Presstalis, issu des NMPP, est à nouveau au bord du dépôt de bilan, cinq ans après la grosse crise de 2012 et va bénéficier d’un nouveau « plan d’urgence » qui fera payer les journaux. Pourtant, de graves questions se posent, tant sur la gestion que sur le modèle économique de la distribution de la presse en France. Sans oublier le poids du Syndicat du Livre, donc de la CGT, qui a déjà pesé lourdement par le passé.
Le plan qui se dessine va contraindre les éditeurs de presse actionnaires de Presstalis à verser 2,25% de leurs ventes pendant quatre ans et demi. Or leurs chiffres d’affaires ne sont déjà guère florissants, malgré les aides d’État et le poids de la presse mainstream en France. Ceux de la messagerie concurrente, MLP (Lyon) devront eux aussi casquer, dans les mêmes conditions. Des conditions qui devraient voir la presse augmenter encore un peu en kiosque, creusant la différence avec les abonnements – aujourd’hui majoritairement proposés à prix cassés sur divers supports – et la désaffection croissante des lecteurs pour la vente au numéro, hors de prix.
Le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) qui supervise la filière, parle en effet d’un risque systémique si les deux messageries font faillite : « Le système collectif de distribution de la presse traverse actuellement une crise grave due essentiellement à la situation dans laquelle se trouve la messagerie Presstalis. Mais, compte tenu du poids de cette messagerie dans la filière, de la fragilité des autres acteurs et de leur interdépendance, le risque de liquidation de Presstalis fait peser une menace sur l’ensemble du secteur ». Presstalis diffuse en effet 75% de la presse française.
Presstalis a eu en 2016 un résultat négatif et des pertes en 2017 qui approchent les 15 millions d’euros. En grande difficulté – le seul besoin immédiat en trésorerie se monte à 37 millions d’euros, Presstalis a annoncé aux éditeurs début décembre, sans façon, qu’il conserverait provisoirement 25% des sommes qui doivent leur être versées en décembre et janvier en plus des 45% généralement perçus. Soit une somme totale de 37,2 millions d’euros prélevés.
Minute et les petits éditeurs de presse étranglés par les ponctions de Presstalis
Si les gros journaux n’y voient pas trop de problèmes en raison du risque que fait peser une éventuelle faillite de Presstalis sur la filière, pour les petits, un quart des recettes, ça représente 20 à 25 000 €, une somme énorme. Philippe Loison, président du SAEP (syndicat de l’association des éditeurs de presse), s’émouvait par courrier recommandé de cette décision brutale, assurant qu’elle allait « provoquer la cessation de centaines de titres et la disparition immédiate de plusieurs dizaines d’entreprises de presse ». Il s’en prenait notamment à la gestion interne de Presstalis : « nous devons imaginer que tous recevront leurs primes de fin d’année, leurs treizième voire leur quatorzième mois de salaire, tandis que nos confrères seront dans l’incapacité de payer les salaires de décembre de leurs collaborateurs et d’eux-mêmes, ni de régler leurs fournisseurs ».
De quoi en plomber certains, dont le plus en difficulté semble être le journal Minute. Sans locaux, avec des frais réduits et d’importants retards de paiement pour ses journalistes, il se donne 3 mois pour redresser la situation ou se retirer des kiosques pour assurer sa survie, ne disposant pas de la trésorerie nécessaire pour changer de prestataire : « si Minute doit mourir un jour, nous refusons absolument que cela soit sous l’effet conjugué d’une gestion calamiteuse dans laquelle nous n’avons pris aucune part et d’un racket décrété par un prestataire qui devrait être à notre service comme à celui de tous les titres de la presse française, et non se faire notre exécuteur ». En attendant, Minute a lancé un appel aux abonnements.
Le poids du Syndicat du Livre et d’une gestion opaque
Presstalis a été plombé par la somme de plusieurs facteurs. L’histoire déjà, et les dérives liées au Syndicat du Livre et à la CGT. Symbole de poids pour la CGT, les NMPP devenues Presstalis sont sous la coupe du Syndicat du Livre, qui gère seul les recrutements, détourne des armes pour le Grand Soir lors de la faillite de Manufrance et 200 T de papier par mois (5% du volume traité) pour Cuba, bloquant la distribution des journaux quand les patrons de presse leur résistent (1975–1977 pour le Parisien), avec de moins en moins de succès cependant (1989, puis 2010) ou la vente des titres qu’il ne supporte pas pour des raisons idéologiques (Le Figaro en 2013) ou parce que leurs articles le critiquent.
Sureffectifs et salaires très favorables ont aussi conduit à ce que le coût d’impression et de distribution soit en France le plus élevé de l’Europe – il représente la moitié du prix de vente d’un titre français. Presstalis compte aussi un très fort taux d’encadrement : ses effectifs au 31 décembre 2016 se composent de 460 cadres et agents de maîtrise, 22 employés et 182 ouvriers, tous très bien payés ; les effectifs arrivent à 1200 à l’échelle du groupe. C’est cependant beaucoup moins que la taille du groupe il y a quelques années – 2700 salariés avant 2012, cependant il a fallu financer des plans sociaux très favorables qui ont participé à plomber Presstalis.
