Gueule d’atmosphère
« L’écologie n’est pas une cause. C’est une question de survie collective », Arrêts sur image, 24/06/2022.
Contrairement à Arletty, Salomé Saqué peut se targuer d’une fort télégénique « gueule d’atmosphère ». Fille d’enseignants dont elle a hérité le ton didactique et assuré, elle est l’incarnation idoine des aspirations de la jeunesse urbaine et connectée, éprise de justice sociale et climatique, dont la culture politique est aisément résumable dans un statut Instagram ou une vidéo Brut montée à la serpe. Plutôt formée pour la presse écrite, elle doit sa notoriété à une intervention télévisuelle partagée massivement où elle semble admonester des boomers ne prenant pas assez au sérieux à son goût le dérèglement climatique. Un pied sur le service public et l’autre dans les médias indépendants (d’extrême-gauche, cela s’entend), elle se décrit volontiers comme « une journaliste économique », une matière qu’elle n’a pourtant jamais étudié et qu’elle ne voit pas comme « une science dure ». Originaire d’un petit village du sud de l’Auvergne, elle doit toutefois à sa jeunesse rurale des convictions écologistes plus ancrées que ses consœurs parisiennes. Portrait d’une jeune pousse dont le discours prend plus que jamais racine dans les cervelles de pois chiches.
Formation
Du fait de la localisation reculée de son village, elle est interne au lycée Marcel Gimond d’Aubenas.
Elle intègre la prépa littéraire du lycée Édouard Herriot de Lyon en 2015 (spécialité histoire-géographie) sans savoir qu’elle s’apprête à préparer le concours de l’École normale Supérieure. À l’issue de celle-ci, elle entre en troisième année de licence de sciences politiques à l’université de Lyon II. Elle en profite pour prendre des cours de théâtre au conservatoire de la capitale des Gaules.
En 2017, elle pose sa tente à l’Université Computense de Madrid à l’occasion d’une année d’échange universitaire en géopolitique et journalisme. Sa première approche concrète du journalisme date de cette période. Elle se passionne pour le conflit israélo-palestinien et se rend sur place pour effectuer son premier reportage. Son professeur de droit espagnol la recommande pour un stage qu’elle effectue sur la radio publique RTVE.
Suite à cette expérience fondatrice, elle débarque à Paris en 2018 et fait l’expérience de la précarité, passage obligé des enfants de la classe moyenne dans la capitale. Son père devra contracter un prêt pour l’aider à boucler ses études. Jonglant entre les petits boulots, les stages et les voyages en sac à dos relayés sur Instagram, elle trouve le temps de décrocher deux masters. Le premier en politique russe et conflits au Moyen-Orient à l’American Graduate School (son mémoire est consacré aux relations diplomatiques entre la Russie et l’Afghanistan) et le second à Paris Sud en droit international et européen.
Suite à son stage réussi à France 24, elle se décide enfin à suivre un cursus spécialisé en journalisme. Elle mène de concert ses études et son activité professionnelle en pigeant pour France 24 la nuit et en suivant les cours de son master de journalisme à la Sorbonne Nouvelle le jour. Dans un reportage de France 3, il est précisé qu’elle a « obtenu toutes les bourses [possibles] pour financer ses études de droit international ».
Parcours professionnel
Audiovisuel
Elle effectue un premier stage de cinq mois à France 24 en 2018 (« les stages télés étaient rémunérés, et m’évitaient d’avoir deux boulots à côté »), à l’issue duquel elle est embauchée comme assistante, puis comme rédactrice un an plus tard. Dans la foulée, elle apparaît pour la première fois à la télé en juin 2019.
Se sentant bridée sur un média de service public, elle se consacre bénévolement sur son temps libre à des sujets pour Le Vent Se Lève où elle fonde le pôle vidéo. Sa notoriété dépasse l’étroit cercle associatif d’extrême-gauche lorsqu’elle va sur le terrain couvrir les exactions policières lors de l’épisode des Gilets Jaunes. « Ça a été le point de départ de mon engagement pour plus de liberté éditoriale. J’ai vu le hiatus entre la réalité et ce qu’on montrait dans les médias ». Début 2019, elle reçoit notamment dans le modeste studio du média des manifestants estropiés. Selon elle, sa jeunesse rurale explique qu’elle soit plus en phase avec les préoccupations de la France périphérique.
C’est là qu’elle est repérée par Denis Robert, ancien journaliste d’investigation de Libération, qui lui propose de le rejoindre sur Le Média, vaisseau-amiral médiatique de la mélenchonie, dont il est directeur de la rédaction. Elle y anime quelques émissions.
