Syrie, Irak et l’épineuse question des sources
Stéphane Kenech, ou l’histoire d’un journaliste d’images rêvant de s’accomplir dans le reportage de guerre et d’investigation. Dans cette vocation en devenir, il se passionne pour la Syrie au travers de deux causes : le retour des djihadistes en France et la lutte contre le régime syrien. Parfois au risque d’y oublier la déontologie et de mettre en danger ceux qui lui font confiance.
Formation
Stéphane Kenech étudie à l’université catholique de Lille de 2004 à 2008 en licence Médias Culture et Communication. Il entre ensuite à l’ESEC, Ecole Supérieure d’Etudes Cinématographiques.
Carrière professionnelle
Entré en tant que stagiaire chez Ego Doc, il y fait ses classes pendant quatre ans : il y occupe les postes de directeur de production et rédacteur en chef.
La société Ego Production a crée le département Ego Doc en 2010, avec pour spécialité des « documentaires de culture et de cinéma ». Depuis 2013, la société développe des « sujets de société, de découverte, de géopolitique, d’histoire et d’économie » et assure « apporter notre pierre à la construction de la société de demain en faisant des films engagés, soucieux d’initiatives positives, de portraits de personnalités fortes, de convictions et d’enthousiasme. Notre seconde exigence : la nécessité des regards, des partis pris. Chacun de nos films existe grâce au regard singulier d’un auteur. » (2)
On trouve sur le site de la société un florilège de documentaires « engagés » sur des thèmes chers à une partie de la gauche, tels les difficultés des minorités dites de couleur : la France « société multiculturelle de fait, depuis longtemps » qui peine à intégrer comédiens et réalisateurs noirs dans le monde du cinéma ; et de nombreuses séries de qualité variable faisant des familles décomposées et recomposées leur sujet de prédilection.
La maison mère de cette société de production est le fonds Mediawan, le groupe audiovisuel géant créé par Xavier Niel, Pierre-Antoine Capton et Matthieu Pigasse. Le milliardaire socialiste et militant homosexuel Pierre Bergé en était le président du conseil de surveillance. (3)
En 2012, Stéphane Kenech pige et réalise quelques vidéos pour la chaîne russe Pervei Kanal. Souvent accusée d’entretenir la propagande du gouvernement russe, la chaîne est détenue à 51% par l’Etat, le reste par deux oligarques proches de Vladimir Poutine.
En 2014, Stéphane Kenech est brièvement réalisateur pour « Un oeil sur la planète » (France 2), puis reporter cameraman chez France 24 et BEW Média.
Depuis 2015, n’ayant plus de rédaction attitrée, il se présente comme GRI (Grand Reporter d’Images) indépendant.
Brésil, Colombie, États-Unis, Canada mais aussi Niger, Mauritanie, Nigéria ou encore Irak, Syrie ou Iran : il participe à de courts reportages de deux à quinze minutes sur des sujets allants des Jeux olympiques au tourisme, en passant par le célèbre « Burning Man » américain, qu’il expose sur un site consacré à ses réalisations. (5)
Kenech veut devenir reporter de guerre et son passage en Irak, durant le conflit contre l’Etat Islamique, renforce sa nouvelle vocation. Il s’installe avec d’autres journalistes français dans le quartier d’Ankawa à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. C’est depuis cette zone à l’écart des combats qu’il se passionne pour deux sujets : le conflit syrien et le sort des djihadistes français détenus en Irak.
À côté de ses nouvelles envies, il mène parallèlement des activités de gérant d’un Riad de luxe à Marrakech.
Faits notoires
Iran
En 2015, un reportage de Stéphane Kenech avec Emmanuel Ostian et Chloé Davant est récompensé du Prix ESJ/LILLE-FIGRA dans la catégorie Compétition international, moins de 40 minutes. (4)
Intitulé « Rêves partis », ce documentaire s’intéresse à une jeunesse iranienne qui brave le régime des Mollah et la loi islamique pour organiser des fêtes clandestines à base de musique électro, alcool et drogues.
