Première diffusion le 11/03/2019
Emmanuel Macron a publié le 5 mars 2019 dans des journaux choisis des 28 pays de l’UE une tribune intitulée « Pour une Renaissance européenne » préalablement traduite en 22 langues. Les réactions chez les 28 (France comprise) ont été variées, allant de l’enthousiasme au rejet en passant par l’indifférence et les moqueries. On notera que si le président français se pose une fois de plus, par cette tribune, en leader du camp progressiste-fédéraliste en Europe (« il manque à Macron un opposant libéral en Europe », a ainsi constaté le quotidien allemand Die Welt), le leader naturel, au moins par l’ancienneté, du camp d’en face, c’est-à-dire le Hongrois Viktor Orbán, a lui aussi une fois de plus relevé le défi en estimant à voix haute que « ce pourrait marquer le début d’un vrai débat européen ».
Hongrie
Qu’en pensent les médias hongrois ? Le grand journal de droite (pro-Fidesz) Magyar Nemzet y consacre un article sur son site. Dans cet article, la dimension intérieure, destinée aux Français, de la tribune de Macron est soulignée. Le site d’information Index.hu, de gauche (anti-Fidesz), ne consacre quant à lui à cette tribune qu’un très court article résumant brièvement les propositions du président français. D’une manière générale, les médias hongrois ne semblent pas s’être beaucoup intéressés aux propositions du président Macron.
Pologne
Et puisque nous avons commencé par la Hongrie, continuons avec la Pologne où gouvernent aussi ces « populistes »/« nationalistes » dénoncés par Emmanuel Macron (même si eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans ces épithètes, pas plus que dans le qualificatif d’« esprits fous » utilisé à leur égard par un président français pas toujours très diplomate). Curieusement, le journal libéral-libertaire Gazeta Wyborcza, média de référence des correspondants étrangers depuis bientôt trois décennies et partisan enthousiaste d’Emmanuel Macron et de sa vision pour l’Europe, semble avoir un peu ignoré la tribune présidentielle, avec seulement un article purement descriptif le 5 mars et un rappel de cette tribune dans un entretien avec le Belge Guy Verhofstadt, chef du groupe des libéraux au Parlement européen. Peut-être la rédaction du journal était-elle vexée que cette tribune macronesque eût été publiée par un concurrent, Rzeczpospolita. Le journal le plus proche du PiS, Gazeta Polska codziennie, n’a quant à lui pas daigné s’intéresser à cette tribune qui a fait tant de bruit en France. Pas un mot depuis le début de la semaine ! Ce sont les médias sur Internet qui se sont donc chargés de commenter plus largement cette lettre aux « citoyens d’Europe », tel le site conservateur wPolityce.pl qui a titré dés le 4 mars : « Il n’arrive pas à régler les problèmes chez lui et il appelle à une ‘renaissance européenne’. Macron demande une révision des traités. »
Italie
Même chose en Italie, autre pays gouverné par les « populistes » agités comme un épouvantail par le président français dans sa lettre pour mobiliser les Européens « progressistes » et surtout les électeurs français en sa faveur : on ne trouve sur les sites journaux de gauche La Repubblica et La Stampa que des articles purement descriptifs de cette tribune. Ces deux journaux ont semble-t-il préféré réserver beaucoup plus de place à l’interview donnée le 3 mars par Emmanuel Macron pour la télévision italienne, après plusieurs mois de relations difficiles entre la France et l’Italie. Le journal de centre-droit Il Giornale a en revanche commenté la tribune du président français en des mots pas toujours très tendres dans un article intitulé « Macron et l’UE – L’écart entre les paroles et la politique ». « Le locataire de l’Élysée cible à nouveau le souverainisme et les populistes », écrit le quotidien italien, et « ses appels et déclarations continus sur l’importance de l’Europe, sur l’intégration des États, sur la solidarité, s’usent ». Pour Il Giornale, cette tribune du président français est motivée par la montée des partis souverainistes à l’approche des élections européennes, mais Macron n’est pas crédible à cause du fossé entre ses paroles et ses actes, et notamment ses « choix unilatéraux » et son manque de solidarité avec l’Italie en matière d’immigration.
En Grande Bretagne
Les plus féroces ont toutefois été les journaux britanniques. Pour le Telegraph, « Emmanuel Macron fait maintenant courir un plus grand danger à l’UE que le Brexit » et pour le tabloïd The Sun, les Britanniques devraient « remercier le président français mégalomane pour avoir joliment résumé les raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne fait bien de quitter l’UE » dans une lettre pleine de « suffisance ». Même pour le journal de gauche Guardian, hostile au Brexit qui serait dû, à en croire la tribune de Macron, au « mensonge », à « l’irresponsabilité » et aux « manipulations », « la vision pompeuse de Macron pour l’Europe montre à quelle point celle-ci a besoin de la Grande-Bretagne ».
Allemagne
Le président français aura donc eu à se tourner vers les journaux allemands pour se mettre du baume au cœur, avec des commentaires au pire neutres et au mieux enthousiastes dans tous les grands journaux (le pluralisme des grands médias allemands ressemblant beaucoup à celui de leurs homologues français). Le Frankfurter Allgemeine Zeitung estime que « la réponse allemande à l’appel de Macron dans les journaux européens est unanime » pour vanter cette impulsion en faveur de l’Europe. Pour le FAZ, cette tribune est un « plaidoyer passionné pour une renaissance de l’Europe », même si elle a une fois de plus, comme le discours de la Sorbonne prononcé en septembre 2017, peu de chances d’aboutir sur du concret. Pour le média public Deutsche Welle, néanmoins, « Emmanuel Macron saisit le taureau européen par les cornes ».
Les réactions très positives en Allemagne confortent d’une certaine manière les critiques aperçues dans la presse italienne et anglaise. Les réformes voulues par le président français viseraient en fait à asseoir la domination franco-allemande sur l’UE.
Espagne
En Espagne, le quotidien de gauche El País a publié la tribune de Macron à laquelle il n’a ensuite plus fait référence, à en croire les résultats des recherches sur le contenu du site. Sinon dans la même interview avec Verhofstadt que celle publiée par Gazeta Wyborcza et d’autres pays de l’UE, l’ancien premier ministre belge ayant fait la même opération de communication que le président français dont il partage les convictions, puisqu’il a publié une interview dans plusieurs journaux européens à la fois. De son côté, le quotidien de centre-droit ABC a fait remarquer à propos de cette tribune que « Macron veut convaincre l’Europe mais ne convainct pas en France ». Avec un déficit des finances publiques à 3,5 % du PIB et une dette à 100 % du PIB, « la France de Macron va continuer [cette année] à violer ses engagements vis-à-vis de l’Europe que le président français promettait de ‘relancer’ dès le mois de septembre 2017 » (encore une allusion au discours de la Sorbonne).