Barthès au féminin
« Mes questions restent sérieuses mais j’enrobe le tout avec des séquences qui font sourire. Ça ne change pas le fond mais le sujet devient beaucoup plus rigolo et sympa à regarder », Télérama, 6 mai 2014
Salhia Brakhlia a apporté, avec succès, les méthodes controversées du Petit Journal sur BFMTV. Le mélange détonne : le non-stop de BFMTV et le sarcasme du Petit Journal. Son tableau de chasse : rien de moins que la communication de l’Élysée et… Lucette, la brave retraitée qui a reçu François Hollande chez elle. Derrière ses coups d’éclat personnels, Salhia Brakhlia appartient à cette nouvelle catégorie de journalistes qui aiment à faire rire le téléspectateur par des séquences bien préparées et bien montées. Forcément, six ans au Petit Journal, ça laisse des traces… Revenue au bercail depuis, elle est la doublure de Yann Barthès.
Formation
D’origine algérienne, dernière d’une fratrie de sept enfants, Salhia Brakhlia est née à Condé-sur‑l’Escaut, dans le département du Nord en mai 1986. Elle y passe toute son enfance et y suit toute sa scolarité. Elle fréquente également le centre social de la commune. C’est dans ce cadre qu’en 2003 elle participe à l’opération « télé-cité », une série « qui permet aux jeunes gens et jeunes filles des quartiers de s’exprimer à la télévision, sur France 3 Paris et France 3 Lille ». C’est à ce moment qu’elle fait ses premiers pas derrière la caméra (lien 1 et lien 2, à partir de 11 min).
Elle quitte le Nord une fois le bac en poche et commence alors un DEUG d’histoire et de sciences politiques à la Sorbonne. Après un premier stage au sein de la chaine de télévision Monaco Info, elle intègre, en 2005, l’école du journalisme de Nice, dont elle sort diplômée deux ans plus tard. Elle réalise son stage de fin d’études à Rosny TV, la web-télévision de la ville de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.
Parcours
En septembre 2007, elle commence comme stagiaire au « Grand Journal » de Canal+. Elle est alors chargée de réaliser des fiches sur les invités de l’émission et sur les différents sujets abordés. Dans le même temps, elle réalise quelques piges pour le « Petit Journal ». Moins d’un an après son arrivée au sein du groupe Canal+, elle est embauchée, comme journaliste reporter d’image, pour le « Petit journal », en août 2008.
C’est elle qui lance le « Petit journal » dans le monde politique, en baladant son fameux micro rouge dans la salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale. « Les reportages politiques, c’est l’ADN de l’émission depuis ses débuts », affirme-t-elle à Télérama en mai 2014. « Il y a six ans, quand j’ai commencé, nous posions des questions vraiment décalées. A l’Assemblée nationale, les députés venaient nous voir pour faire les malins devant la caméra. Aujourd’hui, ils font preuve de plus d’attention car notre traitement des sujets politiques a évolué. On essaye de gratter un peu plus, de poser la question à laquelle les autres journalistes n’ont pas pensé, de montrer l’envers du décor » (source).
Avec Salhia Brakhlia et le « Petit Journal », on est en plein « infotainment », un mélange entre véritable information, divertissement et dérision, comme sait si bien le faire Canal+. « Mes questions restent sérieuses mais j’enrobe le tout avec des séquences qui font sourire », se justifie-t-elle. « Ça ne change pas le fond mais le sujet devient beaucoup plus rigolo et sympa à regarder ». Le rire est effectivement garanti, l’audience également… Le respect des faits, c’est moins sûr. Le « Petit Journal » sera d’ailleurs régulièrement pointé du doigt pour ses bidonnages, ses approximations, voire ses mensonges et son traitement partial de l’actualité.
Malgré cela, pour ses confrères de la presse écrite qui font son portrait ou l’interrogent, Salhia Brakhlia devient donc celle qui « taquine les personnalités politiques » (La Voix du Nord), ou encore « le poil à gratter des politiques. Celle que l’on évite, ou que l’on cherche à croiser pour les plus audacieux d’entre eux », la « journaliste-terreur qui pose les questions qu’une grande partie de ses confrères ne se risque pas à murmurer dans son sommeil », pour Cheek magazine.
Si Salhia Brakhlia et le « Petit Journal » est blacklisté par Jean-Luc Mélenchon — en 2012, elle se voit interdire l’entrée à une réunion du candidat -, c’est surtout pour et grâce à ses démêlés avec le Front National qu’elle se fait connaître.
