À l’heure où peu de gens dans le monde croient encore à l’avenir d’une presse papier à l’ancienne, et où les éditeurs tentent par tous les moyens de s’agripper à la transition numérique en marche, rien ne semble ébranler cette corporation en Algérie. Ni la flambée du prix du papier, ni l’explosion des réseaux sociaux et des médias alternatifs, ni même le durcissement de l’imprimatur.
Entre 150 et 200 titres papier !
Entre 150 et de 200 titres, tous formats confondus, sont imprimés jusqu’à fin 2023, selon le ministère de la Communication algérienne. On en comptait moins de 130 en 2020, ce qui montre que la tendance est à la hausse dans ce secteur. Il y a eu une période de vaches maigres entre 2014 et 2017, où 26 quotidiens en majorité d’expression française avaient cessé de paraitre, mais la scène médiatique «s’enrichit» épisodiquement de nouveaux titres. Le dernier en date est un quotidien en français, La Voie d’Algérie, lancé en mai 2024.
Et la question qui se pose d’entrée : à quelle logique obéirait cette hypertrophie dans la conjoncture actuelle ? Car, non seulement, tous ces journaux-papier sont si peu rentables (la majorité tirent à moins de 5 000 exemplaires) et constituent, de ce fait, un fardeau pour l’État, mais, plus encore, la multiplicité des titres ne reflète aucune diversité d’opinion réelle. Les trois ou quatre grands quotidiens dits indépendants (El-Watan, El-Khabar, Le Soir d’Algérie…), créés à l’ouverture du multipartisme en 1990, et qui gardaient encore une certaine liberté de ton jusqu’à 2020, sont tous entrés dans le giron du pouvoir.
Une presse papivore soutenue par la publicité d’État
Accablés de dettes, désertés par les lecteurs, ces journaux ne désarment pas pour autant. Ils comptent sur cette intarissable manne publicitaire qui est servie par l’Agence nationale d‘édition et de publicité (ANEP), qui en a le monopole. Près de 85 % des budgets publicitaires sont destinés à une pléthore de journaux sous forme d’annonces publiques. Même si, une partie des revenus revient à l’État (commissions, TVA et autres annexes).
Accusée d’alimenter une presse aussi médiocre que gloutonne, cette agence avait, en 2020, promis de faire le tri, et commencé à rendre publique la liste des éditeurs qui s’étaient sucrés. Son directeur de l’époque, Larbi Ouannoughi, a été vite relevé de ses fonctions.
Nouvelle loi en 2023
Les patrons de la presse écrite se sont une nouvelle fois sentis menacés, lorsqu’une nouvelle loi de l’information a été adoptée, en 2023. Celle-ci autorisait, pour la première fois, l’octroi d’une part de la publicité institutionnelle, qui demeure la principale source de survie des médias en Algérie, aux journaux en lignes qui montrent pattes blanches. Or, seule une poignée de sites d’infos en bénéficient. Ce qui redonne encore de l’espoir à cette presse papivore.
Signe que la transition numérique en Algérie piétine : 5% de citoyens seulement paient pour l’info en ligne (contre une moyenne de 21 % en Europe), selon l’Office algérien de la presse (ONP). Sachant que, d’après un rapport d’Ipsos Algérie de 2023, 78 % des moins de 30 ans s’informent sur Facebook et YouTube.
Une transition numérique en panne
L’absence d’un modèle économique n’est pas l’unique raison de ce mauvais départ de la presse électronique en Algérie. Les professionnels pointent l’absence d’un cadre juridique clair et se plaignent notamment d’un texte, le décret 20–2017, obligeant les médias en ligne à s’enregistrer sous peine de blocage. Il y a aussi le problème de pénétration d’Internet, estimée à 63%, en plus d’une fiscalité jugée punitive : l’État impose 19 % de TVA sur les régies publicitaires numériques, contre des exemptions pour le papier.
Financement participatif
Cela dit, certains journaux en ligne survivent grâce au financement participatif (appelé aussi crowdfunding) ou à la publicité internationale, comme TSA ou Maghreb Emergent, exclus depuis longtemps des fonds publics. Ce dernier fait partie d’un groupe médiatique qui comptait Radio M, interdite en 2023 et son directeur, Ihsane El-Kadi, condamné à cinq ans de prison, et libéré en 2024, à la faveur d’une mesure de grâce présidentielle.
Sites sur VPN seulement
En plus des contingences financières, les éditeurs et les journalistes de la presse en ligne voient leur marge de liberté de plus en plus réduite. De nombreux sites demeurent inaccessibles à ce jour sans VPN, à l’image de TSA, Algeriepatriotique, Le Matin, ainsi que des sites proscrits depuis longtemps par les autorités comme Siwel et Tamurt, organes du Mouvement pour l’autonomie de Kabylie (MAK), sans compter la quasi-totalité de la presse marocaine, accusée de nourrir l’hostilité envers l’Algérie.
Adel F.