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Profanation des Invalides : Le Point déniche le ravi de l’armée

10 août 2019

Temps de lecture : 11 minutes
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Profanation des Invalides : Le Point déniche le ravi de l’armée

Temps de lecture : 11 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 20/06/2019

Forme affligeante, pauvreté extrême des références, propos confus, contradictions et inexactitudes quant aux faits rapportés, profonde méconnaissance de l’ensemble des sujets évoqués comme de leurs enjeux, mépris du devoir de réserve sans prendre le risque d’en assumer les conséquences, allusion à caractère antisémite, le contenu de la « lettre ouverte » publiée le 15 juin 2019 dans Le Point sous le pseudonyme Wilfried Madann par un officier supérieur d’active, ou prétendu tel, révèle un tel florilège qu’on songe en premier lieu à un canular.

Cette let­tre dans laque­lle l’auteur se réjouit ouverte­ment de la pro­fa­na­tion sur­v­enue le 22 mai 2019 à Saint-Louis des Invalides, pour mieux déplor­er la réac­tion et l’émotion man­i­festée par ceux qu’il qual­i­fie de « mil­i­taires à la retraite », a pour­tant été intro­duite dans les colonnes de cet heb­do­madaire par le très sérieux jour­nal­iste Jean Guis­nel, spé­cial­iste des ques­tions de défense. Le long délai pris par Le Point avant de pub­li­er cette réac­tion s’explique-t-il par le temps néces­saire pour Jean Guis­nel afin de finir par trou­ver, dans ses fonds de tiroirs, cet offici­er ravi ? Cette durée exces­sive explique peut-être, para­doxale­ment, la pré­cip­i­ta­tion qui, à juger de son con­tenu, sem­ble avoir accom­pa­g­né cette pub­li­ca­tion, une fois iden­ti­fié le spéci­men rare qui a accep­té de la rédiger.

Le Point rompt le silence trois semaines après les évènements

C’est en effet plus de trois semaines après l’appel à la prière islamique lancé à Saint-Louis des Invalides, quinze jours après la prière de répa­ra­tion pronon­cée sur les lieux par l’évêque aux armées et la pub­li­ca­tion dans Boule­vard Voltaire d’une tri­bune signée par 131 mil­i­taires en réponse à cette pro­fa­na­tion, que l’hebdomadaire Le Point vient donc de se décider à sor­tir du silence médi­a­tique qui s’imposait jusqu’alors sur le sujet, comme le soulig­nait notre arti­cle du 7 juin 2019. Un délai éton­nam­ment long compte-tenu des pra­tiques en vigueur en matière de temps médi­a­tique. Face à ces 131 sig­na­tures assumées sous leur véri­ta­ble iden­tité par 46 officiers généraux en deux­ième sec­tion et 85 officiers, sous-officiers et mil­i­taires du rang à la retraite, Le Point a donc résolu de rétablir l’équilibre dans le débat public.

Mal­gré les accès de Jean Guis­nel dans les milieux de la défense, notons qu’il s’est vis­i­ble­ment trou­vé dans l’incapacité de trou­ver un seul offici­er dans une posi­tion statu­taire qui l’affranchisse de son devoir de réserve, à l’instar des 131 mil­i­taires sig­nataires de la tri­bune de Boule­vard Voltaire, pour apporter la con­tra­dic­tion à ces derniers. Sans doute, pour aller dans le sens du pou­voir poli­tique et avalis­er un affront infligé à l’ensemble de ses frères d’armes, est-il plus sim­ple de trou­ver un mil­i­taire d’active (s’il existe vrai­ment) per­suadé qu’il peut encore obtenir quelque faveur ou amélior­er ses per­spec­tives de car­rière, quitte à sac­ri­fi­er un peu d’éthique et d’esprit de cama­raderie. Surtout si, comme le lui accorde Jean Guis­nel dans les colonnes du Point, il peut obtenir cet avan­tage sans avoir à en assumer le prix, en se voy­ant accorder la faveur de mas­quer son iden­tité par l’emploi d’un pseudonyme.