En visionnant cette vidéo, on ne peut que s’émouvoir de la résistance passive menée par ces jeunes Iraniens au risque de leur vie. Une certaine gêne demeure alors que ces résistants apparaissent à visage découvert, non flouté, durant l’intégralité de la vidéo, tandis que la voix off explique : « S’ils étaient pris, ces jeunes fêtards clandestins finiraient immédiatement derrière les barreaux » […] « certaines pratiques pourraient même leur coûter la vie ».
Malgré leur courage, on sent que ces jeunes redoutent des fuites éventuelles de la part des journalistes à qui ils ouvrent leur intimité. La voix off ajoute : « devant notre caméra, ni alcool ni drogue, pourtant ils en consomment ».
Après la diffusion du reportage, le témoin principal sera arrêté, enfermé et condamné en première instance à 23 années de prison et 273 coups de fouets. Kenech recevra un prix en France.
Contacté par l’OJIM, Arshad (le prénom a été changé) nous explique que non seulement l’auteur de ces images, Stéphane Kenech, n’aurait, d’après lui « à aucun moment fait preuve d’éthique lors de son reportage », mais qu’il aurait clairement mis tout le groupe « en danger de mort ».
À l’époque, Arshad tenait une maison d’hôtes dont Kenech emprunta les toilettes en attendant un bus pour Téhéran. Après une discussion autour de « rave party » organisées par le jeune iranien, le reporter tient son sujet.
Il demande à Arshad la permission de l’accompagner durant l’une de ces fêtes sévèrement punie par les Gardiens de la révolution. Le reporter commence à filmer et photographier sans plus de précaution et sans souci du droit à l’image, que les témoins ne font pas immédiatement valoir. Après quelques jours avec le groupe et faisant face à quelques interrogations, il aurait affirmé selon Arshad, qu’il « filmait dans le cadre d’un projet universitaire ».
Dans le cadre de ce projet imaginaire, Kenech demandait régulièrement aux jeunes fêtards de répéter les blagues qu’ils faisaient hors champ, alors qu’ils étaient sous l’emprise de produits éthyliques et stupéfiants. Toujours sans floutage ni mesure de protection pour ses témoins.
Au moment de son départ, Kenech commence à aborder l’éventualité d’une diffusion télévisée. Il fait parvenir à Arshad le lien du reportage une semaine avant la diffusion. Ce dernier est sous le choc et demande plusieurs modifications ainsi que le floutage de tous les visages. Mais Kenech répond qu’il est trop tard, tout est déjà prêt à paraître.
Après une interpellation musclée à domicile, Arshad est enfermé dans une prison à l’isolement durant 48 jours puis condamné à une lourde peine en première instance. Après avoir fait appel et obtenu une « déshonorante » intervention de son père, qui a servi en tant que gardien de la révolution, il fera « seulement » un an de prison sur les cinq prévus par sa sentence et devra payer une forte amende en lieu et place des coups de fouet. Ses amis seront eux aussi condamnés mais à des peines moins lourdes. Arshad et sa famille sont aujourd’hui des parias dans leur village et son activité professionnelle personnelle dans le tourisme est gravement pénalisée.
A posteriori le jeune reporter se fend d’une publication Facebook destinée à noyer le poisson : « Il y a 5 ans, j’ai fait la rencontre d’une bande de jeunes iraniens avec une énergie sans limite […] Avec leur accord, on a fait un reportage […] Malgré nos précautions (sic), le régime religieux iranien a arrêté deux d’entre eux. […] Aujourd’hui j’ai appris avec beaucoup de joie qu’ils continuent de vagabonder […] comme quoi, on peut priver le temps de quelques mois un souffle de liberté en emprisonnant, mais lorsqu’elle est aussi présente chez ce groupe d’amis, elle ne cesse de perdurer et de s’intensifier. ».
En réalité, les jeunes Iraniens sont quatre à s’être fait arrêter et pas deux. Et il n’y a évidemment aucun « vagabondage » ou « souffle de liberté » pour ces malheureux : simplement l’envie de se reconstruire discrètement après que ce reportage ait détruit leur vie. Tandis que ses témoins croupissaient en cellule, le journaliste se présentait en tant que réalisateur de documentaires dans des soirées parisiennes. (6)
Bataclan et Syrie
Comme Stéphane Kenech le raconte lui-même volontiers, sa compagne Inès Daïf a été victime des terroristes du Bataclan : elle était sur l’une des terrasses qui fut mitraillée par les islamistes. C’est avec elle qu’il signe dans Médiapart, en octobre 2019, un long papier sur le sort des djihadistes condamnés à mort en Irak : « Paris montre une inquiétante tolérance face aux condamnations à mort de ses ressortissants ». (7)
Grâce à sa compagne, le cameraman est passé de l’autre côté de sa caméra. Ce qui lui permet de signer épisodiquement dans Le Parisien, Paris Match, France Culture.
