De notre correspondant en Amérique du nord, 14 questions réponses sur une élection serrée et d’importance.
1. Nous observons depuis la mi-octobre un renversement de tendance en faveur de Trump. Vrai ou faux ?
Vrai, en dépit du milliard de $ levé par Madame Harris depuis sa récente nomination. En dépit également d’Hollywood (fatigués), des médias (obsolètes), ainsi que de l’arsenalisation du système judiciaire (en pleine forme) visant Trump et ses alliés. Pour l’instant les sondages semblent contredire la puissance colossale d’un parti démocrate qui fonctionne depuis l’ère Obama de plus en plus comme un parti unique.
2. Faut-il croire les sondages ?
A priori non. Ils dépendent des oligarchies dont dépendent eux-mêmes les médias de grand chemin. Jouant des marges d’erreur, caressant avec douceur les échantillonnages d’électeurs interrogés, ils avaient sans doute réussi pour un temps à créer une impression d’inéluctabilité de la victoire de Madame Kamala Harris. Or, depuis la mi-octobre, les médias s’alarment de ne pas avoir réussi à démoraliser l’électorat de Trump.
3. Y aurait donc depuis deux semaines une manipulation en sens inverse qui permettrait à la machine du parti de se mobiliser contre le danger imminent de la « dictature » ? Et donc à produire encore (comme en 2020) quelques quarante millions de votes peu vérifiables avant le 5 novembre en faisant procéder au vote « par correspondance » à outrance (avec pour sous-produit la collecte des bulletins à domicile ou remis dans des boites aux lettres mobiles déposées au coin des rues) ?
Il est indéniable que la machine à sortir les votes vient de mettre le turbo. Car il semble que ledit mécanisme de la collecte du vote anticipé ou par correspondance ait seulement fonctionné pour moitié seulement (du vote de 2020). Donc la tendance s’inverse (à deux semaines et demie avant le vote du 5 novembre).
4. Comment expliquer cette inversion, du moins pour l’instant ?
Constatons d’abord les raisons inhérentes à la campagne Harris. La candidate qui se veut l’héritière de Barack Obama n’a pas son audace politicienne. Voulant jouer à coup sûr, celle-ci est trop prudente, incapable de spontanéité. Jusqu’ici elle n’a produit qu’une terne réplique d’Hillary Clinton (cette dernière étant perçue très largement comme hypocrite bien que compétente). Kamala Harris ne projette pas pour sa part une impression de compétence; elle incarne plutôt le gauchisme californien, de surcroît avançant masquée.
5. Elle ne viendrait donc pas du bon endroit du pays ?
Exactement ! Cette élection se résume, culturellement et stylistiquement en une bataille entre le Queens et San Francisco, entre l’Amérique rugueuse du réel et celle, sophistiquée, du virtuel. Le Queens, banlieue de New York, c’est l’université de la rue, la mentalité du choc frontal et du bon sens. C’est le berceau de Trump. La Californie, de son côté berceau du wokisme, est depuis longtemps un « état dans l’état », sa « mafia politique » contrôlant les agitations politiciennes de Washington (ainsi de la récente éviction de Joe Biden de la course présidentielle). Aussi le clan Pelosi, Schiff, et Harris conduit-il systématiquement la chasse au trumpisme depuis 12 ans. Parce que l’arrivée de Trump a stoppé le « californisme », matrice du wokisme et de la Silicon Valley. Le Trumpisme a en effet fait tache d’huile, d’abord dans le Sun Belt (états du sud), puis dans le Rust Belt (régions industrielles en crise de la côte Est et du centre-Nord, où se trouve l’essentiel des États-pivots), pour atteindre ensuite la région des plaines à l’ouest des Rocheuses. Cependant que le « californisme » reste implanté dans les états riches de la côte Est, ainsi que dans quelques états des grands lacs néanmoins susceptibles de pivoter. Le problème auquel Harris est confrontée reste bien qu’elle transpire l’élitisme californien, ce qui n’est pas en passant le cas de Joe Biden lequel, en ses jeunes années, pouvait passer pour un proto-Trump. Bref, en nombre d’États, le trumpisme est déjà majoritaire, ce qui n’est pas le cas nécessairement en nombre de voix sur le plan national, du fait du poids démographique des États démocrates.
6. Kamala Harris aurait donc un problème avec les prolétaires, les classes moyennes, et les PME. Mais la masse de l’électorat démocrate reste bien majoritaire ?
C’est encore le cas. Traditionnellement, et c’est inscrit officiellement dans les listes électorales qui mentionnent les sympathies politiques des électeurs, ces derniers se divisent en trois tiers : un gros tiers pour les indépendants, un vrai tiers pour les démocrates, et un petit tiers pour les républicains. Et, traditionnellement toujours, l’électorat indépendant a tendance à voter en faible majorité pour les démocrates. Cette section représenterait, en termes européens, la social-démocratie bourgeoise, non idéologique. Or, lors des récentes inscriptions sur les listes électorales, l’on observe un sursaut républicain qui dans plusieurs états (dont les États-pivots) font jeu quasi égal avec les démocrates. C’est un signe inquiétant pour la campagne Harris.
