Suite à la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République le 24 avril 2022, la composition du nouveau gouvernement a été dévoilée le vendredi 20 mai. Parmi les nominations, celle du ministre de l’éducation, Monsieur Pap Ndiaye, a provoqué de nombreuses réactions négatives. Heureusement, la radio d’État était là pour défendre sans aucune mesure le choix pour le moins controversé d’Emmanuel Macron.
Radio France, de beaux restes de l’ORTF
Les plus anciens se souviennent de l’information étroitement corsetée du temps de l’Office de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF). En mai 1968, l’ORTF était accusée par les contestataires de mensonge, de partialité et de collusion avec le pouvoir.
En 2022, le service d’État de radio et de télévision est assuré par France Télévisions et Radio France. L’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ex CSA), est censée veiller à ce que les médias audiovisuels et numériques soient « pluralistes et respectueux de toutes et tous ». Autres temps, autres mœurs ?
L’idéologie post-soixante-huitarde libérale libertaire est désormais bien représentée dans les studios de la radio d’État. On peut même dire qu’elle y est en situation de quasi-monopole.
Les commentaires suite à la nomination du nouveau ministre de l’éducation, Monsieur Pap Ndiaye, en sont une nouvelle illustration. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter deux émissions diffusées dimanche 23 mai sur France Inter et France Culture pendant la tranche horaire 18–19 heures.
Un dimanche de campagne très engagé
En cette fin de week-end, Claire Servajean commente avec Thomas Legrand et leurs invités l’actualité politique sur France Inter. « La nomination de Monsieur Pap Ndiaye a provoqué la fureur de l’extrême droite, à commencer par celle de Marine Le Pen sur BFM », assène Claire Servajean. Les doutes d’un député Modem sur cette nomination sont également évoqués.
Thomas Legrand s’érige en redresseur de tort en balayant d’un revers de main (à la 13e minute) l’opposition entre les « universalistes classiques » et les « wokistes, racialistes et décoloniaux ». Il ajoute :
« En fait, ça n’est pas ça du tout, il y a des extrêmes de chaque côté, qu’on voit beaucoup sur des chaines bollorisées (…) pour polariser le débat, pour faire du show. La vérité du débat c’est que Pap Ndiaye, il suffit de lire ce qu’il écrit et d’écouter ce qu’il dit, c’est un grand universaliste ».
La suite de l’émission n’apporte aucune contradiction à cette bonne parole et ne reprend aucune des déclarations de l’ancien universitaire et directeur du musée de l’immigration qui sont à l’origine de la polémique.
Soft power, tout en douceur
Sur France Culture, Fréderic Martel s’empresse également de nous rassurer (à la 25e minute) :
« Ce n’est pas contrairement à ce que l’extrême droite veut nous faire croire ces derniers jours un militant décolonial, woke ou communautariste, c’est un universitaire réputé, très modéré, très calme dans ses analyses. L’attaquer un peu par principe sur sa race comme font certains Zemmouriens ces derniers jours est indigne de notre République. Ce n’est pas up-to-date mais up-to-hate ( avec de la haine NDLR) que de l’attaquer, c’est tout simplement raciste ».
Sur France Culture comme sur France Inter, les moindres critiques contre le nouveau ministre de l’éduction ont donc rapidement été évacuées par des procédés très prisés sur les ondes publiques :
- la disqualification : les critiques contre Pap Ndiaye viennent de « l’extrême droite ». Sous-entendu, elles viennent de personnes extrêmes qui n’ont aucune mesure dans leur jugement et leurs critiques ont des arrières pensées politiques.
- la condamnation morale. Fréderic Martel se pose sur France Culture en juge et apporte une qualification juridique aux critiques à l’encontre du nouveau ministre de l’éducation : celles-ci seraient « racistes ». Jusqu’à présent, l’autorité de la chose jugée revenait aux tribunaux. Mais c’est sans compter sur les petits procureurs de la radio d’État qui se gardent bien de donner la parole à ceux qu’ils accusent : ceux qui ont eu le malheur d’émettre des critiques à l’encontre du nouveau ministre de l’éducation.