Dès son retour, il se fend d’une série de tweets accusant l’écrivain-voyageur Patrice Franceschi de l’avoir fait séquestrer par une milice armée au Kurdistan de Syrie !
Sur Twitter, Stéphane Kenech s’attaque au directeur-adjoint de Paris Match (le journaliste Régis Le Sommier) qui lui a permis de publier dans le plus grand hebdomadaire français sur le retour des djihadistes. La raison : ce dernier a effectué un reportage en Syrie en zone « gouvernementale » et a donné la parole au président syrien. Cela suffit pour en faire un suppôt du « régime ».
L’univers des ONG
Toujours en collaboration avec sa compagne qui, elle, signe occasionnellement dans Le Figaro et Mediapart des articles sur le Moyen-Orient, Kenech affirme partout qu’il a désormais entrepris de réaliser, pour ces deux médias, un article sur l’ONG SOS Chrétiens d’Orient. Les dirigeants du Figaro affirment n’avoir jamais entendu parler de lui.
Concernant SOS Chrétiens d’Orient, Kenech a méthodiquement contacté l’entourage de l’association en assurant chacun de sa totale discrétion (comme peuvent en témoigner ses amis iraniens emprisonnés) et de sa parfaite objectivité, voire d’une certaine bienveillance.
Le courriel qu’il a adressé à L’Obs pour vendre son sujet, et que nous avons pu nous procurer, ne semble pas correspondre à ces intentions :
« Nous aimerions vous proposer une enquête de plusieurs mois sur les dérives de l’ONG française “SOS Chrétiens d’Orient” et les liens financiers entre celle-ci et des proches de Bachar El Assad », avec, en prime, des informations qui auraient été collectées en Irak et en Syrie côté régime !
Pour bâtir son dossier, Kenech a contacté un grand nombre d’anciens bénévoles et salariés de l’association, pour construire son sujet, un dossier à charge sur SOS Chrétiens d’Orient.
Les copies d’écran qui nous ont été communiquées se situent toutes entre 18h et minuit. C’est aussi le cas des enregistrement vocaux fournis par l’association au cours desquels le GRI, n’ayant pas tous ses moyens, harcèle la responsable des relations presse et le directeur des opérations.
Ces enregistrements lunaires contiennent un mélange de bruits de bouteilles, de bafouillements potentiellement éthyliques, d’insultes et d’attaques ad hominem.
Le 27 février 2020, alors que quatre membres de l’association ont été kidnappés un mois plus tôt par un groupe irakien, Kenech appelle. Il témoigne de sa solidarité avec l’association « en tant qu’être humain ». Depuis le début de l’affaire, il a transmis des informations sur les otages, évoquant notamment un groupe irakien qui les détiendrait et donnant un luxe de détail invérifiables.
Ce soir-là, le journaliste assure, de source certaine (qu’il refuse de citer), que non seulement les otages ont été pris par une personnalité chrétienne syrienne et son fils, mais qu’en plus, ils ont été assassinés. La libération des otages un mois plus tard démontre que l’enquêteur soit a inventé soit a exploité des informations non vérifiées.
Son article refusé par plusieurs rédactions, comme avec Patrick Fransceschi, comme avec Régis Le Sommier, faute de journal il se rabat sur ses réseaux sociaux et publie des bons de levée de fonds tronqués de SOS Chrétiens d’Orient. L’objectif pourrait être d’accuser l’ONG de financer une milice syrienne.
