Précisons, il s’agit d’une tribune libre (Carte blanche) et non de l’opinion du quotidien du soir. Cette tribune est publiée dans la version papier du supplément Science et Médecine du mercredi 11 avril 2018. Elle développe un long raisonnement en faveur des recherches de la génétique pour in fine revendiquer de manière véhémente l’interdiction de certaines de ses découvertes quand celles-ci donnent des résultats non conformes aux souhaits de l’auteur. Analyse.
L’école transhumaniste
Laurent Alexandre, médecin urologue, s’est fait un nom dans le monde médical et de la biotechnologie. Énarque, ancien d’HEC, chef d’entreprise (fondateur entre autres de Doctissimo) il est considéré comme le chef de file de l’école transhumaniste en France. Cette école vise à éliminer la souffrance, la maladie, le vieillissement et finalement la mort, par l’usage massif et continu des sciences et des techniques. Il intervient régulièrement au Monde comme au Huffington Post ou à L’Express.
Nature/ Culture un terrain miné ?
La tribune libre d’Alexandre est intitulée La génétique sur le terrain miné des « races ». En introduction il déplore que les français ignorent encore que les capacités intellectuelles dépendent surtout du patrimoine génétique, bien plus que de l’éducation ou de l’environnement familial. Une illustration du vieux débat Nature/Culture et de leur articulation.
Il poursuit en nous apprenant qu’aux États-Unis certains généticiens de haut vol rouvrent un débat miné, le lien entre notre race, notre ADN et nos caractéristiques sans même s’interdire de traiter des différences cognitives. Ces chercheurs affirment que nier les différences interraciales ne saurait être que contre-productif et renforcerait le racisme. Un débat scientifique comme un autre, mais pas tout à fait.
Génétique, racisme, conservatisme, colonialisme
Pas tout à fait, car l’auteur quitte ensuite le terrain purement scientifique, pour s’embarquer (dans un dernier paragraphe un peu confus) sur un débat « moral ». Certains faits génétiques sont sans doute vrais (l’auteur dit prudemment intéressants) mais ils sont gênants car ils pourraient libérer la parole raciste. Alexandre interroge comment éviter, par exemple, que des comparaisons de QI par « race » soient utilisés par les racistes ? Car la génétique a pu justifier les pires folies raciales comme la Shoah ou encore a pu être instrumentalisée par des opinions conservatrices ou coloniales. On ne sait pas très bien ce qu’est une opinion coloniale, gageons que c’est une opinion favorable aux colonisations. On voit mieux ce qu’est une opinion conservatrice, l’auteur se situant sans doute dans le camp progressiste.
Double salto arrière sans élan
Et l’auteur, transhumaniste qui plaide pour une utilisation massive de la science pour « améliorer » l’homme, effectue un saut périlleux arrière de toute beauté, nous citons :
« Exceptionnellement, les savants doivent faire passer la vérité scientifique après le principe fondamental de l’égalité de tous les groupes d’hommes ».
On en reste pantois. Il est difficile d’interpréter une telle gymnastique intellectuelle. L’auteur a‑t-il voulu provoquer un débat en faisant semblant de prôner le bannissement de la vérité scientifique, afin d’entraîner un choc en faveur de la liberté de la recherche ? Le dogme égalitaire peut-il égarer à ce point un esprit brillant ? Un sujet de spéculations pour les spécialistes comme pour nos lecteurs, scientifiques ou non.
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