Idole des vieux, dragueur de jeunes
Issu d’une famille d’agriculteurs et de commerçants rennais, son père poissonnier lui transmet la passion de la presse écrite. Hyperactif au sommeil léger, l’homme est passé par de multiples cases de l’audiovisuel privé et public, fort d’un sourire ravageur et d’une plastique qui lui valut le statut de « bombe du mois » dans Têtu en 1994. Pilier de France 3, il est séduit par Twitch où ses revues de presse rassemblent des dizaines de milliers de « viewers ». Simple désir de réduire la fracture médiatique ou symptôme d’une volonté de faire d’Internet une « télé bis » en uniformisant un espace numérique potentiellement dissident ? À l’heure où les youtubeurs médiatiques sont courtisés par le pouvoir et bénéficient de subventions du CNC, la question reste ouverte.
Formation universitaire
Samuel Étienne voit le jour le 20 mai 1971 à Rennes. Après son baccalauréat série C, obtenu au lycée privé catholique Saint-Vincent Providence dans cette même ville, il est reçu au concours de Sciences Po Paris, où il fait sa rentrée en 1989. « Un passage seulement, pas de diplôme », comme il l’explique, car la formation ne lui plait pas. « J’ai toujours eu du mal à recevoir le savoir, être en position de celui qui reçoit un peu passivement. Ça ne m’a pas plu », confie-t-il.
Il devient alors journaliste avant de revenir à Sciences Po quelques années plus tard, après avoir réussi le concours pour entrer en quatrième année. Il décide à nouveau d’arrêter pour se consacrer à sa carrière professionnelle. Après être revenu dans sa ville natale pour étudier le droit, il intègre l’ESJ de Paris dont il ressort diplômé en 1994.
Parcours professionnel
À ses débuts il collabore à plusieurs journaux : Globe Hebdo, Ouest-France, La liberté du Morbihan, puis après un passage sur Nostalgie, il rejoint RFI où il présente pendant plusieurs années les journaux et la revue de presse.
En 1999, il participe au lancement de i>Télé et présente dès 2002 les journaux du soir sur la chaîne. À partir de 2004, il anime une émission quotidienne, de débat, « N’ayons pas peur des mots ».
En 2006, il est le premier choix de France 3 pour la présentation de son nouveau magazine culturel « Ce soir ou jamais ». Il refuse, alléguant qu’il devait relever le défi de l’information dans le contexte des présidentielles. C’est Frédéric Taddeï qui décrochera le rôle, avec le succès que l’on sait.
Continuant son ascension dans le groupe, il va assurer la présentation hebdomadaire du JT de Canal+. En septembre 2007, il est propulsé à la tête d’une nouvelle émission, « L’Édition Spéciale », l’ancêtre de « La Nouvelle Édition » qui lui a succédé en 2011.
Un an plus tard, il rejoint le service public et présente plusieurs magazines : « Comme un vendredi », « Téléscopie », « Questions de génération » sur France 4. Parallèlement, il devient le présentateur remplaçant des journaux du week-end et plus tard des journaux de la semaine.
Entre janvier et juin 2010, Samuel Étienne présente l’émission « 18:30 aujourd’hui », du lundi au jeudi sur France 3. Le magazine n’est pas reconduit, tout comme « 7 à voir » et « Questions de génération » qui prennent également fin à cette période. Devenu une valeur sûre de France 3, Samuel Étienne devient le présentateur du journal 12/13, à la rentrée 2010. Le journaliste mène aussi une carrière à la radio, où il présente la revue de presse matinale sur Europe 1 lors des vacances de Natacha Polony. Alors qu’il officiait à Europe 1 depuis 2012, il quitte ses fonctions en 2017 pour accompagner le lancement de France Info.
En janvier 2016, France 3 crée la surprise en annonçant son arrivée à la tête du jeu Questions pour un champion, en remplacement de Julien Lepers, brutalement évincé par Delphine Ernotte. En 2019, il se félicitait du succès de la nouvelle mouture de l’émission dans les colonnes du Figaro : « Quand j’ai pris les rênes du jeu, il perdait un peu de terrain depuis quinze ans. Le défi était de stopper l’érosion d’audience et de remonter les chiffres. On a réussi à le faire. Aujourd’hui, on compte une moyenne de 1,5 million de téléspectateurs chaque soir malgré une forte concurrence ».
En même temps, à partir de 2017, il présente le « 6h Info » sur France 2 et la matinale de Franceinfo.
Après avoir participé à plusieurs émissions de son ami et « streameur » Étoiles, Samuel Étienne saute le pas et lance le 18 décembre sa chaîne officielle sur Twitch. Trois jours plus tard, il présente sa première revue de presse quotidienne sur la plateforme, « La matinée est tienne ». Quelques semaines plus tard, et à sa plus grande surprise, sa chaîne totalise 350 000 abonnés.
