Le 8 septembre 2019, Le Monde publiait un entretien de l’historien de l’immigration Gérard Noiriel, suite à la parution de son dernier livre « Le venin dans la plume ». Violemment accusateur, ce texte a été repris sans aucun recul par une partie des médias officiels. Analyse.
L’offensive anti Eric Zemmour lancée d’abord dans Le Monde, puis reprise dans plusieurs médias, préfigurait le rejet du pourvoi en cassation de l’écrivain. Elle tombe à pic pour les anti Zemmour, et la publicité du livre de Gérard Noiriel, Zemmour ayant été condamné « pour incitation à la haine raciale », selon Le Monde du 20 septembre 2019. Une présentation reprise de celle de l’AFP et cependant fausse puisque la condamnation porte sur « l’islamophobie » supposée de propos tenus par Zemmour. L’islam, n’en disconvienne au Monde, demeure une religion, ce que même Franceinfo indiquait ce même jour. Il n’en reste pas moins étonnant de voir les médias s’attaquer à Zemmour peu avant ce rejet de pourvoi en cassation, comme s’ils voulaient influer sur le jugement. À moins qu’ils n’aient eu par avance quelques informations concernant le résultat du jugement ?
Sur France Inter, on n’aime pas Zemmour
Le 12 septembre 2019, Sonia Devilliers et France Inter emboîtaient le pas à un Gérard Noiriel, dont personne n’indique la biographie politique, longtemps lié à un communisme dont il a épousé toutes les illusions, tous les drames et toutes les complicités. Titre ? « De Drumont à Zemmour, un même usage du scandale ? ».
Pitch : « Plus d’un siècle les séparent, Drumont et Zemmour, journalistes et polémistes, “La France juive” (1886) et “Le suicide français” (1994), il occupent la même omniprésence dans l’espace public et dans son dernier livre, l’historien Gérard Noiriel a voulu comprendre cette grammaire commune chez les deux hommes. »
Aucun recul : France Inter reprend l’argumentaire prétendument historique mais en réalité politique de Noiriel tel que publié dans Le Monde quelques jours plus tôt. L’idée ? Zemmour serait à la France d’aujourd’hui ce que Drumont, souvent considéré comme le polémiste antisémite le plus influent de l’histoire de France, aurait été à la fin du 19e siècle, à l’Affaire Dreyfus et aux drames du 20e siècle. Rien que cela… L’amalgame est tellement ahurissant qu’une radio comme France Inter devrait interroger le lien fait par Noiriel au lieu de le prendre pour argent comptant.
Dans Le Monde non plus
Pour Le Monde, ce dernier, présenté comme « historien et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) », et auteur de nombreux livres, comparerait « la grammaire identitaire des deux pamphlétaires nationalistes ». Drumont et Zemmour, même combat ? Ce n’est pas une mince accusation.
L’entretien du Monde, mené par Nicolas Truong, fait suite à un article de ce même Nicolas Truong, « spécialiste » de la lutte médiatique contre « l’extrême droite ». Noiriel est présenté comme un véritable historien, sérieux, pas militant, ancré dans les archives, s’intéressant à un « polémiste nationaliste ». Zemmour distillant un « venin ». Pour Noiriel, les écrits de Zemmour au sujet des migrants ou du « lobby gay », qui seraient des « diatribes », seraient de la même nature que ceux de l’auteur de La France Juive, Edouard Drumont. Truong : « La ressemblance des discours exhumés par le chercheur est en effet saisissante : une haine partagée du « parti de l’étranger », une même ritournelle du « c’était mieux avant »; la focalisation sur les racines chrétiennes de la France ; l’assimilation de la « décadence » de la France à la chute de Rome face à Carthage ; le rejet des minorités sexuelles (« le gay veut être un juif comme les autres », dit Zemmour, alors que Drumont perçoit les lesbiennes comme le signe de « la fin du monde ») ». Plus loin : « D’où l’appel à résister à « l’invasion » des « hordes puantes » (Drumont). D’où le recours à la peur afin de combattre la « colonisation intérieure » : « C’est vous qui devez vous soumettre au juif, vous plier à ses coutumes », écrit Drumont ; « Ce n’est pas à l’islam de s’adapter à la nation française, mais à la France de s’adapter à l’islam », pérore Zemmour. Bien sûr, les différences sont notables, à l’image de Drumont qui défend notamment les Arabes, selon lui victimes d’une « race abjecte » qui les aurait empêchés de bénéficier du décret Crémieux, qui permettait aux juifs d’Algérie d’accéder à la citoyenneté française ».