Ainsi, en septembre 2013, alors qu’elle couvre la rentrée politique de Marine Le Pen à la braderie d’Hénin-Beaumont, Salhia Brakhlia se fait photographier, tenant dans la main, son cahier « dont le contenu s’apparente plus à un story-board qu’à un relevé de notes de terrain prises au vol », selon le communiqué de presse du Front National qui sera publié ultérieurement. Le reportage semble en effet écrit à l’avance, avec, notamment, une séquence déjà prévue, intitulée « Marine la cougar ». « Dis donc, ils sont jeunes ! », note entre guillemets Salhia Brakhlia sur son carnet avant même d’avoir commencé son reportage. Pour le Front national, la cause est entendue : « Le Petit Journal est donc venu avec ses préjugés et un reportage déjà écrit à l’avance, tentant vainement au cours de la journée de coincer nos militants et de les pousser à la faute ». Conséquence de cette affaire, le « Petit Journal » sera désormais persona non grata dans les réunions du Front National. Fin 2013, Salhia Brakhlia ne pourra accéder à une conférence de Marion Maréchal-Le Pen que grâce au soutien de ses confrères de la presse locale. En janvier 2014, elle n’est pas autorisée à couvrir les vœux de la présidente du Front national.
En septembre 2015, elle fait ses débuts sur BFMTV. Tous les soirs, elle présente une pastille de décryptage médias “L’œil de Salhia Brakhlia”, diffusée dans l’émission de Jean-Baptiste Boursier, “Grand angle”. « Elle ne tendra plus un micro rouge mais un micro bleu », résume L’Express. Selon Libération, « outre la proposition de BFMTV, elle a été courtisée, au printemps, par trois médias, radio et télé. Ses nouveaux patrons lui ont promis un poste similaire à celui qu’elle occupait chez Canal+, mais dans un cadre plus flexible ».
Le 1er novembre 2015, elle s’invite chez Lucette, cette retraitée de Vandoeuvre-lès-Nancy, qui avait reçu François Hollande chez elle, autour d’une simple tasse de café, quelques jours auparavant. A cette occasion et en faisant parler Lucette, Salhia Brakhlia, révèle la supercherie et le montage de cette opération de communication, entièrement orchestrée par l’Élysée. Tout est faux ! Le décor, les chaises, la décoration et même le café ont été fourni par la mairie socialiste de Vandeoeuvre-les-Nancy. Quant aux questions à poser, elles ont été préparées par le service communication de l’Elysée : « j’avais dans l’idée de dire qu’il s’occupe beaucoup d’immigrés mais pas de clochards qui meurent pour ainsi dire dans la rue. Ça, fallait pas que je le dise », avoue la retraitée au micro de Salhia Brakhlia.
« Du décryptage chez BFMTV ? », commente Daniel Schneidermann dans son émission Arrêt sur Images, « pas si étonnant que ça : la séquence a été tournée par la journaliste Salhia Brakhlia, arrivée à BFM cet été en provenance… du Petit Journal de Canal+ ». Toutefois, le naturel revient au galop et la journaliste ne peut s’empêcher de réprimer son surmoi musulman, comme lors de son reportage sur la fête du cochon d’Hayange, où la volonté de désinformation est sous-tendue par une antipathie instinctive pour l’animal interdit. Elle regrette notamment que l’omniprésence du cochon « écarte pas mal de gens… Je pense notamment aux personnes musulmanes ou de confession juive ». Avec toute la fausse ingénuité qui la caractérise, elle demande au maire FN d’Hayange Fabien Engelmann pourquoi il n’organiserait pas la « fête du Makrout » dans sa ville.
Après trois ans chez BFMTV, elle rentre au bercail et rejoint l’équipe du Petit Journal, désormais Quotidien, sur TMC. Yann Barthès l’annonce officiellement sur Twitter le 15 juin 2018. Elle présente une pastille intitulée “Le Moment de Vérité”, référence à l’ancienne émission politique d’Antenne 2, “L’Heure de vérité”. Elle remplace occasionnellement Barthès lors de la première saison, avant de devenir son joker officiel la saison suivante (elle assure l’animation de l’émission certains vendredis).
La journaliste paie de sa personne lors des manifestations des Gilets Jaunes où “Quotidien” n’est pas tenu en haute estime. L’équipe de reportage, incluant Brakhlia, est confrontée par deux fois à Yvan Benedetti lors de l’Acte 3 des Gilets Jaunes le 1er décembre 2018 et lors de la manifestation anti-PMA le 6 octobre 2019 (où le matériel de reportage est endommagé). L’émission porte plainte contre Benedetti le lendemain.