Sa popularité est telle qu’il ne tarde pas à recevoir des invités prestigieux souhaitant s’adresser à un public situé hors des radars des médiats traditionnels. L’entretien avec François Hollande réalisé le 8 mars 2021 rassemble 84 000 spectateurs en direct et est revu plus de 70 000 fois en différé, (la vidéo est d’ailleurs la plus regardée dans le monde pendant le direct). Une semaine plus tard, Jean Castex réunit lui aussi 80 000 spectateurs, même si sa prestation est jugée peu convaincante. Alors que d’aucuns saluent cette initiative rafraîchissante, certains utilisateurs de la plateforme déplorent la politisation de Twitch à l’approche des présidentielles. Ces réactions témoignent d’une crainte que Twitch ne s’aligne sur les médias dominants et que la liberté de ton qui la caractérise n’en pâtisse. Par ailleurs, son hostilité déclarée à l’égard de Marine Le Pen, que le journaliste refuse de recevoir dans son « home-studio », n’est pas susceptible de rassurer les sceptiques.
Parcours militant
Libération vend la mèche dans son portrait daté du 26 mars 2021 : « Dans l’isoloir, il aurait ainsi toujours été “le mouton noir de sa famille” de commerçants. Ce qui devrait le situer plutôt à gauche. »
Il gagne
Son prédécesseur sur « Questions pour un champion », Julien Lepers, gagnait environ 40 000 € par mois pour six jours d’enregistrement.
« Je gagne zéro euro avec Twitch » assure-t-il à TV Mag. « J’ai fermé le système d’abonnement qui permet de gagner de l’argent car c’était une simple expérience. »
Cependant, la question n’est pas close : « Cette revue de presse est un vrai travail de deux heures à l’antenne, avec deux heures de préparation minimum, explique-t-il à TV Mag. Est-ce que cela peut générer une rémunération ? C’est une réflexion que je suis en train de mener, notamment avec France Télévisions dont je suis salarié ».
Vie privée
Le Breton est marié depuis 2015 avec Helen Étienne (née Roth), responsable du site web de Swatch France, qu’il rencontre alors qu’elle était stagiaire à France Télévisions. Il réside dans un appartement de 170 m2 dans le XVIIe arrondissement de Paris. Le 30 août 2016, le couple donne naissance à un petit garçon, Malo. Le 12 février 2020, il annonce sur Twitter, la naissance de son deuxième fils, prénommé Solal.
Collaborations
En octobre 2010, il participe à un concert de solidarité organisé par France 3 en hommage à Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, deux journalistes français alors retenus en Afghanistan depuis 300 jours et qui seront libérés en juin 2011. Il est présent aux côtés de Patrick Bruel, Alain Souchon, Zazie ou encore Stromae.
Distinctions
Il a été nommé au grade de chevalier des Arts et des Lettres en janvier 2021 par le ministère de la Culture. Sur le site du ministère, il est indiqué que « cet ordre est destiné à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution au rayonnement qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde ».
Il l’a dit
« Ce que j’ai essayé d’apporter, c’est que l’on soit au-delà d’un jeu de culture générale. Mon idée est qu’on soit tellement dans la détente, le sourire, que même quelqu’un qui ne trouverait jamais les réponses puisse passer un bon moment ! […] Ce n’était pas un objectif en soi pour moi parce que les téléspectateurs se valent tous, mais l’audience s’est un peu féminisée, a un peu rajeuni, comme les candidats », Sud Radio, 22/02/2019
« J’ai entre 10.000 et 15.000 personnes qui me suivent le matin se réjouit-il et 85% des gens qui me regardent ont entre 18 et 35 ans. Ils ne regardent pas beaucoup la télé, n’écoutent pas beaucoup la radio et ne lisent pas beaucoup les journaux. Il y a sans doute une faute de notre côté estime le journaliste. Peut-être qu’on n’a pas su inventer les nouveaux programmes pour les intéresser ; je leur dis ‘lisez les journaux !’, je leur dis mon amour pour la presse », ibid.
« Sur #Twitch, je ne suis ni journaliste ni présentateur de #QPUC. Je suis là en tant que citoyen, à la maison. Je ne recevrai pas le Rassemblement national chez moi ! », Twitter, 10/03/2021
« Oui, je confirme que, parce que mes valeurs, mes convictions, ne sont pas celles de ce parti, je ne veux pas recevoir l’un de ses membres chez moi, dans mon foyer. Mais mon stream est mobile et je peux organiser cette émission en dehors de mon domicile », Twitter, 11/03/2021.
