Nous empruntons à notre confrère Junge Freiheit une critique d’un livre paru en Allemagne sous la signature de Michael Esders sur la manipulation du langage. Ce livre rappelle étrangement les ouvrages d’Ingrid Riocreux sur le même sujet La Langue des médias et Les Marchands de nouvelles (L’artilleur). A notre connaissance le livre d’Esders n’a pas encore été traduit en français. Certains intertitres sont de notre rédaction.
Comment expliquer un processus d’auto-destruction ?
Le «Régime linguistique» de Michael Esders, universitaire, philosophe et expert en marketing, est le livre de ce moment et l’une des publications politiques les plus importantes depuis «Migration : problème» de Rolf Peter Sieferle. Il est indispensable de comprendre la tarantelle de folie qui sévit dans le pays depuis des années, sous les étiquettes de politiquement correct, sexospécificité et idéologie climatique ou de lutte contre l’idéologie de droite, culture d’accueil et qui se présente, de manière de plus en plus assourdissante, actuellement comme antiracisme.
Comment se fait-il que la majorité des gens acceptent une politique qui est si manifestement dirigée contre leurs intérêts vitaux et qui conduit de manière prévisible à l’autodestruction d’une communauté fonctionnant de manière acceptable ? Le passé nazi, le complexe de culpabilité intériorisé ou la décadence générale, selon Enders, ne fournissent que des explications partielles à cela.
Le pouvoir médiatique concentré donne une image déformée de la réalité.
Le facteur décisif est le «pouvoir des systèmes de vérité politique», dont le Ministre Président du Land de Saxe, Michael Kretschmer (CDU), a parlé à la suite des soit-disant «émeutes» de Chemnitz en 2018. Ce pouvoir constitue un «totalitarisme intelligent de diversité et de différence» qui est concrétisé par l’appareil médiatique et soutenu par des sanctions ou des menaces de sanctions.
Esders décrit et analyse la structure et le fonctionnement de ces systèmes. Le pouvoir médiatique concentré donne une image déformée et idéologisée de la réalité et la transmet au public 24 heures sur 24, avec pour résultat que les perceptions communiquées par les cinq sens humains sont progressivement annulées et que la pensée et les sentiments s’insèrent dans la matrice officielle. Gustave Le Bon avait considéré la généralisation hâtive, la connexion spontanée de faits superficiellement liés, la pulsion émotionnelle, bref : le laisser-aller intellectuel, comme caractéristiques de la psychologie des masses.
Les choses les plus folles deviennent des vérités
Ces réactions spontanées sont formalisées et professionnalisées par les systèmes de vérité. L’axiome notoire selon lequel il suffit qu’un mensonge soit répété suffisamment souvent pour être cru, est confirmé par la recherche sur le cerveau. L’activation permanente des circuits neuronaux correspondants conduit à leur solidification, de sorte que des vérités issues des plus grandes folies deviennent des faits tangibles qui s’affirment contre toutes objections et dissonances cognitives.
Les termes sont chargés d’émotion, manipulés, et ainsi spécifiquement liés à des associations positives ou négatives. La «frontière» et l ‘«isolement» associés aux images d’enfants morts ou au mur de Berlin ont une connotation absolument négative. La différence décisive entre l’emprisonnement dictatorial à l’intérieur et la fermeture protectrice à l’extérieur est tout aussi brouillée …
Toute pensée indépendante est suspecte
Grâce au mitraillage continu de telles astuces linguistiques et sémantiques l’abolition de nos propres frontières, et donc de l’État, est d’abord élevée au rang moral et finalement même au seul impératif conforme à la Constitution. La «cohérence morale» remplace la logique et le critère de la cohérence d’un message.
Par ailleurs, une pensée libre – au sens de Kant l’utilisation indépendante de l’entendement — est de plus en plus suspectée. Il est logique que le philosophe de Königsberg ait lui aussi été visé par des iconoclastes au cours de la campagne «Black Lives Matter». Le processus correspond à des normes éducatives généralement en baisse. Quand même les étudiants ne sont pas capables de comprendre des phrases composées, et encore moins d’en former, il est clair que l’élite de demain a perdu la capacité d’établir des connexions logiques. Le recours à la simple grille bon-mauvais n’est que logique.
Les “fausses nouvelles” sont des instruments des systèmes de vérité
Le régime linguistique est anti-topique — dirigé contre un «concept de localisation». Des termes tels que «monde», «cosmopolitisme» ou «humanité» sont utilisés positivement, tandis que «État», «nation», «peuple» sont des constructions soupçonnées d’exclure arbitrairement. Le fondement idéologique et émotionnel de ces changements sémantiques est fourni par «l’hypermoralité», l’extension de la morale familiale à celle du «village global».
Une variante est l’invention de mythes artificiels et de figures mythiques telles que Greta Thunberg ; une autre est la personnalisation afin d’authentifier les souhaits idéologiques, comme par exemple, les histoires de réfugiés syriens, qui, trouvant des bourses remplies, les donnent à la police et renoncent noblement à toute récompense. Un tel « journalisme d’attitudes » a transformé l’hypermoralité en hyperfacticité. Les «fausses nouvelles» étaient déjà un instrument des systèmes de vérité alors que personne ne pensait que la présidence de Donald Trump était possible.
Excès des postmodernes français
Esders examine enfin les origines philosophico-linguistiques de cette politique linguistique agressive. Il identifie ses racines avec les théoriciens du postmodernisme français, qui voulaient faire ressortir le sens caché ou refoulé des signes linguistiques en déconstruisant les discours traditionnels et en marquant la différence. L’inquiétude, justifiée à l’origine, a été poussée jusqu’à l’excès par la gauche politique.
Les obligations collectives, la simplicité binaire du genre et le langage lui-même deviennent des exigences fascistes insupportables. Les interdits linguistiques, les néologismes idéologiques et les astérisques marquant le genre forment une novlangue digne d’Orwell. En fin de compte, il s’agit de rendre des faits et des relations tangibles finalement impensables et de transformer les êtres en zombies qui ne savent plus qui ils sont.
Élément de base de la théorie du totalitarisme postmoderne
Esders étudie en profondeur un processus rigoureux et imperméable à la réalité, un mécanisme de «l’arbitraire d’acier» qui avance avec la précision d’une montre suisse — ce qui n’explique pas totalement pourquoi il est accepté. Contrairement aux totalitarismes précédents, il manque à celui-ci une promesse plausible pour l’avenir.
De toute évidence, les besoins transcendants et le développement des formes de culture jouent également un rôle. Esders a fourni une pierre angulaire importante pour la théorie encore à écrire du totalitarisme postmoderne qui prend forme sous nos yeux. Un livre difficile, explosif, indispensable!
Thorsten Hinz, 19/07/2020
Michael Esders, Sprachregime. Die Macht der politischen Wahrheitssysteme, Manuscriptum Verlag, 2020, 147p, 18€
Merci à AC pour la traduction. Voir notre entretien avec Ingrid Riocreux sur La langue des médias.