Bien que proposant plusieurs titres, tant hebdomadaires que mensuels ou quotidiens, et même des revues intellectuelles, la presse papier française d’actualité d’obédience chrétienne n’a pas la frite. C’est une presse dite de niche, autrement dit touchant un public spécifique. Il y a bien des explications à cela, dont la déchristianisation de notre société n’est pas la moindre. Reste que le titre le plus visible est un quotidien, La Croix, et que ce quotidien penche au centre gauche. Un regard sur les Unes de la semaine du 20 au 25 novembre 2017 ?
Propriété actuelle du groupe Bayard Presse, La Croix est un des plus vieux quotidiens français. Chrétien et catholique, il n’a pas toujours été autant à gauche qu’aujourd’hui, au sens de centre-gauche. Et son histoire a été tumultueuse, depuis sa fondation en 1893 par la communauté des assomptionnistes. Un bon résumé de cette histoire peut se lire ici. Au cours des derniers mois, le quotidien chrétien catholique de gauche a souvent montré son engagement anti souverainiste, anti nation française et anti patriote, notamment en essayant d’orienter le vote des électeurs chrétiens et de dissuader ces derniers de déposer un bulletin pour Marine Le Pen lors des dernières présidentielles. Dès lors, il n’est pas étonnant de retrouver le quotidien La Croix parmi les cinq quotidiens français les plus subventionnés par l’État, ce qui risque peut-être de poser question quand la communauté musulmane par exemple disposera d’un quotidien distribué en kiosques et réclamera une sorte d’égalité devant la laïcité ? En tout cas, cette cinquième place au palmarès de la subvention d’État de la presse mérite que l’on s’arrête un peu sur les Unes de La Croix.
Le lundi 20 novembre 2017, La Croix penche à l’international
Deux pays à la Une : le Liban et le Zimbabwe. La Croix est alors à l’image de l’ensemble des médias français qui s’intéressent à la même actualité internationale et mettent celle-ci en tête de gondole de leurs titres du jour.
Le Liban est présenté comme tiraillé entre d’autres puissances régionales. Ce qu’il est sans doute, c’est ce que l’on pense de lui en France depuis fort longtemps. L’éditorial de François Ernenwein évoque la « révolution de palais au Zimbabwe » et le fait que Robert Mugabe, vieil autocrate de 93 ans au pouvoir dans ce pays depuis l’indépendance, s’apprête à passer la main de force. Bien sûr, l’éditorialiste indique le caractère autoritaire du pouvoir exercé par un Mugabe qui fut pourtant longtemps « adulé ». Il se doit cependant de sacrifier à l’air du temps en expliquant que cette dérive a succédé à « un combat courageux contre le colonialisme, ses pillages et l’apartheid ». L’éditorialiste omet l’oppression patriarcale mais ce doit être un oubli. Comment faire autrement en 2017 ? Vu l’ambiance. Ernenwein pourrait sans doute écrire les mêmes mots au sujet du Parti des Indigènes de la République. Il n’empêche : le ton général de cet éditorial est dur envers un homme politique qui a conduit son pays à la ruine. Sans aucun doute aidé en cela, d’abord par les États-Unis, puis par la mondialisation, ce que l’éditorialiste n’expose pas. Longtemps, à la fin du siècle passé, le Zimbabwe a pourtant été un pays espoir pour de nombreux peuples, de par son refus de l’américanisme économique.
Le mardi 21 novembre 2017, l’heure est au marronnier de La Croix
Jour de vaches maigres dans l’actualité ? Le quotidien s’intéresse à un sujet qui inquiète de nombreux observateurs, de tous les bords politiques, y compris l’OJIM.
Sur ce sujet du poids des GAFA et des risques qu’ils font courir aux démocraties libérales, La Croix s’inquiète à juste titre.
Une inquiétude qui fait largement consensus. Le titre et une partie du sous-titre interpellent cependant : « L’Europe face aux géants du Web », d’abord. Puis : « L’Europe a engagé l’épreuve de force avec les grands acteurs du numérique ».
Les mots sont ici importants. C’est l’Europe qui est menacée, et non ses peuples, et La Croix est européiste – chrétienne-démocrate en somme. C’est l’Europe, comme entité politique et libérale supranationale dans sa forme actuelle qui apparaît comme étant le véritable rempart aux GAFA, du point de vue de La Croix.
Le mercredi 22 novembre 2017, La Croix ne prend pas position sur l’écriture
Pas sur les textes sacrés, bien sûr, mais sur la question de l’écriture dite inclusive. Là aussi, difficile d’échapper à une actualité qui envahit amplement tous les écrans et toutes les salles de rédaction. Ce qui pourrait étonner (mais n’étonne pas) de nombreux médias tant les tenants de cette transformation de l’écriture en outil « incluant » prétendument les femmes, qui seraient exclues de la langue, sont minoritaires dans le paysage intellectuel. Minoritaires mais actifs et bruyants.