« Plus on la professe, plus on la récolte, même sur les réseaux sociaux! Avec ma femme et mes parents, je ne partage pas les mêmes idées politiques, mais on échange. C’est mon message. Je ne suis pas là pour plaire à tout le monde. J’entends les critiques et certains me reprochent de faire entrer la politique sur Twitch. Mais je persiste, car c’est un outil démocratique pour échanger directement avec les politiques à qui l’on reproche d’être enfermés dans leur tour d’ivoire », Paris Match, 21/03/2021.
Au sujet de Marine Le Pen : « Je l’ai déjà interviewée deux fois sur Canal+ et France 4. Déstabilisée, elle a perdu son sang-froid. Elle ne veut plus me recroiser », Libération, 26/03/2021.
Ils ont dit
« Ce que les gens détestent sur Internet, c’est le côté arriviste […]. Surtout qu’on a déjà tellement l’habitude d’être jugés par divers animateurs de télé et certains médias. Mais, quand Samuel est arrivé sur la plate-forme, les gens ont bien vu qu’il était hyper bienveillant, hyper gentil, et qu’il voulait vraiment découvrir notre monde sans nous juger. On a senti que ce n’était pas une stratégie pour être apprécié, mais qu’il avait une vraie curiosité, et qu’il prenait du plaisir à découvrir notre monde. », Pierre-Alexis Bizot/Domingo, Le Monde, 29/01/2021.
« Morale de l’épisode ? Du côté des politiques, rien de neuf. Depuis qu’existe la télévision, dès qu’ils flairent un robinet à empathie et à complaisance, ils se précipitent pour chanter les Feuilles mortes, ouvrir leur frigo, blagouner, jouer avec le chien, peigner le chat, tâter le cul des vaches, monter sur le tracteur, cueillir des pommes, pouponner le poupon, sillonner les dunes à vélo. Samuel Étienne prenait simplement place dans la longue lignée des Drucker, Sébastien, Sabatier, Denisot, Fogiel, Ardisson, Ruquier, etc.
L’expérience est plus révélatrice sur les aléas de la popularité, et de la construction de la confiance, sur Internet, dont il est ainsi confirmé que le principal ingrédient est la sincérité de la démarche. Du présentateur télé, on attend avant tout du charisme. Un peu d’acidité ne nuit pas. Du youtubeur, de l’influenceur ou du streamer, son public attend sincérité et bienveillance. On est entre nous, au chaud, dans la communauté : toute acidité serait mal vue. Mais dans cette bulle de bienveillance, ne s’introduit pas qui veut », Daniel Schneidermann, Libération, 09/03/2021.
« Et puis toute la presse va dire : ‘Mais il est merveilleux ! Il est tellement gentil ! Il est tellement bienveillant ! Il est tellement formidable !’. C’est juste 25% des Français à qui on dit : ‘On ne vous parle pas à vous !’. C’est le mépris ! C’est le mépris institutionnel ! Et c’est payé par le service public ». […] Il veut avoir des bons papiers dans ‘Télérama’ ”, “être invité sur France Inter” et “avoir de bons articles de ses confrères”. “Il faut du courage pour inviter Marine Le Pen ! », Pascal Praud, L’Heure des Pros, 10/03/2021.
« On reproche aussi aux politiques et à Samuel Étienne par le canal qu’il fournit de faire de Twitch un espace politique en prévision de l’élection présidentielle de 2022. Mais ce que les viewers ont tendance а oublier, c’est qu’une fois encore, les concernés n’ont pas attendu Samuel Étienne. Jean-Luc Mélenchon notamment avait déjà mobilisé son équipe de communication autour des médias comme Youtube ou Twitch dès 2017 et ce de manière massive. En raison de sa défaite, on peut supposer que la résonance réelle d’une plateforme comme Twitch soit finalement plus faible qu’on ne le pense, et ne représente donc pas un enjeu aussi capital que semblent le penser la communauté », L’EMIcycle, 13/03/2021.
« Ce VRP de la presse écrite voit en Twitch un espace de détente et d’autodérision “avec ses blagues toutes pourries”. “Ethnologue en terre inconnue’’, il adore blablater avec les 18–35 ans, ces enfants du tout-numérique à la curiosité en arborescence et aux défiances d’importance. Piochant dans le Monde, Libé, l’Huma, la Croix ou l’Opinion comme dans les quotidiens régionaux, il pointe les divergences d’opinions qui font la démocratie, insiste sur la vérification des sources. Ça infuse. Certains s’intéressent. Il arrive même qu’ils s’abonnent », Libération, 26/03/2021.