La journaliste rallie la matinale de Franceinfo à la rentrée 2020, où elle présente l’interview politique de 8h30. Elle succède dans ce rôle à Renaud Dély. Cependant, elle conserve un pied dans la bande à Barthès en pilotant une rubrique dans la nouvelle formule du Quotidien Week End du vendredi. Mascotte un jour, mascotte toujours.
Ce qu’elle gagne
« Suffisamment pour manger » répond-elle à Libération.
Sa nébuleuse
Yann Barthès et l’équipe du « Petit Journal ».
Elle a dit
« Je n’ai pas d’avis particulier sur les élections, mais j’ai dit à ma mère de bien regarder chaque tract. La nouveauté peut faire du bien », La Voix du Nord, 3 mars 2014.
« Je suis contre le racisme, la xénophobie, l’injustice, et pour l’égalité », Libération, 31 août 2015.
« Mes questions restent sérieuses mais j’enrobe le tout avec des séquences qui font sourire. Ça ne change pas le fond mais le sujet devient beaucoup plus rigolo et sympa à regarder », Télérama, 6 mai 2014.
« Je n’ai pas l’impression de faire un journalisme particulier. Quand je vais interviewer un politique, je me demande juste ce que les gens aimeraient savoir, sans passer par d’énormes détours et en évitant le discours officiel. Les autres journalistes politiques ne sont pas aussi directs parce qu’ils ne bénéficient pas de la distance nécessaire pour le faire », Télérama, 6 mai 2014.
« L’idée, c’est de montrer l’envers du décor, je ne veux pas les casser à tout prix », Cheek magazine, 14 mai 2015.
Le Petit journal est-il une émission engagée ? « Non, mais il y a des sujets qui nous touchent particulièrement. Lors du débat sur le “mariage pour tous”, nous ne nous sommes pas dit qu’on allait faire des sujets uniquement en faveur du mariage. Mais quand on a couvert les manifestations des “anti”, on a entendu de telles choses qu’on était obligé de les montrer. Quand on va sur le terrain et qu’on voit que ça se passe comme cela, il faut évidemment le diffuser. Après, si les groupuscules d’extrême-droite qui composent “Jour de colère” trouvent qu’on est de parti-pris et nous en veulent, moi je m’en fous, j’ai fait mon travail », Télérama, 6 mai 2014.
Au sujet de Yann Barthès : « Il m’a formée, et j’ai énormément appris avec lui. Au bureau, il est effectivement beaucoup plus timide et réservé qu’à l’antenne, mais il a l’humilité de celui qui ne connaît pas le terrain et qui écoute, qui veut creuser, avec qui on peut toujours discuter. », Marie Claire, 2016.
Ils ont dit
« C’est le poil à gratter des politiques. Celle que l’on évite ‑ou que l’on cherche à croiser pour les plus audacieux d’entre eux- quand on l’aperçoit dans la salle des Quatre Colonnes. Elle est de tous les meetings politiques, de toutes les universités des partis ou presque. Salhia Brakhlia, 27 ans, est cette journaliste-terreur qui pose les questions qu’une grande partie de ses confrères ne se risque même pas à murmurer dans son sommeil. C’est celle qui ose, toujours avec le sourire et le micro du Petit Journal tendu vers les bouches qui veulent bien se desserrer le temps d’une phrase ou deux », Cheek magazine, 14 mai 2015.
« A force de décrypter, au quotidien, les techniques de communication des hommes et femmes de pouvoir – sa spécialité au Petit Journal – la journaliste est passée maître dans l’art de contrôler sa propre parole », Elise Godeau, Salhia Brakhlia, joie cathodique Libération, 31 août 2015.
« Plus le terrain est glissant, et plus elle verrouille sa com. Argent, religion, politique : autant de domaines qui lui inspirent des poncifs dignes des plus grands champions de la langue de bois politicienne. Elle gagne “suffisamment pour manger”, n’est “ni de droite ni de gauche”, mais se dit attentive aux “idées” et aux “convictions” des personnalités politiques. (…) Pas révolutionnaire pour un sou, et elle le fait exprès », Elise Godeau, Salhia Brakhlia, joie cathodique Libération, 31 août 2015.