Nicolas Truong « journaliste » ?
La qualité de journaliste de Nicolas Truong apparaît douteuse à lire des phrases de cette sorte : « Ce livre irritera sans aucun doute les professionnels de l’« anti-bien-pensance », largement dominante dans certains cercles médiatico-politiques. Et sera peut‑être discuté par ses collègues historiens sur son usage – pertinent ou excessif – du comparatisme historique. Mais il est également un appel à la responsabilité de tous ceux – notamment journalistes et intellectuels – qui manient la parole publique. Une invitation à cesser de banaliser la réaction identitaire, relayée par une partie de l’élite médiatique, qui s’effarouche au même moment de l’extension des « populismes » à l’Europe entière.
C’est la conclusion d’un militant politique. Il est remarquable que ce « journaliste » écrivant dans l’ex « quotidien de référence » revendique son appartenance à… « l’élite médiatique ». Un état d’esprit qui en dit long.
Lors de l’entretien, le 8 septembre, il n’y a aucun recul journaliste non plus face aux propos de Noiriel, aucune question contradictoire. L’historien indique pourtant des choses de cette sorte : « Je sais bien que certains considèrent que le génocide perpétré contre le peuple juif au XXe siècle interdit qu’on puisse comparer l’antisémitisme et l’islamophobie. Mais, dans mon livre, j’utilise le mot « antisémitisme » au sens que lui donnaient les adversaires de Drumont à la fin du XIXe siècle. Notamment Anatole Leroy-Beaulieu, qui définissait l’antisémitisme comme une « doctrine de haine » tournée contre les juifs. J’utilise le mot « islamophobie » pour désigner la « doctrine de haine » qui s’attaque aux musulmans. En ce sens, la comparaison me semble légitime. Je montre que la stigmatisation des musulmans qu’alimente Zemmour dans ses livres mobilise le même genre de rhétorique identitaire que celle de Drumont à l’égard des juifs ». Plus loin : « Plutôt que de parler de « racisme », je dirais qu’il s’agit de deux formes de nationalisme : au nationalisme antisémite de Drumont a succédé le nationalisme islamophobe de Zemmour. Il faut toutefois préciser que la force de persuasion de ce type de discours tient aussi au fait que la dénonciation de la menace étrangère s’inscrit dans une vision plus globale de la société, centrée sur le thème de la décadence. Comme on le sait, Zemmour s’en prend aussi aux femmes, aux homosexuels, aux universitaires, etc. Mais on a oublié que Drumont s’attaquait déjà aux mêmes cibles ».
Du coup, si on utilise la doctrine de haine, très ancienne qui s’attaque aux extraterrestres (toujours dépeints en vert et menaçants), on pourrait légitimement considérer les amateurs de romans et de films de science fiction comme utilisant la même « grammaire » que Drumont ? Noiriel aura ainsi son nouveau sujet de livre, et cela pourrait intéresser son éditeur La Découverte.
Truong ou l’amalgame à gogo
Une fois l’amalgame mis en place, l’accusation porte sur une espèce de « complicité » : « Eric Zemmour utilise aujourd’hui les mêmes recettes, mais en les adaptant à l’âge d’Internet et des chaînes d’info en continu. Les duels ne se déroulent plus au petit matin dans le bois de Boulogne mais le soir sur les plateaux télévisés. Les journalistes d’aujourd’hui qui relayent complaisamment les obsessions zemmouriennes ne les partagent pas toujours, mais comme c’est bon pour l’Audimat, ils les diffusent eux aussi sans état d’âme ».
Truong et son ami politique Noiriel renversent le réel : les bien pensants seraient ceux qui s’opposent à l’idéologie dominante, celle du Monde, des Noiriel et des Truong. Il fallait oser.
Certaines questions sont étonnantes : « De la tuerie de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, à celle de Dayton, aux Etats-Unis, les idées de l’écrivain Renaud Camus sur le « grand remplacement », dont certaines sont partagées par Eric Zemmour, sont lues et revendiquées par des terroristes suprémacistes. Les mots de ces polémistes d’extrême droite sont-ils des mots qui tuent ? ». Sans commentaires.
Mais il y a mieux : « Comment contrer Zemmour et ses avatars aujourd’hui ? ».
