papier signé dans l’hebdomadaire. Fasciné par les reporters de guerre et par leurs anecdotes qui ponctuent les conseils de rédactions, le jeune journaliste décide d’en faire sa vocation. Au fil des ans, il couvre notamment sur la vague de le suicide collectif de l’Ordre du Temple solaire (1994), l’attentat du World Trade Center (2001) ou encore les attentats islamistes de Bali (2002) et Casablanca (2003).
2003–2009
Il est le correspondant permanent du journal aux aux Etats-Unis. Pendant cette période, il décroche des entretiens en tête-à-tête avec les présidents George W. Bush et Barack Obama, mais aussi des personnalités comme Colin Powell, Dick Cheney ou encore Donald Rumsfeld. A son retour, il est promu directeur adjoint du journal.
Il réussit, avec un certain culot et au grand dam du Quai d’Orsay, à obtenir un entretien avec Bachar El-Assad en novembre 2014 alors que la guerre en Syrie fait rage, puis un deuxième avec le raïs en novembre 2019.
2014
Il commence à enseigner au CELSA, l’école de communication de la Sorbonne.
Été 2021
Après un départ houleux pour incompatibilité d’humeur entre Hervé Gattégno, éphémère patron de Paris Match et du JDD, partie prenante dans l’affaire Mimi Marchand/Takkiedine, Régis le Sommier trouve un point de chute chez RT France.
Février 2022
Le reporter de guerre est, bien que de manière tout à fait inattendue, rattrapé par elle en cet hiver 2022. La guerre russo-ukrainienne déclenche l’interdiction de diffusion de la chaîne dans l’espace européen, une décision qui suscite l’incrédulité du reporter :
« Je n’ai aucune naïveté : RT France est un média d’influence russe ; cela étant, il n’a pas de caractère fondamentalement propagandiste. J’ajoute que la France et la Russie ne sont pas officiellement en guerre. Cette interdiction ne me semble donc pas justifiée » (Valeurs Actuelles).
Novembre 2022
Il lance un nouveau média en ligne, réplique conservatrice à Brut et Blast, baptisé « Omerta » dont il est le directeur de la rédaction, secondé dans sa tâche par une ancienne journaliste de BFM TV et LCI, Aïcha Hmissi. Dès le mois d’octobre, c’est Le Figaro qui, le premier, salue en premier l’initiative et les thèmes de prédilection de la nouvelle plateforme, à savoir « l’immigration, du wokisme et de la sécurité ». L’actualité internationale n’est pas en reste, dans la droite lignée des reportages de Le Sommier, avec des incursions dans les théâtres de guerre brûlants du Haut-Karabagh et du Donbass. La Lettre de l’Audiovisuel , elle, s’attarde sur les réseaux LR, d’obédience russophile, qui sont à la manœuvre derrière la création d’Omerta. Nous sommes toutefois loin de l’entourage d’extrême-droite que dépeignait Libération dans un papier résolument à charge quelques mois plus tôt.
Vie privée
Deux fois divorcé, il est père de trois enfants, dont deux garçons nommés Tristan et Antoine.
Publications
- Les Damnés du Prestige, Lattès, 2003.
- L’Irak n’existe plus, Éditions du Toucan, 2008.
- David Petraeus, un beau jour dans la vallée du Tigre, Erick Bonnier, 2012.
- Les Mystères d’ Du temps du deuil à la quête de la vérité, Michel Lafon, 2014.
- Daech, l’histoire, La Martinière,
- Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Perez, La Main droite de Dieu : Enquête sur François Mitterrand et l’extrême, La Martinière, 2016.
- Les Mercenaires du calife, La Martinière, 2016.
- Assad, La Martinière, 2018.
- La vérité du terrain. Récits d’un reporter de guerre, Bouquins, 2018.
Récompenses
- 2017 : Grand Prix de la Presse Internationale (Association de la Presse Étrangère)
- 2018 : Prix de la meilleure enquête journalistique (Syndicat des éditeurs de la presse magazine et de Relay)
Il l’a dit
« Pour les Américains, le journaliste est un mal nécessaire. Avec l’armée française, les choses sont beaucoup plus floues : on peut être éjecté d’un reportage pour un papier qui a déplu à un supérieur. Sur le plan politique aussi, les choses diffèrent beaucoup. J’ai interviewé Bush en mai 2004 en tête-à-tête à la Maison-Blanche après le début de la guerre d’Irak. Toutes les questions peuvent être posées. Cela dure dix-sept minutes. Une heure et demie après, on me fournissait le script de l’entretien, où rien ne manquait. Ils ne m’ont jamais demandé à relire l’entretien. Donald Rumsfeld, qui n’est pas simple, n’a jamais non plus demandé à relire un entretien. Ici, les hommes politiques sont incroyables. Récemment, François Bayrou nous a appelés catastrophé à cause d’une ligne dans une interview où il disait qu’il préférait Hervé Morin à Yves Jégo… […]Voilà pourquoi nous incitons nos journalistes à écrire des papiers avec des citations plutôt que des entretiens. Nous en sommes réduits à ça… », Bretons Magazine, 19/01/2015.
« Le terrain est devenu inaccessible à la plupart des experts et journalistes. Ce déficit est compensé par le recours aux informations relayées par les réseaux sociaux. Or ces derniers ne font souvent que diffuser la propagande d’un camp ou d’un autre, et l’on ne voit aujourd’hui du conflit [syrien] que ce que les acteurs veulent bien nous laisser voir », Jeune Afrique, 23/02/2018.