Brakhlia a « quelque chose à apporter » à BFMTV parce qu’elle est « hypermoderne, jeune et d’origine maghrébine ». « C’est plus transgressif pour elle d’aller là-bas que de rester à Canal », Quentin Margot, in Salhia Brakhlia, joie cathodique, Libération, 31 août 2015.
« Née en France en 1986, d’origine algérienne, de parents ayant monté leur petite entreprise, pour une fille qui ne sait pas si “à [son] âge, il y en a beaucoup qui ont autant de chance qu’[elle]” (Libération), le moins que l’on constate, c’est qu’envers le pays qui a donné leur chance à ses parents, elle n’a pas la reconnaissance du ventre. », Boulevard Voltaire, 9 septembre 2017.
« Salhia dit au charcutier qu’elle « n’aime pas le cochon ». Là, j’ai envie de lui dire comme aux enfants : « comment peux-tu savoir que tu n’aimes pas, si tu n’y as pas goûté ? ». Par exemple, moi, je sais que je n’aime pas les escargots de Bourgogne. Mais Salhia Brakhlia ne sait pas si elle aime le travers de porc. Elle est juste cochonophobe par principe.
Quand elle dit que « ça écarte pas mal de gens », elle précise : « je pense par exemple aux musulmans ou aux personnes de confession juive, pour ne citer qu’eux ». J’adore « personnes de confession juive » : ça doit écorcher la bouche de dire « les Juifs ». Ça me fait penser aux cathos qui disent « personnes homosexuelles » pour ne pas réduire les gens à leur vice. Salhia, c’est pareil, elle ne veut pas réduire les Juifs à leur vice qui est d’être juifs. En revanche, les « musulmans » ne sont pas des « personnes de confession musulmane ».
On remarque qu’elle ne pense pas aux végétariens. Elle n’y pense même pas du tout puisqu’elle a demandé au charcutier ce qu’elle pouvait manger « comme viande » si elle ne prenait pas de cochon. Les végétariens ne peuvent pas manger de viande du tout, donc la fête de Salhia ne leur conviendrait pas mieux. Et puis les personnes allergiques au gluten, elle y a pensé, Salhia ? Eux, ce sont les desserts qu’ils ne peuvent pas manger à la fête du cochon. Pareil pour les gens allergiques aux œufs. Et puis, imaginons qu’on ait prévu un stand pour les cochonophobes, je pense que Salhia ne serait pas plus satisfaite parce que les steaks ne seraient pas forcément certifiés halal. Du coup, « ça écarte pas mal de gens ».
Bon ensuite, Salhia n’est pas contente parce qu’elle n’arrive pas à trouver une oreille compatissante pour son problème : « ça vous dérange pas? » On remarque que les gens sont polis : ils acceptent de lui répondre, en dépit de son regard que l’on devine chargé tout à la fois de sarcasme, de mépris et de détestation. Les gens lui répondent, et avec le sourire, même les gros costauds tatoués. Pourtant, ils auraient des raisons de s’énerver. Alors que Juifs et végétariens ne se sentent tout simplement pas concernés par la fête du cochon, Salhia, elle, est dans une posture militante, celle de l’intimidation : il s’agit de susciter la honte chez ceux qui osent manger du porc quand d’autres ont fait le choix de n’en pas manger, de leur faire sentir que cette fête, parce qu’elle est discriminante, ne devrait pas exister. », Ingrid Riocreux, Causeur, 12 septembre 2017.
« Et alors qu’un courageux réfractaire à la pensée réactionnaire rappelle à la face de Zemmour que la France a été construite par des immigrés, le polémiste révèle, rigolard, et avec l’œil narquois qu’on lui connait bien, qu’il habite dans un immeuble parisien de 1840 et que, « pour construire la cathédrale de Notre Dame de Paris, on n’a pas vu beaucoup de travailleurs algériens » non plus. Faux, s’indigne Salhia Brakhlia : « Là aussi, l’histoire a retenu autre chose. » S’ensuivent des images documentaires en noir et blanc d’ouvriers du bâtiment avec les précisions utiles en voix off: « Début des années 60, la France connait un véritable boom économique, et les Algériens arrivent par bateaux entiers. […] Partout où il faut construire, ils vont fournir une main d’œuvre à bas prix. » Laconique et sentencieuse, notre journaliste de conclure sur les méthodes de Docteur Zemmour en retour plateau, les yeux dans les yeux : « Ça s’appelle réécrire l’histoire. » Laquelle a évidemment retenu que la France avait été construite par les Algériens. », Martin Pimentel, Causeur, 21 février 2019.