Sous une forme affligeante, un contenu manifestement fébrile

Appelons le Wil­fried, puisque c’est le prénom que s’est choisi ce pré­ten­du offici­er, qui se dit supérieur. Si on sup­pose que la supéri­or­ité de Wil­fried s’exprime par son grade, elle est mal­heureuse­ment loin de se man­i­fester dans les qual­ités styl­is­tiques d’un papi­er dont le con­tenu nous rap­pelle toute la per­ti­nence de l’assertion de Vic­tor Hugo : « la forme, c’est le fond qui remonte à la sur­face ». Pas­sons donc sur l’incapacité de Wil­fried à s’exprimer par écrit sans numérot­er, dans le corps du texte, ce qu’il croit être des idées, et sans pré­cis­er aupar­a­vant qu’il les déclame « haut et fort », même s’il ne mesure vis­i­ble­ment pas que sa toni­tru­ance perd de son effet quand elle s’exprime sous pseudonyme.

Notons toute­fois que la dif­fi­culté qu’il révèle ain­si à se détach­er de canevas rédac­tion­nels et de cadres d’ordres appris sur ses bancs d’école explique sans doute la dif­fi­culté à appréhen­der les réal­ités de son envi­ron­nement que révèle le con­tenu de sa let­tre. Accor­dons à Wil­fried le crédit d’avoir accom­pli, un instant, l’effort man­i­feste de s’essayer à la métaphore, lorsqu’il indique que la pro­fa­na­tion de la cathé­drale Saint-Louis des Invalides lui « rap­pelle une pub­lic­ité pour le choco­lat Mil­ka, illus­trée par des mar­mottes… », même si le lecteur, après avoir ten­té de com­pren­dre le fond de sa pen­sée, finit par réalis­er que la cul­ture per­son­nelle de Wil­fried, en se méta­mor­phosant en « cul­ture pub » dans les années 90, a fini par accorder trop de temps de cerveau disponible à l’injonction mar­ket­ing de mémori­sa­tion de la mar­que pour com­pren­dre le sens du slo­gan pub­lic­i­taire qui l’accompagnait.

Cette forme défi­ciente a le mérite d’éviter au lecteur toute sur­prise quant à la fébril­ité du con­tenu de la let­tre de Wil­fried, notam­ment quand il prend son sup­posé cas pour une général­ité en déclarant, à pro­pos des con­flits dans les Balka­ns, « qu’aucun offici­er impliqué dans les arresta­tions du TPI n’a eu de doute quand il s’est agi de mon­ter des opéra­tions com­pliquées » ou encore « que le Koso­vo était une juste guerre visant à arrêter un mas­sacre dont j’ai été le témoin ». Sans doute veut-il par­ler de ce tri­bunal pénal inter­na­tion­al pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) bien con­nu pour avoir relâché la plu­part des quelques crim­inels de guerre albanais de l’UCK qu’il avait daigné faire arrêter, par­mi lesquels un ancien pre­mier min­istre du Koso­vo, après avoir con­staté son impuis­sance face aux intim­i­da­tions des mafias albanais­es sur les témoins à charge.

Quant à la notion de « juste guerre » invo­quée pour le Koso­vo, elle con­duit à se deman­der si Wil­fried est plutôt néces­si­teux de cours de droit inter­na­tion­al, qui n’admet le recours à la force qu’en cas de légitime défense ou de réso­lu­tion du con­seil de sécu­rité de l’ONU, préreq­uis inex­is­tants dans le cas de l’intervention de 1999 au Koso­vo, ou de leçons de théolo­gie, puisque Wil­fried s’affirme comme un offici­er catholique, afin d’apprendre que Saint-Thomas d’Aquin exclu­ait, entre autres, la présence d’intentions cachées pour qu’une guerre puisse être qual­i­fiée de « juste ».

