Romain Molina, l’atypique
Journaliste décrié par les rédactions de grands chemins, depuis plusieurs années, Romain Molina fait un travail d’investigation sur les coulisses du monde footballistique. Un travail salutaire selon certains, qui vaut beaucoup d’inimitiés à son auteur.
Origines et formation
Romain Molina naît le 3 mai 1991 à Heyrieux, une commune de l’Isère. Peu d’informations filtrent concernant sa jeunesse. Ses parents sont maraîchers. Il a des origines espagnoles, ce qui, entre autres, le conduit à aller s’installer en Andalousie où il vit actuellement. Il grandit dans la région lyonnaise. C’est dans la capitale des Gaules qu’il effectue ses études. Diplômé d’un bac L, il s’inscrit ensuite en STAPS à l’Université de Lyon.
Parcours professionnel
Molina a évolué loin du sérail journalistique. N’étant le produit d’aucune école, ou d’un quelconque cursus, il fait ses premières armes au début des années 2010 en travaillant pour le webzine Sharkfoot. Il écrit également pour Hat-Trick. Durant cette période il tient aussi un blog sur le site de L’Équipe et sur le site Kick off. Enfin, il écrit pour le site Basket News. Les premiers sujets de prédilection de Romain Molina sont alors la vie des petits clubs et les dessous des transferts. Sur ce site, Romain Molina se fait remarquer par une série d’articles consacrés aux pratiques des agents et aux coulisses de certains transferts. On lui présente alors John Sinnot, journaliste à CNN, avec lequel il cosigne une longue série d’articles publiée en 2013. Il commence à se pencher sur des affaires plus sombres au tournant des années 2010. En 2012, alors qu’il écrit pour Sharkfoot, il entend parler d’un scandale incluant de faux papiers d’identité. En 2016 il se lance sur YouTube. Il se sert de cette plateforme pour raconter ses enquêtes et aussi donner son avis. En somme, pour se permettre ce qu’il ne peut pas écrire dans ses papiers.
La notoriété lui arrive en avril 2020. Cette année-là, il fait partie des journalistes qui signent une enquête dans le Guardian, où le président de la fédération haïtienne de football, Yves Jean-Bart, est accusé d’avoir violé des jeunes joueuses. La même année, il publie deux autres enquêtes dans le New York Times, où il brocarde la fédération française de football. Dans la première enquête, il révèle une culture toxique au sein de la fédération, appuyée par du harcèlement et des gestes sexistes. Dans la seconde, publiée en décembre 2020, il révèle les SMS inappropriés, suggérant des pesées sans vêtements de la part d’un ancien encadrant de l’institut national de football de Clairefontaine. Enfin, en septembre 2022, il publie dans le média norvégien Josimar une enquête intitulée 40 ans de silence où il égratigne les cadres de la FFF ayant gardé le silence sur des abus sexuels sur mineurs, pourtant connus.
D’autres affaires viennent jalonner le parcours de Molina, comme une affaire de harcèlement sexuel dans la section féminine d’Africa Sport, ou encore celle des accusations de racisme contre l’entraîneur du PSG Christophe Galtier.
Romain Molina étant assez mal vu des rédactions françaises. C’est à l’étranger qu’il publie ses enquêtes, dans des médias comme le New York Times, CNN, The Guardian ou la BBC. Cette mauvaise réputation vient de deux facteurs. D’une part, Molina bombarde l’establishment du football dans ses enquêtes, où personne n’est épargné, y compris les journalistes. D’autre part, ses méthodes ne font pas partie de celles adoptées par les rédactions de grands chemins. Se basant sur un solide réseau bâti depuis près de dix ans, Molina fait appel à sa notoriété pour obtenir des infos. Il emploie aussi ses propres réseaux sociaux, en se servant d’espaces Twitter pour faire des appels à informer, par exemple. Malgré cela, certains médias reprennent parfois les infos publiées par Molina.
Parcours militant
Si Romain Molina n’est pas marqué politiquement, il mène un combat depuis quelques années contre le silence qui pèse dans les fédérations concernant les abus contre les mineurs.
Dans ce combat, Romain Molina accepte de parler à tout le monde. Ainsi, il édite ses derniers ouvrages chez Evuxie, maison d’édition de Fabien Molin, proche de la figure “controversée” Louis Fouché. Il a également participé à un voyage en Corée du Nord organisé par Égalité et réconciliation.