C’est une évolution remarquable du quotidien : La Croix semble avoir adopté la règle du « en même temps macronien », règle qui permet de ne pas vraiment prendre position. Ainsi, la Une indique que débat il y a et que le premier ministre n’autorisera pas l’utilisation de cette forme d’écriture ou sa féminisation, pour le dire avec La Croix, dans les textes officiels de la République. Contrairement au premier ministre, le journal ne tranche pas et demeure prudent quant à l’expression d’une opinion. Jésuite, oseront sans doute certains. Le choix du titre « Féminiser l’écriture… ou pas ? » semble indiquer que le débat fait rage dans les couloirs de la rédaction elle-même et… en même temps que l’on penche (discrètement) en faveur de tout ce qui peut avoir trait de près ou de loin à l’apparente cause des femmes. Sans quoi, pourquoi choisir de parler de féminisation de l’écriture plutôt que d’inclusivité ?
Le lecteur sent que cette Une a été longuement pesée : le lectorat catholique, même votant en majorité à gauche ou au centre, est attentif aux changements de société quand ils sont idéologiques. Trois crayons bleus contre un crayon rose pour illustrer cette Une, l’observateur se dit qu’il est peut-être temps de moderniser un peu une imagerie qui confine à une vieille tradition d’humour paroissial.
Le jeudi 23 novembre 2017, les choses sont beaucoup plus claires
La Croix, Poutine ce n’est pas sa tasse de thé, même si là aussi les mots sont pesés.
Le président russe est « le maître du jeu » qui « distribue les cartes », ce qui sonne plutôt négativement, la triche n’est pas loin. En même temps, décidément, il s’agit de « mettre un terme à la guerre civile », ce qui pour une presse chrétienne ne peut que sonner positivement. L’éditorial de Guillaume Goubert apporte-t-il un éclairage plus précis ? Sur le versant positif : la guerre, qui est un mal en soi, semble approcher de son terme et les musulmans islamistes (« Daech », dans le langage prudent de La Croix) ne sont pas au pouvoir en Syrie.
Versant négatif ? Bachar El Assad est toujours là, malgré son « refus de tout compromis avec les forces d’opposition » qui « a transformé ce qui n’était qu’une crise politique en un conflit effroyablement destructeur ». Autrement dit, la responsabilité de la guerre incombe au chef d’État syrien. On comprend mieux pourquoi l’éditorial n’évoque pas l’islamisme musulman politique.
Autre point négatif : le terme de la guerre est mené par des pays autoritaires ou dictatoriaux, du point de vue de La Croix : la Russie, la Turquie et l’Iran. Le souci est clair : le quotidien s’inquiète du rôle joué par des pays dont la vision du monde est aux antipodes de son européisme libéral. Pour l’heure ? Poutine. Un nom qui en Une de La Croix ne vise pas à rassurer.
Le vendredi 24 novembre 2017, La Croix rattrape son retard ?
Suite à la nouvelle profanation début novembre de la stèle en hommage à Ilan Halimi, assassiné à Bagneux en février 2206 par des tueurs antisémites issus de l’immigration, toute la presse nationale a évoqué la remontée de l’antisémitisme en France, et le fait que la majeure partie des actes de racisme actuellement enregistrés sont des actes antisémites. Les membres du « gang des barbares » avaient aussi été identifiés comme influencés par le salafisme, suite aux perquisitions policières. Une affaire qui, dans cette même banlieue sud proche de Paris, peut-être considérée comme en annonçant d’autres, ainsi les assassinats de Coulibaly. Le quotidien n’évoque pas cela. La Croix ayant eu à traiter des GAFA, de l’Europe et de Poutine, emboîte d’ailleurs tardivement le pas aux autres médias sur le sujet.
Le titre est révélateur de la gêne du quotidien devant l’épineux sujet de l’islamisme et de son corollaire antisémite dans les banlieues françaises : « Être juif en banlieue ». Un sujet traité non pas suite aux actes antisémites ou à la profanation de la stèle balnéolaise mais à celui des « élections au consistoire israélite ». Un angle de vue unique dans la presse française de cette semaine-là, une presse qui aurait plutôt tendance à tirer la sonnette d’alarme. La Croix n’élude pas les questions relatives à la communauté juive sur le sol français, elle est simplement attentive à mettre la question de l’antisémitisme musulman islamiste de ces mêmes banlieues en veilleuse.
Loin des Unes criardes d’un quotidien comme Libération, par exemple, La Croix semble gagnée par une sorte de néo-jésuitisme « en même tempiste » attentif à ne surtout pas prendre de position claire sur les sujets nationaux qui fâchent, tout en maintenant un cap européiste allié des libéraux libertaires en ce qui concerne la politique internationale. À une certaine époque, La Croix envisageait de changer de nom pour oublier des périodes sombres de son histoire. Oserait-on suggérer L’Autruche ?