7. On accuse les démocrates d’être machiavéliques, mais comprennent-ils vraiment les tendances de fond qui transforment le pays ?
Oui et non.
Oui, pour les trente dernières années. Ayant adhéré à la mondialisation heureuse, ayant compris que la classe ouvrière fondrait comme neige au soleil, les démocrates, avec leurs alliés industriels de la « nouvelle économie » (la Silicon Valley, essentiellement) ont eu dès la fin de la décennie 80 l’idée de génie de mettre en place un nouveau plan marketing : l’intersectionnalité. Il s’agissait d’adjoindre à un vaisseau amiral « vertical » (l’électorat féminin) toute une palanquée de « victimes ». Partant du principe que les femmes avaient des griefs légitimes en matière sociale ou économique, et que bon nombre de ces dernières appartenaient aussi à des minorités socioprofessionnelles, ethniques, religieuses, ainsi que de pratiques sexuelles « hors normes », il est apparu logique de déborder « transversalement » sur ces catégories, leur offrant de « se connecter » sur l’énergie du militantisme féministe, pour ainsi faire surgir de nouvelles tribus de victimes ethniques, sexuelles, culturelles, genrées puis non genrées, pour passer ensuite de la justice à « l’équité » puis aux réparations, puis aux frontières ouvertes vues comme « réparation ». Pendant trente ans ces catégories marketing politiques et commerciales ont bien fonctionné, permettant d’assurer une croissance économiques soutenue au sein d’une dissolution sociale où les hommes faisaient figure d’accessoires.
Non, au contraire, pour ce qui est des dernières années. Les démocrates ploutocrates n’ont pas vu que l’inversion à laquelle ils avaient procédé en une génération commençait à s’inverser en une réaction viriliste timide, puis affirmée. Ce qui a produit le trumpisme. Il est plausible de conclure que si Trump a un problème avec les femmes, Kamala Harris en a un, inattendu, avec les hommes.
8. Donc Trump inverse le wokisme ?
Le terreau sur lequel il prolifère s’est en effet inversé. Une nouvelle intersectionnalité est en train d’émerger, assise sur un « virilisme » qui se décomplexe. En pleine crise mondiale, et peut-être à l’orée de nouvelles guerres sanglantes voulues par des oligarchies néocoloniales, et après trente années et plus de bombardement psychologique les présentant comme des surnuméraires toxiques ou nuls, souvent désormais réduits aux miettes de la redistribution sociale, les « mâles intersectionnels » se réveillent. Le phénomène est parti des noirs et des latinos et s’est très vite répandu avec Trump chez les blancs. Nous vérifierons la validité de cette assertion après les analyses fouillées des résultats de l’élection. Il n’en reste pas moins que le trumpisme a débordé, via ce que les démocrates nomment le machisme, sur les minorités raciales. Trump est revenu au score de Richard Nixon de 1960 avec les afro-américains de sexe masculin, cependant qu’il a considérablement progressé chez les latinos des deux sexes, avec un score identique à celui de George W. Bush en 2004.
Ceci s’explique par un prurit anti-Woke surgissant au sein de ces populations pourtant issues de la gauche « traditionnelle », mais aussi par le fait que les frontières ouvertes sont vécues comme une injustice. Entre six et dix millions (voire beaucoup plus) de « sans-papiers » sont ainsi rentrés depuis trois ans, accédant à un statut légal en accéléré (ce qui enrage les citoyens américains d’origine latino qui ont suivi un long processus d’immigration). Cependant que bon nombre de ces « migrants », les poches emplies de subventions, nourris et logés (ce qui enrage les populations noires pauvres), ont été ensuite réaffectés dans les États-pivots ou ceux qui votent encore républicain (ce qui offense les tenants du « localisme » américain, donc les classes moyennes). Il est par ailleurs de fait que Trump a su accélérer un incendie qui couvait sous les braises de la castration masculine. Tout simplement parce que le wokisme est allé trop loin. Il n’est pas à exclure qu’en cas de conscription militaire lors d’un prochain conflit, le « my body my choice » se répande de façon virale parmi les conscrits.
9. Comment le film de ces inversions de tendances a‑t-il pu se dérouler au long de la campagne ?
Le barrage de la « coalition arc-en-ciel » d’Obama a commencé à se fissurer il y a quelques mois. Rappelons ici que la stratégie de Biden était simple : utiliser le ministère de la Justice comme exécuteur électoral afin de stopper Trump et de le ruiner financièrement, avec à la clé plusieurs centaines d’années de prison. Une fois catalogué comme « dictateur insurrectionnel » et « criminel condamné », Trump était supposé s’évaporer. Pour le reste, Biden comptait sur la machine du parti pour corriger sa propre fatigue.