Les écrits et les paroles de Pap Ndiaye auxquels vous avez échappé
Était-il opportun comme l’ont fait les deux radios d’Etat de clore tout débat sur le sujet ? Celles-ci ont passé sous silence des écrits et des paroles de Pap Ndiaye qui auraient mérité d’être rappelés :
En 2016, Pap Ndiaye participe à une réunion sur le thème « être noir‑e en France » interdite aux blancs. Ses déclarations ultérieures donnent un éclairage particulier à cette participation.
En mai 2020, Pap Ndiaye donne une interview au site Mediapart. Comme le souligne Pierre Romain Thionnet : « après s’être félicité de l’ouverture du débat sur la violence raciste de la police avec les manifs Adama Traoré, #PapNdiaye propose de faire le lien avec la pratique des rafles de Juifs sous Vichy. Rien que ça ».
Le 4 juin 2020, interviewé par France Inter, il s’exprime sur le silence des autorités françaises sur les « violences policières » : “Cela ne me surprend pas, parce que l’attitude de déni en ce qui concerne les violences policières en France est classique depuis longtemps”.
En juillet 2020, il déclare lors d’une interview au journal Le Monde au sujet d’Assa Troaroé :
« son discours est rassembleur. J’entends un discours de convergence plutôt qu’un discours de clivage et de séparation, un discours qui réclame l’égalité. »
En février 2021, à l’occasion d’un interview pour France Info, il déclare que le racisme anti-blanc fait partie du vocabulaire d’extrême droite, qu’il est important de déconstruire. Il affirme également que « le terme d’ ”islamo-gauchisme” est “une manière de stigmatiser des courants de recherche” ».
En janvier 2021, il publie un rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris. Certaines de ses préconisations montrent une obsession jusqu’au ridicule de la question raciale :
« Proscrire sur scène le blackface, le yellow face et le brownface à l’Opéra national de P. Cesser de blanchir les peaux dans le ballet classique et favoriser les commandes d’œuvres contemporaines de danse sur pointe ».
« Converser avec les autres Opéras de France et du monde en instaurant un groupe d’échange sur les bonnes pratiques s’agissant notamment de diversité »
« Réaliser un état des lieux précis de la diversité à l’Opéra national de Paris, et se doter d’outils pour suivre les recrutements à toutes les étapes ainsi que les programmations et les progressions de carrière ».
Parmi les historiens, l’heure n’est également pas à l’unanimité. Bien qu’il s’en soit défendu par la suite, Alexandre Devecchio affirme sur Twitter que Benjamin Stora aurait affirmé à propos de la nomination du nouveau ministre de l’éducation :
« Ces propos flirtant avec l’indigénisme ne sont pas compatibles avec l’éloge de la République qui a été le sien durant la passation de pouvoirs. Il va devoir choisir… »
Dans un Tweet du 22 mai, Zineb El Rhazaoui, se base sur un article écrit sur un blog en février 2022 pour affirmer :
« L’historien @GerardNoiriel alertait bien avant la nomination de #PapNdiaye: ses recherches réhabilitent la notion de #race pour mieux critiquer le modèle républicain. Le nouveau ministre de @education_gouv est bien un racialiste ».
Toujours sur Twitter, le 24 mai, Eugénie Bastié souligne à propos d’une interview au journal suisse Le Temps,
« Quand Pap Ndiaye qualifiait les propos de Macron sur les “universitaires” woke qui voudraient “casser la République en deux” (en juin 2020) de “pas si éloignés” de ceux de Trump. La question est : qui des deux, Macron ou Ndiaye, a plus viré sa cuti? ».
Toutes ces déclarations, tous ces écrits, sans doute trop gênants, n’ont évidemment pas été évoqués sur France Inter et sur France Culture. On ne peut s’empêcher de penser à la meute de journalistes qui ont sans cesse relancé Éric Zemmour sur des propos tenus dans le passé, notamment sur le régime de Vichy. Ce qui a été fait pour le candidat à l’élection présidentielle ne pourrait donc pas l’être pour le nouveau ministre de l’éducation, car cela serait du « racisme ». Cherchez l’erreur…
Photo : Pap Ndiaye à La Colonie le 13 octobre 2018. Auteur : LurKin. Source : Wikimédia.