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Sandrine Treiner

16 février 2023

Temps de lecture : 10 minutes
Accueil | Portraits | Sandrine Treiner
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Sandrine Treiner

Temps de lecture : 10 minutes

Fin de l’ambiance Corée du Nord à France Culture

Démissionnaire de la direction de France Culture suite aux révélations l’accablant de gestion dictatoriale, Sandrine Treiner a quitté la station après près de huit ans de loyaux (à défaut d’être bons) services. Portrait d’une directrice retors, qui se considérait pourtant comme une femme empathique.

Après avoir tra­vail­lé avec des per­son­nal­ités comme Olivi­er Bar­rot, Frédéric Tad­deï (dont elle est la con­seil­lère édi­to­ri­ale et rédac­trice en chef adjointe pour l’émission Ce soir ou jamais), Olivi­er Poivre d’Arvor (dont elle est le numéro deux à France Cul­ture), San­drine Trein­er avait finale­ment pris la place de ce dernier à la tête de France Cul­ture. Par­tic­i­pant au suc­cès gran­dis­sant de la sta­tion, elle assiste sous sa direc­tion à une hausse impor­tante des audi­ences, renou­velle des équipes qu’elle féminise et fait net­toy­er la grille des programmes…

À 58 ans, elle a dû démis­sion­ner de la sta­tion qu’elle dirigeait depuis près de huit ans. Dans le jour­nal Libéra­tion le jour­nal­iste Jérôme Lefil­iâtre con­fes­sait avoir « rarement […] sen­ti autant de dis­ci­pline intel­lectuelle chez quelqu’un », rel­e­vant son « humour acéré, plutôt vachard », c’est ce même quo­ti­di­en (tou­jours avec Jérôme Lefil­iâtre) qui a porté le coup qui lui sera finale­ment fatal.

Une enquête accablante

« Poli­tique de dén­i­gre­ment général­isé », « sys­tème de vio­lence et de soumis­sion qui neu­tralise par la peur », « man­age­ment bru­tal et vio­lent », « ver­ti­cal­ité dic­ta­to­ri­ale »… Les accu­sa­tions à l’encontre de l’ancienne direc­trice sont acca­blants. Le 22 sep­tem­bre, Libéra­tion pub­lie une enquête sur le com­porte­ment dic­ta­to­r­i­al de la direc­trice de l’antenne. Mono­logue en réu­nions, insultes aux équipes (« qu’est-ce que t’es conne », « ta chronique […] donne envie de se foutre en l’air »), licen­ciements sans expli­ca­tions…  L’enquête, révéla­trice, a ouvert une voie. Les réac­tions ne se font pas atten­dre du côté de la prési­dence de Radio France. Sou­tenant la direc­trice à laque­lle France Cul­ture devrait ses bons chiffres, Sibyle Veil met en place un « dis­posi­tif d’écoute » pour les salariés de la radio et les encour­age à faire part des dys­fonc­tion­nements ren­con­trés « en interne plutôt que de nour­rir des papiers qui ne per­me­t­tent pas d’établir des faits ». Une réflex­ion mal reçue par le per­son­nel de la radio, qui y voit un sou­tien de la prési­dente aux chiffres de la radio plutôt qu’au « bien-être des salariés ». De son côté, San­drine Trein­er accuse le « stress, la sur­charge des sujets » de l’avoir moins bien fait com­pren­dre ses salariés.  Elle se cache aus­si oppor­tuné­ment der­rière son sexe pour jus­ti­fi­er le traite­ment qui lui est alors réservé, esti­mant que « tout est plus périlleux pour les femmes. J’en ai moi-même fait les frais par le passé. Pour les femmes en respon­s­abil­ité, d’une manière particulière ».