La suite du des­tin du Koso­vo, entre déc­la­ra­tion d’indépendance aval­isée par les bel­ligérants occi­den­taux et instal­la­tion de bases de l’OTAN, peut laiss­er sur ce dernier point quelques doutes aux esprits avisés par­mi lesquels Wil­fried n’a pas pris le temps de fig­ur­er. L’affirmation, invéri­fi­able puisque for­mulée sous pseu­do­nyme, selon laque­lle Wil­fried aurait été témoin des mas­sacres ren­dant « juste » l’intervention au Koso­vo, entre pour sa part dans le reg­istre du « forte­ment improb­a­ble » quand on sait que les enquêtes de l’ONU postérieures à l’intervention de 1999 ont depuis longtemps fait litière des accu­sa­tions de crime mas­sif con­tre l’humanité for­mulées par le départe­ment d’État améri­cain pour jus­ti­fi­er l’intervention, et que la présence française au Koso­vo, directe­ment liée à l’opération occi­den­tale de 1999, rend impos­si­ble, pour Wil­fried, le fait d’avoir été témoin de tels mas­sacres, sauf à en avoir été le com­plice. On imag­ine que, dans cette hypothèse, il s’agirait de mas­sacres com­mis par l’UCK, puisque ce mou­ve­ment doit béné­fici­er de toute sa sym­pa­thie, ce qui n’aiderait donc tou­jours pas à ren­dre « juste » l’intervention au Kosovo.

Un prétendu officier catholique connaissant aussi peu le statut militaire que le dogme religieux

Si le fait de s’affirmer « offici­er français, chré­tien, catholique et pra­ti­quant » n’empêche donc pas Wil­fried d’ignorer les développe­ments théologiques de Saint Thomas d’Aquin sur la notion de guerre juste, c’est sans doute ce qui lui per­met de se sen­tir investi d’une légitim­ité l’autorisant à se lancer dans des morceaux de bravoure tels que cette sail­lie sur le par­don : « Être chré­tien, c’est aimer, par­don­ner et accepter, sans notion de retour sur investisse­ment. En cas de non-adhé­sion à ces principes, libre à tous de se diriger vers d’autres con­fes­sions plus adap­tées à l’application de la vengeance ou de la vin­dicte. » Comme on devine que Wil­fried, qui con­fie un peu plus loin son admi­ra­tion pour l’appel à la prière islamique, ne désigne pas ici l’Islam, cha­cun sera libre d’apprécier ici l’allusion implicite à la loi du Tal­ion, asso­ciée à la notion de retour sur investisse­ment, pour éval­uer, à tra­vers cette jux­ta­po­si­tion de clichés, une ombre de car­ac­tère anti­sémite qu’il con­vient de prêter à ce moment d’exaltation, sinon d’égarement.

On com­prend en tout cas que Wil­fried rédi­ge ici un nou­veau dogme à des­ti­na­tion de l’Église qui, désor­mais, doit tout accepter, y com­pris la pro­fa­na­tion de ses lieux de culte. Il lance à cet effet un appel au diocèse aux armées, en l’enjoignant de « bot­ter en touche » les deman­des de prières de répa­ra­tion, igno­rant vis­i­ble­ment qu’au moment où il rédi­ge sa let­tre ouverte, le diocèse aux armées, qui respecte pour sa part le dogme, a déjà pronon­cé cette prière le 30 mai. Accor­dons toute­fois à Wil­fried une paresse intel­lectuelle à l’égard du règle­ment mil­i­taire équiv­a­lente à celle qu’il déploie sur les ques­tions de dogme. Il sem­ble tout d’abord ignor­er que, si les « officiers retraités » aux­quels il croit s’adresser sont, pour plus d’un tiers d’entre eux, des officiers généraux en deux­ième sec­tion et des non retraités, leur car­ac­téris­tique com­mune est, du fait de leur statut, de n’être plus soumis à un devoir de réserve qu’ils ont scrupuleuse­ment respec­té durant leur péri­ode d’active, con­traire­ment à Wilfried.

Ce dernier croit peut-être que l’usage d’un pseu­do­nyme le fait échap­per au motif de vio­la­tion du devoir de réserve alors que la jurispru­dence, extrême­ment claire de ce point de vue, établit que le fait de se pré­val­oir de ses fonc­tions ou de son statut pour s’immiscer dans un débat pub­lic d’opinion à car­ac­tère poli­tique en péri­ode d’active est une infrac­tion au devoir de réserve, même si cette infrac­tion est com­mise avec un arti­fice de cam­ou­flage. Mais l’indulgence saisit le lecteur quand il com­prend, à voir les griefs nour­ris par Wil­fried con­tre les sig­nataires de la tri­bune de Boule­vard Voltaire qui ont pu être ses chefs et ses for­ma­teurs, qu’il n’a pas tou­jours été iden­ti­fié par ses supérieurs comme un mil­i­taire par­ti­c­ulière­ment performant.

