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Quand le journalisme rencontre le marketing et crée un nouveau monstre : « le brand-journalisme »

10 juillet 2015

Temps de lecture : 4 minutes
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Quand le journalisme rencontre le marketing et crée un nouveau monstre : « le brand-journalisme »

Temps de lecture : 4 minutes

Quand une agence de communication propose de mélanger les genres entre journalisme et marketing, il est difficile de ne pas se poser de questions. Surtout si dès la page 2 – d’un livre blanc qui en compte quinze – l’auteur trouve « naturel que les marques deviennent des médias » et affirme que « les journalistes sont les metteurs en scène » de l’information véhiculée par les marques. Sans qu’ils aient à se pencher sur le discours fourni ? Vérifier, recouper, poser des questions ? Enfin tous ces vieux trucs qui font le journaliste dans l’imaginaire du grand public…

« Le brand jour­nal­isme, c’est don­ner des infor­ma­tions, prob­lé­ma­tis­er, con­seiller, inter­peller, faire rêver », est-il écrit dans ce livre blanc. Et ce, sans remet­tre en cause le dis­cours de la mar­que, ni les infor­ma­tions qu’elles dif­fusent, puisque le but est « d’ap­porter une valeur ajoutée au busi­ness d’une société, que ce soit sur la prospec­tion ou la fidéli­sa­tion ». Selon la déf­i­ni­tion pro­posée en page 5, il ne peut ain­si « être con­sid­éré comme indépen­dant et objec­tif ».

Cette notion de brand-jour­nal­isme a été inven­tée en 2004 par Lar­ry Light, ancien directeur mar­ket­ing de Mc Don­ald’s. C’est dire. Dans un solide exer­ci­ce de sto­ry­telling digne de la com post­mod­erne (dont le but est d’an­cr­er un con­cept neuf dans une his­toire anci­enne qui si pos­si­ble soit proche du grand pub­lic), l’a­gence Morse, auteur du livre blanc, fait remon­ter ce brand-jour­nal­isme aux recettes de Jel­lo (1903) et au guide rouge Miche­lin (1900).

Pour­tant, s’il assume bien ses visées pub­lic­i­taires, le brand-jour­nal­isme ver­sion agence Morse peut et même doit repren­dre les codes des médias, non plus dans le but d’informer mais pour « « créer un attache­ment à la mar­que ».

Cette prox­im­ité qui pose ques­tion est totale­ment assumée : « une des grandes ver­tus du jour­nal­isme est de réduire l’in­cer­ti­tude des citoyens (…) avec le brand jour­nal­isme, c’est un peu la même chose. Les mar­ques pro­duisent un con­tenu infor­matif ou pra­tique pour ori­en­ter, expli­quer, ras­sur­er, engager. Elles réduisent l’in­cer­ti­tude des con­som­ma­teurs. Et réduire l’in­cer­ti­tude, c’est déjà créer les con­di­tions de l’en­gage­ment ! » D’ailleurs, pour ceux qui auraient encore un doute sur cette prox­im­ité voulue entre la com et le jour­nal­isme, la page 12 du livre blanc invite les com­mu­ni­cants à « se com­porter comme un média » en imag­i­nant « une ligne édi­to­ri­ale » par exem­ple et les « for­mats des arti­cles ».

La méth­ode est enseignée ailleurs que dans les agences de com, par exem­ple dans cer­taines écoles de com­merce. Le principe est sim­ple : « les mar­ques se font médias, en reprenant les codes du jour­nal­isme », explique ain­si Lise, anci­enne étu­di­ante de l’é­cole qui tra­vaille main­tenant pour un géant de l’in­dus­trie ali­men­taire française. Le mobile est sim­ple : « les con­som­ma­teurs ne sont plus récep­tifs aux méth­odes de com­mu­ni­ca­tion habituelles : ils achè­tent de moins en moins la presse où l’on se paie des pages de pub, zap­pent les séquences pub à la télé et la radio, jet­tent les mails pub­lic­i­taires direct à la cor­beille sans les regarder, met­tent des auto­col­lants stop pub sur leurs boîtes à let­tre, ne regar­dent pas les pubs en ligne » (plus de la moitié d’en­tre elles ne seraient pas vues). Les con­som­ma­teurs « sont net­te­ment plus méfi­ants par rap­port aux dis­cours pub­lic­i­taires des mar­ques. En revanche, un média qui leur apporte de l’in­fo, là ils accrochent ».

Comme d’autres ini­tia­tives de com à l’in­star des pub­li-reportages pas tou­jours sig­nalés au grand dam des lecteurs ou des rédac­tions, le brand-jour­nal­isme con­tribue à flouter un peu plus les fron­tières entre com­mu­ni­ca­tion et jour­nal­isme. Au risque de semer la con­fu­sion dans l’e­sprit des lecteurs et de saper un peu plus la rela­tion de con­fi­ance déjà large­ment en dan­ger entre Français et médias. D’au­tant plus que nom­bre de jour­nal­istes quit­tent un méti­er en crise pro­fonde, abon­né aux plans de restruc­tura­tions et aux blocages statu­taires nom­breux, pour ren­forcer les rangs des com­mu­ni­cants plus libres et mieux payés. Aux États-Unis, la ten­dance est déjà très claire­ment amor­cée mais la France n’en est pas exempte, bien que les sta­tis­tiques fassent défaut. Un élé­ment tout sauf anodin a été souligné par un ouvrage récent : les com­mu­ni­cants ont d’ores et déjà fait bas­culer le rap­port de force avec les jour­nal­istes en leur faveur et le brand-jour­nal­isme va encore plus loin dans ce sens.

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