Une démission d’un « commun accord » qui n’a pas trainé

N’attendant pas les résul­tats de l’audit interne (d’un bud­get max­i­mum de 215 000 euros), Trein­er démis­sionne le 24 jan­vi­er 2022. Avec près de 170 témoignages acca­blants, l’audit aurait encour­agé la prési­dence à deman­der à sa direc­trice de pren­dre le large.

Après sa démis­sion, saluée par la prési­dente-direc­trice de Radio France pour son « esprit de respon­s­abil­ité […] après treize années au ser­vice de la chaîne », c’est Flo­ri­an Delorme, jusqu’alors délégué aux pro­grammes de France Cul­ture, qui assure la direc­tion par intérim de la sta­tion. D’abord respon­s­able édi­to­r­i­al de « La col­lec­tion e=M6 », Delorme a inté­gré la Mai­son Ronde depuis 2006 et devint pro­duc­teur d’émissions de France Cul­ture (Cul­ture Monde…). Offi­cielle­ment, Trein­er quitte ses fonc­tions sur un com­mun accord avec la direc­tion de Radio France ; elle a annon­cé à ses équipes souhaiter « clore ce moment dif­fi­cile » tra­ver­sé par la radio depuis la dénon­ci­a­tion, en sep­tem­bre 2022 dans Libéra­tion, de ses pra­tiques man­agéri­ales tyran­niques. À ses équipes, elle a présen­té ses « regrets » et affir­mé : « Il va de soi que j’ai fait des erreurs, et j’en suis désolée ». Celle qui déclarait en 2017, « je me trou­ve énergique et con­va­in­cue. Cela ne fait pas de morts » aura au moins fait, au cours de l’exercice de son man­dat, quelques dépres­sifs...

Formation

  • Lycées Gabriel Fau­ré, Sophie Ger­main et Vic­tor Hugo (Paris).
  • Paris VII – Denis Diderot. Maîtrise d’Histoire.
  • 1987. IEP de Paris : diplômée d’un DEA d’Histoire du temps présent.

Parcours professionnel

  • 1986 — 1998. Le Monde : pigiste chroniqueur aux ser­vices lit­téraires puis à la radio-télévision.
  • 1998 — 2008. France 3 : rédac­trice en chef et pro­duc­trice artis­tique de l’émission Un Livre un jour. 
  • 2006 — 2008. France 3 : con­seil­lère édi­to­ri­ale de l’émission Ce soir ou jamais. 
  • 2008 — novem­bre 2010. France 3 : rédac­trice en chef de Ce soir ou jamais.
  • Octo­bre 2009 – novem­bre 2010. France 24 : rédac­trice en chef pour le ser­vice cul­ture, des grands entre­tiens et des débats.
  • Août 2010. France Cul­ture : dans l’émission La Grande Table, chroniqueur pour la lit­téra­ture et le cinéma.
  • Novem­bre 2010 – Jan­vi­er 2012. France Cul­ture : respon­s­able édi­to­ri­ale, con­seil­lère des programmes.
  • Jan­vi­er 2012 – 1er sep­tem­bre 2015. France Cul­ture : direc­trice adjointe chargé de l’éditorial.
  • Juil­let – 1er sep­tem­bre 2015. France Cul­ture : direc­trice par intérim. Elle suc­cède à ce poste à Olivi­er Poivre d’Arvor.
  • 1er sep­tem­bre 2015 – jan­vi­er 2023. France Cul­ture : direc­trice.
  • Depuis le 14 décem­bre 2016. Insti­tut pour le finance­ment du ciné­ma et des indus­tries cul­turelles : admin­is­tra­trice.
  • Depuis mai 2017. Papiers : coré­dac­trice en chef.
  • Depuis sep­tem­bre 2017. Chargée d’une mis­sion exploratoire sur l’offre cul­turelle de France télévi­sions et France Cul­ture.
  • Depuis novem­bre 2018. Core­spon­s­able du label cul­turel Cul­ture prime (France télévi­sions, Radio France, France médias monde, Insti­tut nation­al de l’Audiovisuel, Arte France et TV5 Monde). 