Controverses
Comme le note Libération, Romain Molina est souvent poursuivi par les instances du football, davantage pour des excès verbaux que pour son travail d’enquêteur[1]. Il est condamné à 500 euros d’amende en juin 2023 pour avoir présenté l’affaire impliquant Yves Jean-Bart comme « une gamine de 14 déviergée par un malade de 70 ». Exemple typique où ce sont ses avis publiés sur YouTube plus que son enquête publiée dans le Guardian qui valent à Molina ces ennuis.
En avril 2023, Christophe Galtier, entraîneur du PSG, poursuit Romain Molina pour « diffamation », car Molina l’avait accusé de racisme en diffusant des mails écrits par Galtier alors qu’il était entraîneur de l’OGC Nice.
Publications
- Galère Football Club, Hugo Sport, 2015
- Génération Parker, Hugo Sport, 2016
- Unai Emery – El Maestro, Hugo Sport, 2017
- El Matador Cavani, Hugo Sport, 2017
- La Mano Negra, Hugo Document, 2018
- The Beautiful Game – Foot, guerre et politique, Evuxie Editions, 2020
- Yémen — les guerres des bonnes affaires – Al Quaïda, Total et ONU, pillages organisés, Evuxie Editions, 2022
Salaire
Dans une entrevue accordée à Libération, il avoue gagner environ 2 à 3 000 euros par mois grâce à YouTube, sans placement de produits ni crowfunding.
Il l’a dit
« Si je continue à travailler, c’est pour qu’on arrête de toucher aux gosses, c’est tout. », Walfoot, 12 janvier 2021.
« Mais c’est un fait que le monde du football est un monde profondément pervers, et pas que sur le plan sexuel. Il est pourri jusqu’à la moelle. », Walfoot, 12 janvier 2021.
« Mes livres se vendent : la Mano Negra, plus de 20 000 ventes… Quoi qu’on pense de moi je suis bancable dans le milieu du livre sportif. J’ai contacté des maisons d’édition je me prends des vents. », Libération, 7 juin 2023.
« J’ai des gens folklo dans mes connaissances. Certains me reprochent même d’écrire pour Blast. Mais je ne leur appartiens pas. », Libération, 7 juin 2023.
Nébuleuse
Dans son travail, Romain Molina reçoit l’aide de certains organismes comme Human Right Watch, ainsi que des rédactions étrangères comme la BBC ou CNN.
Ils l’ont dit
« Autodidacte, le journaliste et youtubeur évolue en marge des rédactions. Ses enquêtes, publiées par de grands médias étrangers, font trembler les milieux sportifs. À la fois admiré et craint, il assume un côté redresseur de tort qui irrite la profession. », INA La revue des médias, 29 novembre 2022
« Unique dans le paysage sportif, le trentenaire, qui vit désormais en Andalousie, travaille hors du sérail. Il est son propre média. Avec une stratégie qui lui permet de s’affranchir des obstacles propres à la presse. » INA La revue des médias, 29 novembre 2022
« Il s’empare des dossiers que personne ne veut ouvrir. », INA La revue des médias, 29 novembre 2022
« Presque paranoïaque pendant le temps de la collecte de témoignages, il multiplie les précautions pour “ne pas être infiltré, ni se trahir.” », INA La revue des médias, 29 novembre 2022.
« Il est peut-être trop émotif, mais cela importe peu, il utilise les faits pour écrire ses enquêtes. », Tariq Panja dans INA La revue des médias, 29 novembre 2022.
« Il est différent, solitaire, mais cela le sert, car il est en dehors de l’establishment, souligne Tariq Panja. La seule question qui vaille à ses yeux reste celle-ci : « Pourquoi les médias français sont incapables de sortir les affaires que lui sort, alors qu’ils ont plus de moyens ? », INA La revue des médias, 29 novembre 2022.
« Au vu des ennemis qu’il s’est créés, sa paranoïa n’est pas tout à fait infondée », Libération, 7 juin 2023.
« Dans le panorama dantesque du sport business, il est devenu celui par qui le scandale arrive. », Libération, 7 juin 2023.
« Comme Human Right Watch, qui a exfiltré un témoin d’Haïti – Molina fait aussi en coulisses un travail d’activiste. », Libération, 7 juin 2023.
« Dans les rédactions sportives parisiennes, ses plus féroces détracteurs dénigrent ainsi son travail comme un « bingo » des rumeurs du milieu – par chance, il tomberait parfois juste. », Libération, 7 juin 2023.
Notes
[1]Libération, 7 juin 2023