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Quand le pouvoir médiatique manipule le langage et le réel, un point de vue allemand

20 septembre 2020

Temps de lecture : 6 minutes
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Quand le pouvoir médiatique manipule le langage et le réel, un point de vue allemand

Temps de lecture : 6 minutes

Nous empruntons à notre confrère Junge Freiheit une critique d’un livre paru en Allemagne sous la signature de Michael Esders sur la manipulation du langage. Ce livre rappelle étrangement les ouvrages d’Ingrid Riocreux sur le même sujet La Langue des médias et Les Marchands de nouvelles (L’artilleur). A notre connaissance le livre d’Esders n’a pas encore été traduit en français. Certains intertitres sont de notre rédaction.

Comment expliquer un processus d’auto-destruction ?

Le «Régime lin­guis­tique» de Michael Esders, uni­ver­si­taire, philosophe et expert en mar­ket­ing, est le livre de ce moment et l’une des pub­li­ca­tions poli­tiques les plus impor­tantes depuis «Migra­tion : prob­lème» de Rolf Peter Siefer­le. Il est indis­pens­able de com­pren­dre la taran­telle de folie qui sévit dans le pays depuis des années, sous les éti­quettes de poli­tique­ment cor­rect, sex­ospé­ci­ficité et idéolo­gie cli­ma­tique ou de lutte con­tre l’idéolo­gie de droite, cul­ture d’accueil et qui se présente, de manière de plus en plus assour­dis­sante, actuelle­ment comme antiracisme.

Com­ment se fait-il que la majorité des gens acceptent une poli­tique qui est si man­i­feste­ment dirigée con­tre leurs intérêts vitaux et qui con­duit de manière prévis­i­ble à l’au­tode­struc­tion d’une com­mu­nauté fonc­tion­nant de manière accept­able ? Le passé nazi, le com­plexe de cul­pa­bil­ité intéri­or­isé ou la déca­dence générale, selon Enders, ne four­nissent que des expli­ca­tions par­tielles à cela.

Le pouvoir médiatique concentré donne une image déformée de la réalité.

Le fac­teur décisif est le «pou­voir des sys­tèmes de vérité poli­tique», dont le Min­istre Prési­dent du Land de Saxe, Michael Kretschmer (CDU), a par­lé à la suite des soit-dis­ant «émeutes» de Chem­nitz en 2018. Ce pou­voir con­stitue un «total­i­tarisme intel­li­gent de diver­sité et de dif­férence» qui est con­crétisé par l’ap­pareil médi­a­tique et soutenu par des sanc­tions ou des men­aces de sanctions.

Esders décrit et analyse la struc­ture et le fonc­tion­nement de ces sys­tèmes. Le pou­voir médi­a­tique con­cen­tré donne une image défor­mée et idéol­o­gisée de la réal­ité et la trans­met au pub­lic 24 heures sur 24, avec pour résul­tat que les per­cep­tions com­mu­niquées par les cinq sens humains sont pro­gres­sive­ment annulées et que la pen­sée et les sen­ti­ments s’in­sèrent dans la matrice offi­cielle. Gus­tave Le Bon avait con­sid­éré la général­i­sa­tion hâtive, la con­nex­ion spon­tanée de faits super­fi­cielle­ment liés, la pul­sion émo­tion­nelle, bref : le laiss­er-aller intel­lectuel, comme car­ac­téris­tiques de la psy­cholo­gie des masses.

Les choses les plus folles deviennent des vérités

Ces réac­tions spon­tanées sont for­mal­isées et pro­fes­sion­nal­isées par les sys­tèmes de vérité. L’ax­iome notoire selon lequel il suf­fit qu’un men­songe soit répété suff­isam­ment sou­vent pour être cru, est con­fir­mé par la recherche sur le cerveau. L’ac­ti­va­tion per­ma­nente des cir­cuits neu­ronaux cor­re­spon­dants con­duit à leur solid­i­fi­ca­tion, de sorte que des vérités issues des plus grandes folies devi­en­nent des faits tan­gi­bles qui s’af­fir­ment con­tre toutes objec­tions et dis­so­nances cognitives.

Les ter­mes sont chargés d’é­mo­tion, manip­ulés, et ain­si spé­ci­fique­ment liés à des asso­ci­a­tions pos­i­tives ou néga­tives. La «fron­tière» et l ‘«isole­ment» asso­ciés aux images d’en­fants morts ou au mur de Berlin ont une con­no­ta­tion absol­u­ment néga­tive. La dif­férence déci­sive entre l’emprisonnement dic­ta­to­r­i­al à l’in­térieur et la fer­me­ture pro­tec­trice à l’ex­térieur est tout aus­si brouillée …

Toute pensée indépendante est suspecte

Grâce au mitrail­lage con­tinu de telles astuces lin­guis­tiques et séman­tiques l’abo­li­tion de nos pro­pres fron­tières, et donc de l’É­tat, est d’abord élevée au rang moral et finale­ment même au seul impératif con­forme à la Con­sti­tu­tion. La «cohérence morale» rem­place la logique et le critère de la cohérence d’un message.