Militantisme

Elle est un ancien mem­bre de l’organisation trot­skiste Ligue Com­mu­niste Révo­lu­tion­naire (LCR), qu’elle a fréquen­té de ses 19 à ses 25 ans.

Vie privée

Née le 17 novem­bre 1964 à Suresnes, San­drine Trein­er est la fille d’un chercheur en chimie au CNRS, Claude Trein­er et de Mme Irène Zoltkows­ki. Elle est mère de deux enfants nom­més Anna et Théo. Son grand-père était ouvri­er. Ses qua­tre grands-par­ents ont émi­gré d’Ukraine, de Mol­davie et de Pologne au prof­it de la France.

Elle a gran­di dans le XIIIe arrondisse­ment de Paris ; jeune, elle se rend sou­vent dans le quarti­er latin pour aller voir des films des Max Broth­ers, Capra ou Reed. Marcheuse, skieuse, elle fait près d’une heure de sport par jour. En 2017, elle vivait seule. Elle se dit de gauche et athée.

Publications

  • 1993. La Saga Ser­van-Schreiber, édi­tions du Seuil.
  • 1996. La pilule et après ?, édi­tions Stock.
  • 2005. Le Goût d’Odessa, édi­tions du Mer­cure de France.
  • 2007. Le livre noir de la con­di­tion des femmes, édi­tions XO.
  • 2008. Le goût de l’Amour, édi­tions du Mer­cure de France.
  • 2010. Le goût de l’Amitié, édi­tions du Mer­cure de France.
  • 2013. L’idée d’une tombe sans nom, édi­tions Grasset.

Elle est aus­si auteur de doc­u­men­taires pour la télévi­sion (Voy­ages, Ciné Clas­sic), qu’elle adapte ou réalise également.

Distinctions

  • 2007. Prix du livre politique.
  • 2016. Cheva­lier des Arts et des Lettres.

Salaire

À France Cul­ture, en 2017, elle gag­nait 6 000 euros par mois.

Elle l’a dit

«  [Je suis] une intel­lectuelle qui aime faire des trucs. », Les Échos, 13/11/2015.

« Je me méfie des adjec­tifs qu’on colle aux femmes. Je me trou­ve énergique et con­va­in­cue. Cela ne fait pas de morts. », Libéra­tion, 26/09/2017.

« Il n’y a pas de sépa­ra­tion entre mes intérêts privés et ce que je fais à France Cul­ture. Je trou­ve qu’il n’y a rien de mieux que le plaisir de s’immerger dans cette matière extrême­ment var­iée des idées et de la créa­tion. Tout ce qui me con­stitue est là. C’est prob­a­ble­ment un rêve. », Libéra­tion, 26/09/2017.

« Je suis direc­trice d’une radio de ser­vice pub­lic et je défends bec et ongles le plu­ral­isme. », Libéra­tion, 26/09/2017.

« Je tiens [au plu­ral­isme de France Cul­ture] et j’y veille, quitte à lut­ter con­tre moi-même et mes con­vic­tions citoyennes. », La Croix, 16/11/2018. 

« France Cul­ture doit ces bons résul­tats à sa promesse édi­to­ri­ale : être le média glob­al de la vie des idées, des savoirs et de la créa­tion […] Savoir ne pas juger et com­pren­dre ? : c’est le cœur de notre offre ? On essaye de racon­ter le monde et de l’analyser, en faisant con­fi­ance à l’auditeur pour con­stru­ire sa représen­ta­tion du monde », La Croix, 16/11/2018.

« Dans la vraie vie, j’ai plutôt une âme slave, rêveuse, héritée de mes racines ukraini­ennes et polon­ais­es. », Straté­gies, 28/10/2019.

