Deux journalistes français ont été condamnés pour avoir menacé le roi du Maroc de publier un livre lui étant fortement hostile. Ayant accepté un « arrangement financier », ils ont mis le doigt dans un funeste engrenage que le procès en appel n’effacera pas.
Le roi ne voulait pas chanter
C’est une affaire haute en couleurs qui était présentée mardi 14 mars 2023 à Paris devant le tribunal correctionnel. Éric Laurent, 76 ans et Catherine Graciet, 48 ans, ont été condamnés à une peine de prison d’un an avec sursis et 10 000 euros d’amende. Ils sont mis en cause dans une affaire de chantage royal ; les deux protagonistes auraient ainsi voulu faire chanter le souverain Mohammed VI, lui réclamant de l’argent pour ne pas publier un livre dans lequel il aurait été fortement mis en cause.
En 2012, les deux journalistes avait déjà sorti un ouvrage polémique Le roi du Maroc dans lequel le chef d’État maghrébin était présenté comme un loup financier qui s’était accaparé les richesses de son pays.
Traquenard ou magouilles corporatiste ?
Le déroulé de l’affaire est pour le moins étonnant. Éric Laurent, passé par Radio France et le Figaro Magazine aurait directement été contacté par le secrétariat particulier du roi puis a rencontré un émissaire du royaume dans un palace parisien à l’été 2015. L’entrevue a été suivie d’une plainte du Maroc contre les journalistes ; puis, se sont tenus deux autres rendez-vous, sous surveillance policière, à la fin du mois d’août 2015. C’est lors de la dernière de ces rencontres estivales que les deux journalistes ont signé un accord financier de 2 millions d’euros pour renoncer à leur livre. Quittant cette dernière réunion avec deux enveloppes de 40 000 euros en liquide, ils ont ensuite été bien opportunément interpellés.
Le tribunal correctionnel de Paris estime que ce sont les deux journalistes qui ont eu une démarche visant à faire pression sur l’émissaire du royaume. Un émissaire pas complètement candide qui avait pris soin d’enregistrer les échanges. Ces preuves audio ont d’ailleurs été qualifiées d’irrégulières par la Cour de cassation en 2016.
Scandales d’État et ministre de la Justice
Les journalistes se défendent d’un quelconque chantage et admettent une « erreur déontologique » qui a consisté à accepter une proposition d’arrangement financier. Et pour cause : un journaliste, fut-il introduit dans des grands médias comme Éric Laurent, peut voir dans la perspective d’empocher un ou deux millions d’euros, une opportunité unique. En toile de fond de cette saga médiatico-judiciaire se joue une pièce aux ramifications politiques et diplomatiques multiples. Car l’avocat du royaume en 2016 était un certain Éric Dupond-Moretti… Après l’arrêt de cassation de 2016, il avait affirmé avec la provocation qui le caractérisait : « Si vous êtes victime d’extorsion de fonds, surtout ne prévenez ni la police ni le procureur. » Sept ans plus tard, c’est lui qui dirige l’appareil judiciaire du pays.
Du côté des actuels avocats du royaume, on estime que huit ans après les faits, la vérité l’a emporté quand la défense estime que « la vérité éclatera plus tard ».
France-Maroc : zone de turbulences
Cette affaire se déroule dans un contexte tendu entre Paris et Rabat alors que la presse marocaine accuse Emmanuel Macron de double jeu et que le roi du Maroc ne cache pas son mépris à l’égard du président français. Dans la sphère journalistique déjà, en début d’année, Rachid M’Barki, journaliste de BFMTV était accusé d’ingérence étrangère et écarté de l’antenne. En matière de relations internationales, cette séquence se tient alors que les deux pays doivent faire face à des remous dans l’opinion publique. Emmanuel Macron est fortement contesté avec sa réforme des retraites quand son homologue Mohammed VI est critiqué pour son rapprochement avec l’État d’Israël. Le Maroc fait également l’objet de vives critiques sur sa stratégie d’influence (ou de corruption) auprès du Parlement européen à l’instar du Qatar.
Cette affaire médiatique s’inscrit ainsi dans une séquence très tendue entre les deux pays alors que certaines voix s’élèvent pour faire valoir les bienfaits d’une entente cordiale entre Paris et Rabat. Ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.