Par ailleurs, une pen­sée libre – au sens de Kant l’u­til­i­sa­tion indépen­dante de l’en­ten­de­ment — est de plus en plus sus­pec­tée. Il est logique que le philosophe de Königs­berg ait lui aus­si été visé par des icon­o­clastes au cours de la cam­pagne «Black Lives Mat­ter». Le proces­sus cor­re­spond à des normes éduca­tives générale­ment en baisse. Quand même les étu­di­ants ne sont pas capa­bles de com­pren­dre des phras­es com­posées, et encore moins d’en for­mer, il est clair que l’élite de demain a per­du la capac­ité d’établir des con­nex­ions logiques. Le recours à la sim­ple grille bon-mau­vais n’est que logique.

Les “fausses nouvelles” sont des instruments des systèmes de vérité

Le régime lin­guis­tique est anti-top­ique — dirigé con­tre un «con­cept de local­i­sa­tion». Des ter­mes tels que «monde», «cos­mopolitisme» ou «human­ité» sont util­isés pos­i­tive­ment, tan­dis que «État», «nation», «peu­ple» sont des con­struc­tions soupçon­nées d’ex­clure arbi­traire­ment. Le fonde­ment idéologique et émo­tion­nel de ces change­ments séman­tiques est fourni par «l’hy­per­moral­ité», l’ex­ten­sion de la morale famil­iale à celle du «vil­lage global».

Une vari­ante est l’in­ven­tion de mythes arti­fi­ciels et de fig­ures mythiques telles que Gre­ta Thun­berg ; une autre est la per­son­nal­i­sa­tion afin d’au­then­ti­fi­er les souhaits idéologiques, comme par exem­ple, les his­toires de réfugiés syriens, qui, trou­vant des bours­es rem­plies, les don­nent à la police et renon­cent noble­ment à toute récom­pense. Un tel « jour­nal­isme d’at­ti­tudes » a trans­for­mé l’hy­per­moral­ité en hyper­fac­tic­ité. Les «fauss­es nou­velles» étaient déjà un instru­ment des sys­tèmes de vérité alors que per­son­ne ne pen­sait que la prési­dence de Don­ald Trump était possible.

Excès des postmodernes français

Esders exam­ine enfin les orig­ines philo­soph­ico-lin­guis­tiques de cette poli­tique lin­guis­tique agres­sive. Il iden­ti­fie ses racines avec les théoriciens du post­mod­ernisme français, qui voulaient faire ressor­tir le sens caché ou refoulé des signes lin­guis­tiques en décon­stru­isant les dis­cours tra­di­tion­nels et en mar­quant la dif­férence. L’in­quié­tude, jus­ti­fiée à l’o­rig­ine, a été poussée jusqu’à l’ex­cès par la gauche politique.

Les oblig­a­tions col­lec­tives, la sim­plic­ité binaire du genre et le lan­gage lui-même devi­en­nent des exi­gences fas­cistes insup­port­a­bles. Les inter­dits lin­guis­tiques, les néol­o­gismes idéologiques et les astérisques mar­quant le genre for­ment une novlangue digne d’Or­well. En fin de compte, il s’ag­it de ren­dre des faits et des rela­tions tan­gi­bles finale­ment impens­ables et de trans­former les êtres en zom­bies qui ne savent plus qui ils sont.

Élément de base de la théorie du totalitarisme postmoderne

Esders étudie en pro­fondeur un proces­sus rigoureux et imper­méable à la réal­ité, un mécan­isme de «l’ar­bi­traire d’aci­er» qui avance avec la pré­ci­sion d’une mon­tre suisse — ce qui n’ex­plique pas totale­ment pourquoi il est accep­té. Con­traire­ment aux total­i­tarismes précé­dents, il manque à celui-ci une promesse plau­si­ble pour l’avenir.

De toute évi­dence, les besoins tran­scen­dants et le développe­ment des formes de cul­ture jouent égale­ment un rôle. Esders a fourni une pierre angu­laire impor­tante pour la théorie encore à écrire du total­i­tarisme post­mod­erne qui prend forme sous nos yeux. Un livre dif­fi­cile, explosif, indispensable!

Thorsten Hinz, 19/07/2020

Michael Esders, Sprachregime. Die Macht der poli­tis­chen Wahrheitssys­teme, Man­u­scrip­tum Ver­lag, 2020, 147p, 18€

Mer­ci à AC pour la tra­duc­tion. Voir notre entre­tien avec Ingrid Riocre­ux sur La langue des médias.

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