Suite à des différends avec des journalistes (« de vrais idéologues, des sortes de crypto-communistes, qui ne voulaient simplement pas de chef ») qui l’amène à être licencié pour faute grave, Denis Robert lui propose de la rejoindre dans l’aventure Blast au début de l’année 2021, un pure player qu’il vient de fonder et qui reprend les mêmes codes et thématiques que Le Média. Saqué est responsable du pôle économie à la rédaction. Les titres des vidéos sont éloquents : « Payons-nous trop d’impôts ? », « Faut-il en finir avec l’héritage ? » ou encore « Pourquoi fumer c’est de droite ».
Parallèlement, ses incursions sur le service public se font plus régulières à compter de 2021 : chroniqueuse sur
LCP dans l’émission « Ça vous regarde » jusqu’à l’été 2022, elle a également son rond de serviette au sein du « Club 28 minutes » diffusé sur Arte et sur le plateau de C politique animée par Karim Rissouli tous les dimanches à 18h30.
Radio
Côté radio, elle officie notamment sur France Info pour animer « Un degré de conscience » aux côtés de la scientifique Emma Haziza. Parallèlement, elle prête occasionnellement sa voix au journal audio du Monde diplomatique qui consiste à proposer aux abonnés une sélection d’articles en format podcast.
Presse écrite
Au-delà d’un stage anecdotique au Monde Diplomatique, elle signe des chroniques dans Socialter sur des sujets connexes à la politique et l’économie.
Parcours militant
À Télérama, elle précise « qu’elle réfute le terme militante, ne participe à aucune asso ou parti politique ».
Selon un article paru dans Stratégies, elle est décrite comme « proche du mouvement Podemos ». Le Monde souligne que la faculté de sciences politiques de l’université Computense de Madrid, où elle effectue son année d’échange universitaire, est le berceau du mouvement d’extrême-gauche qui se coalise en 2014 autour d’universitaires, dont le secrétaire général Pablo Iglesias, qui y enseignait les sciences politiques.
Au sujet d’Alexandra Ocasio-Cortez, elle déclare que c’est l’une des rares femmes politiques qu’elle trouve « vraiment intègre et en phase avec les enjeux de notre temps ».
Pour ce qui est de ses lectures, elle révèle que Beauté fatale de Mona Chollet est le premier livre féministe qu’elle a lu et que cette lecture lui a permis de prendre conscience de toutes les oppressions que les femmes peuvent subir. « Ce livre parle du rapport à la physique, à la beauté et que le rapport que les femmes ont à leur physique est éminemment politique ».
Publications
- Sois jeune et tais-toi : Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse, Payot, mars 2023
Collaborations
En 2019, elle anime sa première table-ronde d’envergure sur le thème de l’écologie populaire. Elle modère une discussion à laquelle prennent part Aurélien Taché, Delphine Batho et Adrien Quatennens.
En mai 2022, elle participe à une table ronde intitulée «Concentration des médias : indépendance économique, indépendance éditoriale» à l’occasion des Assises du Journalisme à l’instigation de l’Ecole de Journalisme de Tours. Quelques mois auparavant, c’était à la Bourse de Paris qu’elle intervenait, toujours sur le même sujet.
Actrice déçue de son propre aveu, elle monte pourtant sur scène le temps d’animer deux tables rondes la contre-soirée électorale de Guillaume Meurice tenue au théâtre de la Cigale le 2 mai 2022. Parmi les intervenants figurent notamment Arié Alimi, avocat de Taha Bouhafs, et l’humoriste ricaneur de Quotidien Pablo Mira. Sur Facebook, elle tient à saluer « ces artistes talentueux qui ont réussi à nous faire rire un soir d’élection ».
Invitée du Festival International du Journalisme de Couthures, piloté par Le Monde, en juillet 2022, elle est interviewée à cette occasion sur les ondes d’une radio locale.
Vie privée
Aînée de trois enfants, elle est la fille d’enseignants en lycée professionnel qui ont quitté la région parisienne pour l’Ardèche alors que leur fille était enfant. Son père est professeur d’histoire.
Ils ont dit
« Lors d’une émission consacrée à la COP 26, la journaliste ne s’est pas laissé déstabiliser par les rires moqueurs de chroniqueurs, qui furent qualifiés par la présentatrice Élisabeth Quin de « boomers ». La relève semble assurée », Télérama, 05/01/2022.