« Combien de fois il m’est arrivé au bout du monde de tomber sur quelqu’un qu’on me désignait comme « le » Français établi dans le coin, ayant ouvert un restaurant prisé ou créé une attraction originale ! Pratiquement à chaque fois, il s’agissait d’un Breton. Il existe chez nous un puissant besoin de partir qui s’accommode sans problème avec l’attachement aux racines. S’en aller n’est pas renier ou effacer. En s’installant au-delà des mers, on emporte avec soi un petit bout de l’endroit où l’on a grandi qui, si l’on ne revient pas, se transforme dans l’imaginaire au fil des générations, mais ne disparaît jamais », Ces bretons qui ont fait la France, pp 6–7, Grasset, 2018.
« À l’époque de l’interview dans Match, j’avais eu droit dans Le Monde à une étude comparative avec l’interview d’Hitler réalisé en 1936 par Bertrand de Jouvenel… Hitler était Hitler, soit, mais Jouvenel était un journaliste admirateur des régimes fascistes ! Sur Europe 1, Laurent Fabius avait quant à lui qualifié mon interview de « publireportage ». Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach qui l’interrogeait s’était insurgé : « Non ! C’est une interview parce qu’il y a des éléments très intéressants … » En réalité, le ministre des Affaires étrangères ne décolérait pas : on laissait son pire ennemi s’exprimer dans les colonnes du premier magazine français. J’avais ouvert un débat sans fin sur le bien-fondé d’aller parler aux dictateurs. Dans la bouche de certains, j’avais parfois la désagréable impression qu’en voulant atteindre Assad, on cherchait aussi à abattre le messager », Bachar m’a dit, pp 95–96, La Martinière, 2018
« Le problème d’Enthoven, mais cela vaut également pour BHL ou Glucksmann, c’est qu’ils se contentent de formules déclamatoires, sans jamais articuler le courage intellectuel avec l’action […] Ces gens-là n’ont pas couvert la guerre. Ils ne voient pas ses conséquences. C’est une manière de penser qu’on retrouve souvent chez les personnes qui n’ont pas fait leur service militaire », Valeurs Actuelles, 31/03/2022.
«Oui, j’ai des convictions, je viens d’une famille militaire, je suis patriote. Mais ça me concerne en tant que citoyen, pas en tant que journaliste. […] Je ne suis pas militant. Je constate. J’ai côtoyé les Etats-Unis de près, je peux dire que les Etats-Unis peuvent manipuler l’opinion. Mais je ne suis pas viscéralement anti-américain, sinon je ne serais pas ami avec David Petraeus », Libération, 09/05/2022
Sa nébuleuse
Les confrères grand reporters Albert Razavi (Figaro, Paris Match) qui a lui aussi enquêté sur les mouvances djihadistes et Cyril Hofstein (Figaro), passionné par le monde maritime.
Les photographes Alvaro Canovas et Véronique de Viguerie, autant compagnons de voyage que de reportage.
La « Breizh Connection » de Paris Match : Olivier Royant (décédé) ; Patrick Mahé ; Gilles Martin-Chauffier ; François Pédron.
Ils l’ont dit
« Au final, on peut s’interroger sur le véritable objectif du livre. Présenter l’histoire de l’EI ? Il n’y parvient pas. Ses motivations ? Pour un néophyte, elles demeurent tout aussi obscures après avoir refermé le livre. Son avenir, à l’époque de rédaction du livre ? On ne le distingue pas plus. L’auteur est sans doute l’illustration de cette catégorie de journalistes, qui, en raison de leur supposée « expérience » de terrain, croit maîtriser un sujet », Abou Djaffar, Le Monde, 28/10/2017.
« Au troisième étage des bureaux de Match, au siège de Lagardère Media, à Levallois, un coin du bureau de Régis Le Sommier ressemble à un autel celtique. Gwen ha du en évidence, photo au pied du phare d’ArMen… rien n’est de trop pour cet ancien de l’association Roudour (le gué, en breton) qui y a appris la langue celte. Son père est originaire de Pleslin-Trigavou, dans les Côtes-d’Armor, et sa mère d’Ouessant et de Plougonvelin, dans le Finistère. Mais visiblement, ça ne suffisait pas. Du coup, lorsqu’il est avec les G.I. en Irak, il peut crier «Ar re vraw er penn araok» (les plus braves iront devant) », Le Télégramme, 11/09/2009.
« Régis est un excellent professionnel. Les crachats qu’il reçoit sont des médailles. Notre boulot est de dire ce que l’on voit et de permettre au lecteur de se faire une opinion. De ce point de vue, il a toujours rempli sa mission, sans que transparaisse jamais son opinion », Valeurs Actuelles, 31/03/2022.
« Les accès à l’armée, Régis Le Sommier, «fana mili» et fils de sous-marinier, semble vivre pour ça […] Comme numéro 2 de la rédaction, sa facilité à partir en reportage a pu énerver ses collègues qui devaient batailler pour convaincre de l’intérêt de leurs sujets. Certains de ses confrères habitués aux zones de guerre le décrivent en «journaliste bidasse», toujours à l’affût d’un «embed», ces reportages embarqués avec l’armée, qu’elle soit française, américaine ou syrienne. Alfred de Montesquiou, prix Albert-Londres et reporter à Paris Match pendant dix ans, loue, lui, la «loyauté» sur le terrain de son ex-collègue, notant aussi sa faculté à se créer «des relations dans la hiérarchie militaire », Libération, 09/05/2022.
Illustration : capture d’écran vidéo Thinkerview, via YouTube