Pour le vivre ensemble, et parce-que c’est beau…

Voilà donc pour le pathos et l’ethos que Wil­fried tente de con­vo­quer dans sa let­tre ouverte. Quid du logos ? Le pre­mier argu­ment que l’intéressé finit par met­tre en avant se man­i­feste dans l’idée que, selon lui, cer­tains seraient con­duits, dans le milieu mil­i­taire, « à renier leurs pro­pres orig­ines par peur d’être exclus d’un puis­sant cer­cle catholique influ­ent au sein des armées, écartés d’une affec­ta­tion tant atten­due, voire leur fidél­ité ou leur dévoue­ment remis en ques­tion. » Si un tel proces­sus était à l’œuvre, ce qui sem­ble en con­tra­dic­tion avec l’affirmation de Wil­fried selon laque­lle l’avis des sig­nataires de la tri­bune « n’est partagé que par une minorité », mesure-t-il qu’il décrit ici ce qu’on appelle l’assimilation, c’est-à-dire la fac­ulté des nou­veaux arrivants à se dépouiller de leurs orig­ines pour s’approprier, fût-ce « par peur » et afin de s’y faire accepter, les car­ac­téris­tiques cul­turelles d’un groupe qui, con­cer­nant la France, est effec­tive­ment iden­ti­fié par ses racines chrétiennes ?

Wil­fried sem­ble donc ici déplor­er le fait que l’armée reste prob­a­ble­ment la dernière insti­tu­tion à par­venir tant bien que mal, et peut-être pour les raisons qu’il dénonce, à pra­ti­quer l’assimilation des nou­veaux venus. Qu’à cela ne tienne, notre offici­er pseu­do­nymé a con­servé l’argument décisif pour la chute. Ce dernier, puisque Wil­fried n’est plus à une con­tra­dic­tion près, rend d’ailleurs inutiles les développe­ments risqués aux­quels il s’était aven­turé sur la notion de par­don, compte-tenu du fait qu’il faudrait finale­ment remerci­er les pro­fana­teurs du 22 mai. En effet, « un petit appel à la prière dans la cathé­drale des mil­i­taires », Wil­fried trou­ve « cela beau, per­ti­nent, rassem­bleur ». La per­ti­nence ayant été suff­isam­ment évo­quée ici et le car­ac­tère rassem­bleur de ce geste pou­vant être jugé à l’aune des réac­tions sus­citées depuis les faits, reste donc sa pré­ten­due beauté… Il est intéres­sant de not­er que, pour notre offici­er ravi, l’esthétique prêtée à un geste reste finale­ment le pre­mier critère de juge­ment de son bienfondé.

On imag­ine, à ce tarif, les développe­ments envis­age­ables sur les céré­monies de décap­i­ta­tion qui ont pu être organ­isées en Syrie par l’État islamique (EI), avec, après tout, des moyens de mise en scène élaborés et un usage de l’infographie qui témoigne d’un effort sig­ni­fi­catif en matière de recherche esthé­tique. Mais ras­surons-nous, comme les critères de l’esthétique restent sub­jec­tifs et qu’ils per­me­t­tent donc aux plus oppor­tunistes de se con­former aux vents dom­i­nants, le seul risque actuel réside donc dans les effets, sur les lieux de culte, que pour­rait provo­quer l’admiration que Wil­fried ne doit pas man­quer, dans un con­texte de pro­mo­tion de l’art con­tem­po­rain, de porter aux matières de Piero Manzoni.

Au final, si Wil­fried devait vrai­ment être, comme il l’affirme, un offici­er supérieur d’active catholique, on tente de se ras­sur­er en imag­i­nant que sa let­tre fut rédigée après un « repas de popote » bien arrosé. On ne saurait donc que con­seiller à notre ravi de l’armée d’éviter, à l’avenir, de trop abuser du vin de mess, même si sa let­tre ouverte a au moins eu le mérite de rap­pel­er toute l’utilité de faire respecter le devoir de réserve à ceux qui y sont tenus, afin d’éviter la ten­ta­tion, chez quelques cervelles de col­ib­ri, de décrédi­bilis­er l’institution mil­i­taire en s’aventurant à par­ler publique­ment en son nom…

Crédit pho­to : Jean-Pierre Dal­béra via Flickr (cc)

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