« Étienne Gernelle du “Point” et moi-même répondons aux questions d’Elisabeth Quin sur le changement climatique. Nous insistons tous les deux sur l’urgence de la situation (nous ne sommes pas climatosceptiques et encore moins crétins), et nous pointons le fait que la France ou l’Europe seules ne changeront pas la donne, les cartes étant surtout entre les mains de la Chine, de l’Inde ou du Brésil.
Ensuite Salomé Saqué intervient. Mais, au cours de son développement (le plus long des trois intervenants, notons-le au passage), qui ne suscite aucune hilarité, elle explique que sa génération ““va vivre l’effondrement””. À ce moment Etienne Gernelle lance ironique : ““Merci pour nous”” ! Car elle semble effectivement laisser entendre que les vieux, eux, seront morts et enterrés à ce moment, une expression pour le moins maladroite alors. C’est sur ce point qu’on éclate de rire, pas sur le changement climatique. Pour information, le “club” de “28 minutes” est un lieu de débat détendu où le rire n’est pas interdit ou vécu comme une trahison. Salomé Saqué elle-même rit et termine son développement sans plus être interrompue, même si, il est vrai, on a du mal à calmer nos fous rires. On mesure donc la gravité de l’affront fait à la cause du changement climatique… », droit de réponse de Jean Quatremer, Arrêts sur images, 12/01/2022.
« Cette courte séquence est devenue un buzz parce que Salomé Saqué a posté sur ses réseaux l’extrait en question (ce qui au passage n’arrange pas le bilan carbone de la planète…), mais sans le contexte. Il faut dire que la phrase d’accompagnement était ambigüe : “Lorsque je parle changement climatique à la télévision” », droit de réponse de Jean Quatremer, Arrêts sur images, 12/01/2022.
« On peut y voir une Antigone entre deux oncles Créon, prête à tout pour ne pas se taire. Une jeunesse révoltée du monde, du patriarcat, de l’immobilisme, des traditions de pensées, une jeunesse déçue, tentant de trouver l’énergie pour déstabiliser l’ordre établi. Energie que la jeune femme porte en elle depuis longtemps. Car qu’on ne se méprenne pas, Salomé Saqué n’est pas le fruit d’un buzz. Elle a la voix déterminée, le verbe clair, tout est ancré. Son regard porte au loin, pointant le dernier rang. Le secret d’un savoir-dire qu’elle doit à ses 15 ans de théâtre, et quelques cours au conservatoire de Lyon, à lire et relire Marivaux, qu’elle adore, « jouer le burlesque et faire rire », Stratégies, 17/02/2022.
« Certains verront une jeune idéaliste. Mais comme une part croissante de sa génération — et comme Antigone face au réel — elle ne veut pas d’enfant. « Pas dans un avenir aussi hostile », rétorque-t-elle. Elle assume fermement une position qu’en silence, sûrement beaucoup comprennent », Ibid.
« L’année 2020 commence tard mais bien, Salomé Saqué démarre avec un séjour à Cuba. Petite mention pour ce poste ou elle se remémore son 20m² parisien. Appartement qu’elle a rarement connu puisqu’elle est toujours à des milliers de kilomètres de Paris. Surtout que quand elle n’est pas en vacances elle est chez ses parents en Ardèche. Mention également pour cette publication, où Salomé Saqué se félicite de l’agriculture biologique cubaine sans pesticides ni produits chimiques alors qu’ils en ont tout simplement pas accès à cause de l’embargo américain. « Les méthodes agricoles sont traditionnelles, loin du productivisme occidental. Privés de machines agricoles, les champs sont labourés par la traction des bœufs, le manioc est découpé à la machette, et l’élevage des animaux se fait dans de petits enclos ou dans le jardin des particuliers. » Pays qui je le rappelle, a salaire moyen avoisinant les 30€ ; en soit une toute petite différence face aux dépenses mensuelles supérieures à 5 000 € de notre journaliste. L’écologie c’est bien mais pour les autres, si on veut garder son rythme de vie de bobo parisien, cela n’est malheureusement pas trop compatible. Notre spécialiste de l’écologie oublie malencontreusement que Cuba n’est pas indépendant au niveau de la nourriture et importe entre 30 et 40% de sa nourriture (avec certaines estimations tournant autour de 80%) pour subvenir à ses besoins. Étrange d’oublier de parler de la malnutrition très présente sur l’île. Mais bon, le plus important c’est qu’ils soient écolos les cubains après tout ! », L’explorer économique, 11/06/2022.
