Profitant d’un long entretien accordé au Figaro, Pierre Péan n’a pas été très tendre avec ses confrères au sujet de leur traditionnelle tendance à la divulgation d’écoutes judiciaires.
Pour ce journaliste d’enquête réputé, « ces affaires témoignent d’une évolution du métier qui existe depuis des années. Les principes qui guident la profession de journaliste semblent avoir profondément changé. (…) La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avait mis la présomption d’innocence au 9ème article, la liberté de la presse, deux articles plus loin, à l’article 11. Aujourd’hui, la liberté de presse prime, dans les faits, sur la présomption d’innocence. » Et de poursuivre : « Ces affaires témoignent du fait qu’on assiste de plus en plus à l’association de deux pouvoirs: le pouvoir judiciaire et le pouvoir médiatique. Cela n’est pas sain dans une démocratie d’avoir deux pouvoirs qui font alliance. »
Visant clairement Médiapart, et faisant référence à la publication d’extraits des écoutes de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bettencourt, Péan accuse : « Aujourd’hui, un certain journalisme se fonde sur la violation de la loi. Toutes les grandes affaires que vous évoquez sont basées sur la violation du secret de l’instruction. Le journaliste dit ‘d’investigation’ a des pouvoirs et des moyens exorbitants du droit commun. En publiant une écoute, c’est comme s’il avait la possibilité d’écouter, de perquisitionner. Cela pose le problème de la défense du justiciable. Les politiques ne sont pas des sous-citoyens, ils méritent une protection de leur intimité, comme tout le monde. »
Et celui-ci de faire le parallèle entre l’Edwy Plenel des années 80, se plaignant des écoutes dont il était la victime, et l’Edwy Plenel d’aujourd’hui qui viole le secret d’instruction tout sourire. Car pour Péan, la publication d’écoutes « met en pâture » les personnes concernées. « Si le jugement innocente la cible des journalistes, celle-ci n’aura droit qu’à quelques lignes dans les journaux. Et cette innocence judiciaire ne rééquilibrera pas la culpabilité installée dans l’opinion publique », explique-t-il.
Et le journaliste de conclure : « Pour que les écoutes atterrissent sur le bureau d’un journaliste, il faut qu’il y ait une volonté des deux côtés. (…) Le point d’origine est forcément l’autorité judiciaire. Soit c’est l’autorité judiciaire qui estime dans sa stratégie d’instruction qu’il est utile que les écoutes soient connues publiquement, soit il s’agit d’un acte militant, destiné à nuire”, rappelle-t-il en appelant cependant ses confrères à prendre du recul face à ses “fuites”. “Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n’est pas ce que j’appelle de l’enquête, mais de la simple gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l’outil de vengeances ou de stratégies judiciaires. »
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Crédit photo : capture d’écran vidéo Gorgui Ndoye via Youtube (DR)