Le succès soudain du Rassemblement national a suscité l’ire du monde médiatique, qui se sent notamment menacé par le projet de privatisation de l’audiovisuel public proposé par le groupe politique.
« Vraiment […] il faut garder son sang-froid. Et si ça devait arriver, qu’est-ce que je veux dire ? On va se battre ». Au micro de Quotidien, Adèle Van Reeth l’assure : la privatisation de l’audiovisuel public ne passera pas sans batailles. Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024, la perspective d’un potentiel gouvernement dirigé par Jordan Bardella, président du Rassemblement national, est une hypothèse envisagée non sans crainte par les acteurs de cette branche. Et pour cause : la privatisation de l’audiovisuel apparaît clairement dans le programme du groupe politique, qui ne semble pas être revenu sur sa proposition.
Privatisation : le calendrier et ses effets
Pour Sébastien Chenu, porte-parole du Rassemblement national, « la privatisation du service public de l’audiovisuel, c’est 3 milliards d’euros d’économies ». Le parti avait autrefois légitimé sa proposition en soulignant qu’il permettrait à l’audiovisuel public de faire face à des plateformes puissantes comme Netflix. Se disant attaché à la « liberté de la presse », Jordan Bardella a confirmé cette mesure qu’il perçoit comme un « objectif » mais dont il annonce qu’elle sera sans doute mise en place dans un second temps, « le temps des réformes ». Il contredit ainsi Sébastien Chenu, qui soulignait le 10 juin sur BFMTV qu’une telle disposition pourrait être dégainée rapidement.
La faisabilité du projet
La faisabilité du projet ne semble pas compromise en soi ; elle entraînerait nécessairement un renforcement de la mainmise des groupes privés sur le secteur et conditionnerait donc la pluralité des lignes éditoriales auxdits groupes. En ce sens, elle pourrait être le moteur du pluralisme comme de l’unilatéralité des points de vue, les investisseurs privés n’opérant pas (au regard de la santé financière du domaine) dans une perspective mercantile. En cela, cette mesure s’inscrit plutôt en cohérence avec les propositions du Rassemblement National, qui a proposé par l’intermédiaire du député Philippe Ballard de supprimer la limite de possession à sept chaînes d’un groupe privé.
Une opposition de Bruxelles ?
L’European Media Freedom Act, adopté le 14 mars 2024, ne devrait pas non plus constituer une barrière majeure contre cette mesure puisqu’il n’interdit pas la privatisation des chaînes publiques de manière littérale. Néanmoins, comme l’a souligné le journal Marianne, la place donnée à l’audiovisuel public dans le texte, exaltant « l’importance de la télévision publique qui vise à satisfaire les besoins démocratiques, culturels et sociaux de chaque société et préserve le pluralisme », laisse peu de doutes sur la réaction de l’UE en cas de privatisation ; une instruction serait ouverte à l’encontre de la France pour manquement si le gouvernement venait à supprimer ou réduire ce service public. Remarquons que les autorités de Bruxelles n’ont pas frémi quand l’extrême-centre polonais de Donald Tusk a fait main basse sur l’audiovisuel public en Pologne (voir ci-dessous).
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Des dossiers qui demeurent
En l’absence de majorité absolue, la privatisation de l’audiovisuel public n’adviendrait pas, les autres partis étant largement favorables à son maintien. Pour autant, plusieurs questions se posent face à l’absence de majorité du groupe présidentiel : qu’adviendra-t-il du projet de fusion visant à la centralisation de l’audiovisuel public, initiée dès l’arrivée au ministère de la Culture de Rachida Dati ? Comment compenser la perte de recettes induite par la fin du paiement de la redevance, jusqu’alors constitutionnellement garantie par la mise en placement d’un financement par fractions de la TVA, dont l’expérimentation doit cesser en décembre prochain ? Des questions auxquels semblent peu pressées de répondre les différentes formations politiques dans la course aux législatives…
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