Mais la première photographie d’identité judiciaire de Trump lancée par cette guerre judiciaire a eu exactement l’effet inverse. Ce fut la première fissure du barrage. De nombreux commentateurs noirs avaient en effet ironisé sur le fait que Trump (déjà initiateur lorsqu’il était président d’une loi de réforme de la justice criminelle, ainsi que d’un programme d’aide et de formation aux toutes petites entreprises des grandes villes, deux mesures perçues comme favorables aux noirs), était désormais devenu « l’un des leurs ». La fissure s’est ensuite élargie au fur et à mesure de la performance du cirque judiciaire, permettant alors à Trump de lever des fonds substantiels. Ce qui lui a fait gagner les primaires républicaines.
10. À part le « mugshot » et les procès de Trump, quelles ont été les autres fissures du barrage démocrate ?
La seconde fissure, significative, a été causée par la photo d’un Trump ensanglanté levant le point et criant « fight, fight, fight ! » à l’orée de la convention républicaine. Cela a provoqué deux réactions de poids : celles d’Elon Musk et de Zuckerberg. Musk est entré activement dans la campagne, cependant que Zuckerberg a renoncé à toute intervention dans le jeu électoral (il avait massivement investi en 2020 afin de d’inciter au vote massif… dans les quelques états pivots à population démocrate). De plus, il a présenté des excuses publiques pour avoir cédé à l’État profond en procédant à la censure des avis dissidents sur le Covid, et surtout l’information sur l’ordinateur de Hunter Biden.
Depuis ces deux interventions, Trump a levé des fonds de la part de nombreux financiers californiens œuvrant dans les hautes technologies industrielles, les monnaies numériques et l’intelligence artificielle. La coloration « tech » de Trump s’est ainsi poursuivie, lui permettant de gagner en popularité de chez les jeunes électeurs. Enfin, le « Fight, Fight, Fight ! » du gladiateur blessé a eu un écho parmi les minorités hispaniques… et arabo-musulmanes ! Ainsi un maire arabe du Michigan, élu par une ville quasi-exclusivement arabe, dans un état où la fibre islamo-palestinienne est forte, a apporté son soutien à Trump en dépit de ses accointances israéliennes. Certains arabes se souviennent en fait des accords d’Abraham et de la spectaculaire rencontre de Trump avec les leaders arabo-musulmans du monde entier orchestrée par les Saoudiens.
11. Quid du second attentat (ou tentative) contre Trump ?
Un effet inattendu du premier attentat avait été de libérer Trump des néoconservateurs va-t-en-guerre. L’influence des deux fils de Trump, très liés à Tucker Carlson, lui-même lié à J.D Vance, Elon Musk et Kennedy, avait enragé les bushistes. Le deuxième attentat avorté a eu l’effet d’une dose de rappel pour Trump, ainsi que pour la population qui n’avait pas pu entièrement « enregistrer » le premier du fait du couronnement de Kamala Harris en remplacement de Joe Biden. Le deuxième attentat a en effet représenté la quatrième fissure. C’est dès ce moment que les sondeurs n’ont plus pu masquer les renversements de tendance.
12. Nous avons oublié la troisième fissure du barrage !
En effet Il s’agit ici du ralliement de JFK Junior, qui a produit le « make America healthy again » (rendons la santé au peuple américain). Kennedy a apporté un nouvel angle d’attaque, transversal, portant sur les maladies chroniques catastrophiques qui touchent une jeunesse prise dans les griffes de la malbouffe, de l’addiction aux produits pharmaceutiques, etc. Kennedy a ainsi rajouté un pied à une stratégie qui désormais vise la paix, la prospérité, la liberté de penser, la santé, et l’efficience des administrations.
C’est cette fissure qui s’élargit ces jours-ci, car Trump n’est plus seul comme en 2016. N’étant plus à la merci des néoconservateurs, il dispose d’une nouvelle génération de possibles ministres et de conseillers extérieurs capables de parler en public mieux que lui. Il est donc beaucoup plus crédible, se concentrant sur les thèmes économiques, immigration et tarifs douaniers inclus, qu’il présente lors de petits forums ou réunions de bienfaisance de très haut niveau. Ou dans des podcasts d’humoristes masculins pour la plupart.
13. Que peut faire Harris dans les prochains jours ?
Sa stratégie, après de multiples changements et hésitations semble se résumer ainsi :
- Faire tourner la machine à produire des votes en visant les populations noires en ramenant Trump au niveau du Klu Klux Klan
- Intimider les modérés en présentant Trump comme un Adolf Hitler
- Marteler la traditionnelle argumentation sur l’avortement qui veut faire de Trump l’absolu ennemi des femmes
- Mais aussi préparer son possible échec avec l’appui du système judiciaire afin d’invalider l’élection de Trump par arbitrage de la Chambre des représentants
C’est la raison pour laquelle la candidate a accepté d’être récemment interviewée par un journaliste de Fox News proche des néoconservateurs. Si ce dernier s’est montré combattif sur certaines questions, il lui a cependant laissé tout le temps de s’exprimer sur le fait que beaucoup de républicains considèrent Trump comme un danger pour la démocratie, charge à elle d’en débiter des clips au sein de ses publicités.
14. Que peut faire le « blob » du deep state (état profond, ou état permanent) avant l’élection et surtout après ?
- Ce que font tous les « deep states » en ces circonstances. Nous en reparlerons.