Dans les faits, l’association vient en aide aux habitants du village chrétien de Mhardeh, qui a subi, durant six ans, les attaques du Front al-Nosra (Al Qaida en Syrie). Cette réalité est assumée par l’association. Le montage semble vouloir insinuer que SOS Chrétiens d’Orient soutient non pas les habitants, mais bien les forces armées qui protègent le village ; une sorte de collusion avec le régime. Pour cela, il publie partiellement un coupon réponse ne faisant apparaitre que le bas d’un treillis pris sur une photo d’ensemble du village chrétien. Le tout assorti d’un commentaire accusant explicitement l’association de financer des milices. Ce qui lui a valu une plainte pour diffamation encore à l’enquête par les autorités en France.
En fin d’année 2020, trois journalistes de Mediapart (Ariane Lavrilleux, Élie Guckert et Franck Andrews) avec lesquels Kenech planchait sur cette enquête via un partenariat passé entre le média et JournalismFund Europe, cessent unilatéralement leur collaboration. Selon Arrêts sur Image, le trio de journalistes aurait douté de la fiabilité des informations délivrées depuis le Proche-Orient par Kenech et son acolyte. Aussi, ce dernier ne va pas tarder à reprocher aux deux confrères de publier des informations obtenues par lui sans son accord et sans être cité ni rémunéré. Devant l’absence de réaction de la part de la rédaction de Mediapart, il attaque la rédaction en justice et se tourne dorénavant vers des médias internationaux, comme New Lines, pour faire part de ses investigations.
Selon ses dires, le cabinet d’avocats défendant Mediapart lui aurait proposé, quelques jours avant l’audience finale en juin 2022, un protocole d’accord prévoyant que le journaliste soit rémunéré et que sa signature soit apposée en bas de l’article en question. Mediapart refusera finalement de signer ce protocole et d’admettre son « erreur ».
Ukraine
À l’annonce de la guerre russo-ukrainienne, Kenech prend son baluchon et délaisse le Proche-Orient pour se rendre sur le terrain. En effet, il entame une collaboration avec Les Jours pour lequel il couvre les évènements, et particulièrement les répercussions de la guerre sur les populations civiles en tant qu’envoyé spécial sur les lieux entre mars et avril 2022. Parallèlement, il signe des articles sur le même thème pour le quotidien québécois Le Devoir.
Parcours militant
Non renseigné.
Sa nébuleuse
- Médiapart
- Sa compagne Inès Daïf
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Il l’a dit
« Le journalisme m’intéressait, mais je préférais m’orienter vers l’image, raconter des histoires » (1)
« Le risque, c’est que je pouvais me faire arrêter et emprisonner parce que le risque là-bas en Iran malheureusement c’est que si on tourne sans autorisation on est considéré comme espion, du coup ça empêche certains journalistes d’y aller, car c’est un risque dont il faut être conscient. Mais j’étais jeune et fou. » (1)
« J’ai toujours été un peu rebelle, et je cherche à poursuivre cette chose là dans ma profession » (1)
Au sujet d’Elie Guckert : « Ces personnes disent combattre l’extrême droite mais utilisent les mêmes méthodes de calomnies et de pressions. Le juge des prud’hommes dispose par exemple des conversations où l’on entend Guckert proférait des menaces en échanges de sources. Où est l’éthique ? », Twitter, 04/10/2022.
« Bonjour @CNEWS, illustrer les propos d’une association présente en zone contrôlée par Damas avec des images de la Défense civile syrienne qui vient en aide aux victimes après des bombardements des forces de Bachar El Assad et Poutine, c’est de l’amateurisme ou de la propagande ? », Twitter, 12/02/2023.
Notes
(1) https://www.youtube.com/watch?v=8JDSW36NNWU
(2) ego-productions.com
(3) ojim.fr/pigasse-lazard-niel-free-capton-3eme-oeil-nouveaux-czars-des-contenus-via-mediawan/
(4) figra.fr/archives-figra‑2/programme-2015/competition-internationale-moins-de-40-min-2015/reves-partis/
(5) stephanekenech.wixsite.com/journalist
(6) saywho.fr/ja/mondains/stephane-kenech/#lg=1&slide=2(7) https://www.mediapart.fr/journal/international/241019/irak-paris-montre-une-inquietante-tolerance-face-aux-condamnations-mort-de-ses-ressortissants
Stéphane Kenech, contacté par courriel, n’a pas répondu à nos questions.
Illustration : capture d’écran vidéo MédiaLab — Université Catholique de Lille