« Je me défi­nis par ma fonc­tion. Et je fonc­tionne en m’intéressant au réel et à l’imaginaire. […] Dis­ons que je suis une intel­lectuelle qui se fonde sur son intu­ition. Ma con­vic­tion est que l’exercice de l’intelligence, manuelle ou spir­ituelle, est la meilleure arme con­tre le pas­sage à l’acte, la bar­barie et la vio­lence. », Straté­gies, 28/10/2019.

Ils l’ont dit

« Elle est très impliquée, comme une sorte de grande rédac­trice en chef. Le revers est qu’elle a la main sur tout ». (Une anci­enne jour­nal­iste, dans Libéra­tion, 26/09/2017.

« Elle est l’esprit de sérieux tem­péré par l’envie de se sur­pren­dre. Elle aurait pu devenir sec­taire et idéo­logue. Elle ne l’est pas. Elle n’est pas du côté du bien. […] Je la vois comme une per­son­ne très ten­dre, mais pas douce. », Frédéric Tad­deï, dans Libéra­tion, 26/09/2017.

« Depuis qu’elle est direc­trice, […] elle est à l’écoute, plus sere­ine. » (Un jour­nal­iste de France Cul­ture, dans Libéra­tion, 26/09/2017.

« Comme la patronne de France Inter, Lau­rence Bloch, on la dis­ait dure là où l’on aurait dit d’hommes qu’ils sont fer­mes. […] Elle […] se trouv[e] trop ten­dre pour ne pas com­pren­dre avec empathie les points de vue qu’on lui oppose. Elle se reproche même de céder trop facile­ment aux deman­des de ses col­lab­o­ra­teurs. Elle en rit. » (Car­o­line Bona­cos­sa, in Straté­gies, 28/10/2019.

« Les gens sont mal­traités, essorés et tristes. Et d’autant plus car c’est une chaîne où l’on vient par ambi­tion intel­lectuelle et human­iste, et dont cer­tains repar­tent dégoûtés […] A l’antenne, on prône l’horizontalité et la délibéra­tion : en interne, on a affaire à une ver­ti­cal­ité dic­ta­to­ri­ale, avec une omni-direc­trice. » (Sur la ges­tion de la direc­trice, une « voix bien con­nu » de France Cul­ture ; cité dans Libéra­tion, 22/09/2022.

« Le ton per­ma­nent, c’est de dire aux équipes qu’elles racon­tent des con­ner­ies, qu’elles doivent tout à France Cul­ture, que c’est le plus bel endroit du monde », un élu du per­son­nel de France Cul­ture, cité dans Libéra­tion, 22/09/2022.

« Ce n’est pas la Corée du Nord, mais c’est un régime très autori­taire. San­drine a des vel­léités de con­trôle absolu sur ce qui se passe. Comme elle ne sait pas s’entourer de gens lui appor­tant la con­tra­dic­tion, elle n’a plus que des cour­tisans autour d’elle ». (Sur la ges­tion de la direc­trice, un ancien de France Cul­ture, cité dans Libéra­tion, 22/09/2022.

« Une femme obsédée par le pou­voir et le con­trôle. », une voix anonyme de l’antenne de France Cul­ture, dans Libéra­tion, 24/09/2022.

« Elle a un cap clair mais il ne faut pas lui déplaire, au risque qu’elle vous mette un coup de pat­te assas­sin » (Un jour­nal­iste de France Cul­ture, dans Libéra­tion, 24/09/2022.

« C’est une intel­lectuelle de gauche, qui se croit immu­nisée con­tre les rap­ports de dom­i­na­tion. », un ancien col­lab­o­ra­teur, dans Libéra­tion, 24/09/2022.

« Si France Cul­ture réus­sit si bien, c’est qu’il y a une stratégie et que c’est la bonne. Et ceci, nous le devons à San­drine Trein­er », Sibyle Veil, dans Libéra­tion, 24/09/2022.

Illus­tra­tion : cap­ture d’écran vidéo, France Cul­ture au Forum d’Av­i­gnon. Librairie Mollat

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