Débutée le premier juillet 2024 pour une durée de six mois, la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne fait parler de toutes parts pour ses prises de risque et ses décisions, comme ses velléités, empreintes d’audace. À cette occasion, Son Excellence M. Georges de Habsbourg-Lorraine, Ambassadeur de Hongrie en France, a donné une audition au Sénat au sujet des priorités qui seront observées. Alors que cette entrée fracassante qui intervient peu après les vingt ans de la Hongrie en tant que membre de l’UE secoue les médias, nous faisons le point sur la Hongrie dans l’Union européenne.
Courrier international, la Hongrie est « mesquine »
Dans un article traduit pour Courrier International, le journal hongrois Magyar Hang se montre très critique vis-à-vis du rôle et du jeu de la Hongrie au sein de l’UE :
« L’attitude imprévisible des Hongrois, leurs manœuvres mesquines et leur aversion pour les objectifs européens communs perturbe (sic) la marche déjà grinçante de la machine continentale. »
Tandis que « le gouvernement hongrois, qui soutenait jusqu’à présent la loi de restauration de la nature adoptée par le Parlement européen, s’est brusquement placé du côté des opposants », « une chose est sûre : nous nous sommes à nouveau mis en travers de l’ambition commune au nom d’intérêts non avouables. » déclare András Lányi, écrivain et philosophe hongrois dans les lignes de l’hebdomadaire. « Jusqu’à quand la Hongrie fera-t-elle bande à part ? »
France Info critique
D’emblée, les médias remarquent un rapport ambigu entre la Hongrie, « très éloignée des valeurs européennes » pour Franceinfo et l’Union européenne. Sans aucun doute, Le Figaro note un « malaise hongrois envers l’UE » alors que « le 20e anniversaire de l’entrée de la Hongrie dans l’Union européenne qui avait lieu cette année 2024 est passé totalement inaperçu au pays de Viktor Orbán. »
Néanmoins, pour le juriste Endre Juhász, c’est bien le président hongrois qui a été l’un des principaux appuis : « Orbán a été un moteur de l’entrée de la Hongrie dans l’Union ». Le chef de la mission diplomatique de la République de Hongrie auprès de l’Union européenne à Bruxelles durant les négociations d’entrée considère aujourd’hui qu’au-delà des « choix difficiles » qui ont dû être faits, « le bilan est … globalement très positif pour le pays » dans une interview accordée au Grand Continent.
Make Europe great again !
La Hongrie a récemment présenté son projet pour l’Union européenne lors de sa présidence tournante, porté par un slogan choc : « Make Europe great again », c’est-à-dire « rendre l’Europe grande à nouveau », ce qui n’est pas sans rappeler le célèbre slogan de la campagne de Donald Trump aux élections présidentielles de 2016 « Make America great again ». « Un clin d’œil entre populistes » pour Ouest France, qui rappelle que l’ex-président américain « n’avait pas tari d’éloges à l’époque pour le Hongrois : “il n’y a personne qui soit meilleur, plus intelligent ou qui dirige mieux que Viktor Orbán. Il est fantastique.” »
Malgré tout, le journal nous apprend que « le ministre hongrois des Affaires européennes, Janos Boka, a fait semblant de ne pas comprendre les questions des journalistes sur le sujet. “À ma connaissance, Donald Trump n’a jamais voulu rendre l’Europe forte”, a‑t-il plaisanté. »
Voir aussi : Hongrie : un média anti-Orbán financé par le groupe des socialistes au Parlement européen
Lors d’une conférence de presse, la présidence hongroise a déclaré que le Rubik’s Cube incarne « l’essence du génie hongrois » et que son slogan reflète « une présidence active ». Le HuffPost considère qu’en tant que « emblème national, du fait de sa création en 1974 par le hongrois Ernö Rubik, le célèbre Rubik’s cube » se fait surtout « symbole du casse-tête hongrois ». Maxime Birken, journaliste au HuffPost estime que « la Hongrie de Viktor Orbán a tout d’un casse-tête pour ses voisins européens, rarement sur la même longueur d’onde que cet allié de Moscou. »
Le pays s’est expliqué sur ce choix profondément lié à son histoire. « Selon l’ambassadeur de Hongrie en France, le choix du puzzle vieux de 50 ans “illustre la complexité des questions européennes et l’ingéniosité nécessaire pour les résoudre”. Et avec ses 27 cubes symbolisant les 27 États membres de l’UE, le cube s’inscrit dans “l’optique” de la présidence hongroise. Il “incarne l’esprit d’innovation et de résolution des problèmes”. »
Préserver l’agriculture européenne
Le gouvernement de Viktor Orbán a déjà annoncé mettre l’accent sur les agriculteurs. En effet, János Bóka, ministre hongrois des Affaires européennes a déclaré que la Hongrie profiterait de sa position de médiateur de l’Union européenne pour lancer un nouvel accord agricole compétitif, « centré sur les agriculteurs ». À l’occasion de sa présidence, la Hongrie considérée comme un « avant-poste pour Moscou » par Le HuffPost tient également à maintenir sa position économique vis-à-vis des fonds envoyés à l’Ukraine, dont elle ne fera pas une priorité. Depuis mai de l’année dernière, Budapest entrave le déblocage de 6,6 milliards d’euros d’aide militaire de l’UE destinés à l’Ukraine. En tant que membre de l’OTAN, le pays avait déjà obtenu une exonération de participation aux aides militaires envoyées à l’Ukraine.