« Effectivement, quand je suis arrivée à HEC, on ne parlait pas du tout du fait que les métiers auxquels nous étions formés étaient la principale cause du dépassement des limites planétaires. C’est grâce à des conférences sur YouTube, comme celles de Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, Dominique Bourg ou Gaël Giraud, et des comptes Instagram, comme ceux de Salomé Saqué ou Bon Pote, que j’ai pris conscience de cela », Anne-Fleur Goll, étudiante d’HEC, Challenges, 09/12/2022.
Sa nébuleuse
Denis Robert fondateur de Blast, pour qui la jeune femme « est précise, méticuleuse et ne se laisse pas marcher sur les pieds ».
Pour sa rédactrice en chef à Blast, Soumaya Benaissa, passée par Public Sénat et France 24, Salomé « est une journaliste engagée, mais pas partisane, qui travaille énormément ses sujets, et qui met à disposition ses sources documentaires dans une volonté de transparence pour que les spectateurs puissent aussi se forger une opinion ».
Antoine Cargoet, fondateur du Vent se Lève, qui estime que « Salomé ne sait pas mentir. Elle incarne tout ce qu’elle dit car elle y croit ».
Elle est invitée en 2022 sur un podcast féministe aux côtés de Paloma Moritz, formée à Sciences Po et passée par Le Média, actuellement responsable du pôle écologie chez Blast et Camille Étienne, une ancienne étudiante de Sciences Po, porte-parole de différents collectifs écologistes et partisane de la décroissance, comme elle l’expliquait aux participants de l’université d’été du Medef en 2020.
Cette même Camille Étienne est la nouvelle rédactrice en chef de Socialter, une publication dans laquelle Salomé Saqué livre une chronique mensuelle consacrée à des sujets politiques ou économiques.
Elle confie à Elle qu’elle « organise régulièrement des dîners avec des collègues femmes. « C’est notre girls club ».
Elle l’a dit
« Je suis fatiguée d’être une femme journaliste et de recevoir ce genre de commentaire quotidiennement. Oui, tous les jours. Tous les matins, j’allume mon téléphone et je lis qu’on veut me “baiser”, me “brouter”, et parfois me « violer », Twitter, 13/01/2021.
« Les images et leur viralité, c’est la manière la plus efficace aujourd’hui de mener la bataille des idées. Et pourtant, je viens du monde de l’écrit… J’adore Le Monde diplomatique par exemple. Mais face à CNews, et aux contenus virilistes ou réacs qui circulent sur Internet, il ne faut pas déserter ce terrain », Le Monde, 30/01/2022.
« J’aurais préféré ne jamais avoir à dire à la télévision que je suis terrifiée, mais je ne sais plus comment faire pour informer sur la gravité de la situation. Appliquer maintenant les solutions que propose le GIEC, c’est le seul espoir qu’a ma génération de pouvoir vivre dans un monde habitable. Et dans cette vidéo, je ne prends pas « position ». Ceci n’est pas une “opinion”. Le rapport du GIEC n’est pas une opinion. C’est la synthèse de 18 000 papiers scientifiques. Je rappelle que les 278 autrices et auteurs principaux ont répondu à 59 212 commentaires des gouvernements et d’experts. C’est tout simplement la synthèse du savoir que l’on a aujourd’hui sur le dérèglement climatique », LinkedIn, mars 2022.
« À titre personnel, je l’admets volontiers : j’ai parfois involontairement écrit des choses imprécises, voire fausses, que j’ai rectifiées dès que j’en ai été informée. Parce que je ne suis pas surhumaine, parce que je peux me tromper, voire me faire moi-même berner ou manipuler. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que ça ne soit pas le cas, mais je suis convaincue qu’assumer mes failles et affirmer mon honnêteté est plus constructif que ladite neutralité », Socialter, 09/08/2022.
« Mais je pense qu’il y a un vrai problème structurel de financement des médias et d’indépendance des médias ; après il y a par exemple Arte, Cash Investigation, Envoyé Spécial, Le Monde, qui font des enquêtes incroyables, par exemple sur « Comment l’extrême droite a infiltré les médias » : ça serait dommage de s’en priver juste parce que ce sont des médias dit traditionnels ; mais évidemment il faut garder un esprit critique, regarder qui écrit, à quel.le journaliste on peut faire confiance… », Sciences Po Lille, 31/10/2022.
Illustration : capture d’écran vidéo HuffPost via YouTube