Donald Tusk a été Président du Conseil des ministres en Pologne de 2007 à septembre 2014, date à laquelle il devient le deuxième Président du Conseil européen. La sortie de nouveaux enregistrements réalisés secrètement révèle comment son gouvernement intervenait pour changer les rédactions des journaux jugés trop critiques.
Les écoutes réalisées par le personnel des restaurants où les dirigeants politiques et économiques polonais avaient l’habitude de prendre leurs repas et de parler affaires dans des salons privés, se croyant à l’abri des oreilles indiscrètes, continuent de filtrer dans les médias polonais les unes après les autres. Ce « scandale des écoutes », après avoir contribué à la victoire du PiS (conservateur) aux élections présidentielles puis législatives en 2015 nous révèle aujourd’hui comment les membres du gouvernement PO-PSL (libéraux) précédent, qui demandent aujourd’hui à l’Europe d’intervenir pour sauver une liberté des médias prétendument menacée dans leur pays, n’hésitaient pas eux-mêmes à faire changer les rédactions trop critiques à leur goût.
Ainsi, l’hebdomadaire conservateur Do Rzeczy a publié dans son numéro du 25 avril 2016 l’enregistrement d’une conversation entre, d’une part, Paweł Graś, secrétaire d’État à la chancellerie du premier ministre Donald Tusk et secrétaire général du parti Plateforme Civique (Platforma Obywatelska, PO) de l’actuel président du Conseil européen, et, d’autre part, le milliardaire et homme d’affaires polonais Jan Kulczyk, décédé en juillet 2015 dans un hôpital de Vienne après une intervention chirurgicale. La conversation entre les deux hommes s’est déroulée le 17 avril 2014 dans un salon privé du restaurant Amber Room à Varsovie. Outre le sujet de la vente par l’État du plus gros groupe chimique polonais Ciech S.A. (qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du parquet pour cause de vente des actions à la holding de Kulczyk à un prix sous-évalué), Paweł Graś et Jan Kulczyk parlent des attaques contre le gouvernement de Donald Tusk (et aussi contre la fille du premier ministre) de la part du plus gros quotidien polonais, le tabloïd Fakt, qui appartient au groupe médiatique allemand Axel Springer.
Paweł Graś se plaint auprès de l’homme d’affaires du rédacteur en chef de Fakt qu’il accuse d’être partisan du PiS. Jan Kulczyk promet d’intervenir en Allemagne auprès de Friede Springer, veuve d’Axel Springer, actionnaire majoritaire du groupe médiatique Axel Springer et amie d’Angela Merkel. Le mari de la chancelière allemande, Joachim Sauer, professeur de chimie à l’Université Humboldt de Berlin, est d’ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation Friede Springer.
Six semaines après la conversation du 17 avril 2014 entre Graś et Kulczyk, Grzegorz Jankowski, rédacteur en chef du quotidien Fakt depuis les débuts, soit depuis près de 11 ans, démissionnait à la surprise générale après une réunion avec des représentants d’Axel Springer en visite à la rédaction de Fakt. Un nouveau rédacteur en chef est nommé assisté par un nouveau « superviseur » allemand accompagné d’un traducteur pour pouvoir comprendre les articles du journal pouvant avoir un impact politique. La ligne du journal change dans les semaines qui suivent pour devenir beaucoup moins critique envers le gouvernement PO-PSL (dirigé par Donald Tusk, puis par Ewa Kopacz quand Donald Tusk a été nommé président du Conseil européen) et beaucoup plus critique à l’égard du parti d’opposition PiS.
Fakt n’était toutefois pas le premier quotidien national remis sur la « bonne voie » par le gouvernement de Donald Tusk. Le prestigieux journal Rzeczpospolita avait connu le même sort en 2011. Propriétaire de 49 % des parts du groupe Presspublica qui publiait le quotidien Rzeczpospolita et l’hebdomadaire Uważam Rze, l’État polonais exerçait des pressions sur la société britannique Mecom Group propriétaire des 51 % restants pour qu’elle change le rédacteur en chef Paweł Lisicki (aujourd’hui rédacteur en chef de Do Rzeczy) sous la coupe duquel le journal avait une ligne libérale-conservatrice critique à l’égard du gouvernement de Donald Tusk. Après avoir résisté plusieurs années, Mecom Group a finalement préféré revendre ses parts en 2011. C’est l’homme d’affaires polonais Grzegorz Hajdarowicz, ami personnel de Paweł Graś (l’homme de la conversation avec le milliardaire Jan Kulczyk), qui, bénéficiant des bons offices et de facilités financières du gouvernement de Tusk, a racheté la totalité des parts de Mecom et de l’État polonais. Le rédacteur en chef de Rzeczpospolita a rapidement été remplacé, Lisicki ne conservant plus que les commandes de l’hebdomadaire Uważam Rze pendant encore un peu plus d’un an.
Contrairement à la reprise en main de la radio et de la télévision publique par le nouveau gouvernement conservateur PiS, les interventions de l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk et de ses amis n’ont jamais suscité aucune inquiétude à Bruxelles pour la liberté des médias en Pologne. Un deux poids deux mesures qui montre à quel point la défense des valeurs démocratiques européennes est aujourd’hui instrumentalisée au profit d’une lutte politique contre les gouvernements nationaux jugés politiquement incorrects.
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