Au-delà de ces volontés, Philippe Étienne, ancien ambassadeur de France en Allemagne et aux États-Unis ne pense pas que la présidence hongroise exercera une influence significative vis-à-vis des relations de l’Union européenne avec l’Ukraine, comme il l’affirme dans un entretien pour France 24. « La Hongrie a clairement cherché à s’opposer ou à ralentir des décisions européennes sur le soutien à l’Ukraine mais n’a jamais réussi. Et depuis 2012 et le traité de Lisbonne, le pays qui tient la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne ne préside aucune autre institution, ce qui limite son rôle dans le domaine de la politique étrangère » La Hongrie prévoit également de mettre sur la table un important accord européen sur la compétitivité qui « sera une grande réussite de la présidence hongroise » selon le média économique hongrois Economx.
Pour La Tribune, le contexte n’est pas favorable à l’apaisement des tensions, bien au contraire : « Après la Belgique, la Hongrie prend les manettes dans un contexte particulièrement houleux. Les dernières élections européennes ont donné une large place aux partis nationalistes et conservateurs. Une configuration qui devrait pousser les institutions européennes au bras de fer avec les gouvernements eurosceptiques. » Néanmoins, le pays s’est engagé à jouer son rôle avec probité, comme le relate un autre article du journal en ligne : « Le gouvernement Orbán s’est dit prêt à assumer “les obligations et responsabilités” de sa mission qui court jusqu’en décembre. “Nous agirons en tant que médiateur impartial”, a affirmé le ministre des Affaires européennes Janos Boka. »
Le Monde contre la paix en Ukraine
Qu’à cela ne tienne, en une seule semaine de présidence, les prises de position hongroises sont déjà particulièrement critiquées à Bruxelles. Après une visite surprise dans un obectif de pacification de Viktor Orbán à Moscou perçue « un geste “irresponsable et déloyal” », « qui a provoqué un tollé à Bruxelles » selon Le Monde, le président hongrois s’est rendu au sommet des États turciques. Cette organisation provoque quelques défiances, et « L’Union européenne rejette les tentatives de l’Organisation des États turciques de légitimer l’entité sécessionniste chypriote turque, la prétendue “République turque de Chypre-Nord”, non reconnue au niveau international » a déclaré Josep Borrell, responsable de la diplomatie de l’UE.
Le Monde rappelle que « l’Organisation des États turciques est une organisation internationale regroupant les États de langues turciques, fondée en tant que Conseil turcique en 2009 par l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Turquie. La Hongrie en est devenue un État observateur en 2018. » Ces actions, « une gifle pour l’Union européenne » d’après l’Opinion, qui vont dans le sens de la stratégie hongroise ont mené La Croix à qualifier le dirigeant hongrois de « un flibustier à la tête du Conseil de l’Union européenne ».
Arte et L’Humanité sur la même longueur d’ondes
Lorsque l’on se penche sur la presse, les médias français ont tendance à se montrer particulièrement acerbes. Alors qu’Arte parle d’un pays où la « démocratie vacille », L’Humanité estime que « la société magyare a testé l’extrême droite… et perdu ses libertés ». Pour le périodique communiste, Viktor Orban « a démoli les institutions démocratiques, proclamé que la Hongrie est un “pays chrétien”, alors que 40 % des personnes y sont agnostiques, procédé à un redécoupage électoral, et pris le contrôle des médias, publics comme privés, via des milliardaires qui possédaient plus de 400 titres ».
Libération conçoit cette présidence comme tournée vers un objectif : « troller l’Union européenne et récolter les bénéfices politiques de certains conflits » et Le Figaro reconnaît que « la Hongrie n’est pas le meilleur élève de l’UE » mais est prête « à “occuper” Bruxelles pour “changer” l’Union européenne ». Franceinfo relève trois points de tension majeurs entre Budapest et Bruxelles pour la présidence à venir : « le respect de l’État de droit en Hongrie », « l’aide à l’Ukraine et les sanctions contre la Russie » et « la gestion de l’immigration et le respect du droit d’asile ».
La Hongrie interdite de dîner
Dans un communiqué, « le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a rappelé samedi à Viktor Orban, présent au sommet de l’Organisation des États turciques, qu’il représentait la Hongrie et pas l’Union européenne » a relevé La Tribune. Sur X, le directeur politique de Viktor Orban a réagi avec ironie :
« Sommes-nous autorisés à dîner ou avons-nous également besoin d’un mandat du Conseil européen pour cela ? ». « Dérives antidémocratiques et liens avec le Kremlin malgré l’offensive russe en Ukraine : la présidence hongroise suscite le malaise au sein du Parlement européen et chez plusieurs États membres, au moment où la France inquiète aussi, avec une extrême droite aux portes du pouvoir » a conclu La Tribune, dont la proximité avec La France Insoumise avait été détaillée par l’OJIM.
Finalement, l’acharnement de nombre de médias sur la Hongrie et Viktor Orbán n’est pas une surprise ; l’Observatoire du Journalisme avait déjà dénoncé une « orbanophobie » du Monde qui « a habitué ses lecteurs à des laïus poussifs dépeignant un Viktor Orbán corrompu, autoritaire, xénophobe et poutinophile » ainsi que la « propagande anti-Orbán » d’Arte : « la chaîne franco-allemande Arte n’aura pas tardé à produire un nouveau documentaire à charge (« Hongrie : le cas Orbán »). … Retour sur dix minutes d’un Orbán-bashing aussi sensationnel qu’éculé et mal informé. »
Voir aussi : Quand Viktor Orbán remballe une journaliste d’Euronews