Autre problème : l’État n’a cessé d’arroser toute la filière d’aides – tant les titres que les imprimeries ou les NMPP devenues Presstalis, sans se pencher sur les indicateurs qui viraient au rouge : multiplication des invendus, effondrement des points de vente (25 000 en France contre 120 000 en Allemagne), absence de régulation des flux… Sans aucun contrôle, des millions d’euros ont été injectés – pour la seule année 2018, il s’agit de 18,9 millions d’euros, sans oublier le crédit d’impôt recherche (239 678 € en 2016) et surtout les prêts du fonds de développement économique et social pour 50 millions d’euros en 2012–2013 (10 millions d’euros par an) et 2015 (30 millions d’euros). Un moratoire sur le remboursement de deux échéances de 1,4 millions d’€ a été obtenu en septembre 2017.
La gestion apparaît aussi comme assez opaque, au point d’inquiéter le CSMP. Dans un « avis » du 19 décembre dernier, il s’interroge sur les raisons de cette faillite, dans la mesure où « la baisse de l’activité constatée a été conforme aux prévisions » et n’explique pas « le creusement important du résultat d’exploitation de l’exercice » car « le budget qui lui avait été présenté au début de l’été tablait sur un résultat proche de l’équilibre ». Le CSMP poursuit : « à ce jour, la Commission [de suivi de la situation économique et financière des messageries, au sein du CSMP] n’a pas entièrement élucidé les raisons de ce décalage considérable par rapport au budget, alors même que le niveau des ventes […] devrait être conforme à ce qui avait été budgété. »
Un scandale d’État : quand les « grands » médias enterrent le papier aux frais du contribuable
Dans la blogosphère de Mediapart, le journaliste Schwartzenberg accuse : l’affaire Presstalis tourne au scandale d’État : « la direction de Presstalis, ses administrateurs à savoir Le Monde, Le Figaro, Le Canard Enchainé qui ont conduit l’entreprise à la faillite veulent que l’État finance leur reconversion numérique. L’affaire se résume ainsi: le Figaro et, dans une moindre mesure Le Monde, sont convaincus que le papier va disparaître à échéance de trois ans car ils ne sont pas capables, à défaut de la relancer, de la faire survivre. Pour gérer cette fin, les groupes de presse qui contrôlent Presstalis ont obtenu l’accord de principe de l’État pour qu’il accorde une dotation exceptionnelle de 160 millions d’euros ».
Publiés par Electronlibre.info, les comptes sociaux laissent apparaître une situation très difficile : en 2016 en effet Presstalis avait un résultat d’exploitation positif de 21,5 millions d’€ pour un résultat avant impôt négatif de 47,3 millions d’€ et un chiffre d’affaires de 177 millions d’euros. Celui-ci était plombé par des plans sociaux (24,3 millions d’euros), des dépréciations d’actifs (7,4 millions d’€) et l’affacturage (7,2 millions d’€), sans oublier des frais de découverts bancaires (2,46 millions d’€) qui témoignent d’une gestion à l’à-peu-prés.
Le fonds de roulement a vu ses besoins exploser, de 23,8 millions d’€ à 55 millions d’euros. Le passif total se creusait de plus de 50 millions d’euros en 2016, atteignant 503 837 723, 31 € dont 51,2 millions d’euros d’emprunts auprès de l’État, 180,9 millions d’euros d’autres emprunts et dettes, 269,1 millions d’euros de dettes auprès des éditeurs, 25,4 millions d’euros de dettes fiscales et sociales – en légère baisse, elles, ce qui permet de constater une politique d’austérité au niveau des congés payés, RTT, primes… qui équivaut à 600 000 € d’économies. Une paille.
Dire que dans le projet de Loi de Finances de 2017, le Sénat indiquait : « La messagerie prévoit un bénéfice avant intérêts et impôts en augmentation, à hauteur de 5,1 millions d’euros qui pourrait atteindre 12,5 millions d’euros en 2017 et 22,3 millions d’euros en 2018, selon les informations transmises par Presstalis » ! Alors que les comptes sociaux 2016 font apparaître des capitaux propres négatifs de 309,6 millions d’€ pour un capital social de 22,2 millions d’euros. Bref, qui sont inférieurs de plus de la moitié aux capitaux sociaux. A ce train là, n’importe quelle entreprise aurait fait faillite.
Gabegie de Presstalis : Macron ne change rien
Si Macron se présente comme le président de la rupture sur des sujets aussi sensibles que le Code du Travail, l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou la fiscalité locale, pour Presstalis, l’exécutif s’en est mêlé mais ne change rien au système. Bref, sur ce sujet là – comme pour d’autres ? – Macron ne change rien, mais continue aux frais des contribuables un système à bout de souffle.
Les MLP, dont les éditeurs devraient payer eux aussi pour Presstalis, sont en revanche déterminées à secouer le cocotier, arguant de leurs fonds propres positifs. Les mesures visent à « affaiblir » ses éditeurs, estiment les MLP, qui n’ont jamais reçu d’aides de l’État, « en les privant de leurs marges et de leur trésorerie sous prétexte de solidarité ». La mesure est « contre-productive, inique et disproportionnée » selon les MLP qui plaide que « l’organisation de la filière ne doit pas se faire sans une remise en cause du rôle dominant de Presstalis, appuyé par les avantages que lui confèrent les dispositifs législatifs et réglementaires mis en œuvre par le CSMP, bras armé d’une seule messagerie : Presstalis ».