Étrange question, non ? Réponse :
« Le principal message que j’ai voulu faire passer dans ce livre est le suivant : je suis absolument convaincu que si nous voulons éviter qu’à brève échéance un Trump, un Johnson, un Salvini ou un Bolsonaro made in France s’installe à la tête de l’Etat, tous ceux qui ont l’immense privilège de pouvoir parler en public – experts, artistes, journalistes, universitaires, politiciens, etc. (je m’inclus évidemment dans le lot) – doivent aujourd’hui s’interroger sans faiblesse sur leur propre rôle » (…) Le grand point commun entre les dirigeants populistes qui sont aujourd’hui au pouvoir dans le monde, c’est que leur nationalisme s’accompagne toujours d’un puissant anti-intellectualisme. Si on laisse le champ libre à Zemmour pour labourer le terrain, il ne faudra pas s’étonner du résultat. Marc Bloch a écrit son Apologie pour l’histoire ou métier d’historien (1949), livre dans lequel il défend le métier d’historien, pendant la Résistance, au moment où il combattait l’occupant nazi les armes à la main. Défendre la science historique était à ses yeux, en effet, une autre manière de résister. Dans ce livre, il déplore le repli de ses collègues universitaires dans leur tour d’ivoire et leur « ésotérisme rébarbatif ». Ce qui conduit « à livrer sans défense la masse des lecteurs aux faux brillants d’une histoire prétendue, dont l’absence de sérieux, le pittoresque de pacotille, les partis pris politiques pensent se racheter par une immodeste assurance ». Et les noms qui s’imposent sous sa plume pour illustrer ce type d’histoire réactionnaire sont Charles Maurras et Jacques Bainville, les deux « historiens » dont se réclame constamment Eric Zemmour dans ses livres ».
Prolongation dans les médias
Des propos prolongés sans esprit critique dans quelques médias :
France Culture titre ainsi une partie de sa matinale du 9 septembre « Le renouveau réactionnaire ». La conjonction des dates laisse rêveur… Il s’agit, avec Gérard Noiriel en invité, de répondre à cette question : « Comment expliquer la popularité actuelle des thèses réactionnaires ? ». Il est intéressant de noter combien la volonté d’utiliser le mot réactionnaire plutôt que les mots conservateur ou populiste est dépréciative. « Réac », cela renvoie clairement à un grincheux tourné vers le passé.
Noiriel, puisqu’il passait par là, « est également revenu sur la polémique autour de Yann Moix et de ses écrits et dessins antisémites : « Ce qui m’a choqué, ce sont les tentatives d’excuser Yann Moix dans les grands médias. C’est trop facile d’excuser. Non tout le monde n’était pas antisémite quand il avait 20 ans ». C’est exact. Il y avait d’ailleurs aussi grave à son époque : soutenir les formes révolutionnaires prétendument communistes et leurs bourreaux. Un univers que Noiriel connaît bien. Mais ce qu’il veut vraiment défendre, Noiriel, en intervenant à ce propos, c’est autre chose : « Quand on a des jeunes avec des propos antisémites, on leur tombe dessus, sans excuse, et là, il y a un sentiment de deux poids deux mesures selon le milieu social auquel on appartient ». Les « jeunes » en question sont les « Français », ceux qui défilent par exemple avec le drapeau de l’Algérie à Marseille, et qui sont antisémites par islamisme, passant parfois aux actes en tuant des personnes. Ce que Noiriel refuse de voir, ce que justement Zemmour dénonce.
Du coup, comme il y a une petite actualité, France Culture remet le couvert le 12 septembre, encore une intéressante conjonction de dates, dans Le Journal de la philo.
Libération, égal à lui-même, titre : « De Drumont à Zemmour, les résonances de la France rance », sans paraître bien conscient que cet antisémitisme du 19e siècle dont parle Noiriel était ancré à gauche et imprégnait le mouvement ouvrier.
Il est important de rappeler que le parcours politique, militant communiste, de Noiriel n’est jamais évoqué, un parcours qui l’a conduit à cautionner les dizaines de millions de morts du siècle passé. Une influence réelle que celle des intellectuels français sur le drame du communisme. En ce domaine, il ne faut jamais oublier le cas Boudarel, bourreau pour les Khmers rouges et bénéficiaire d’un belle carrière universitaire avec l’appui de ses complices restés en France.
Finalement, et c’est peut-être une bonne nouvelle, l’offensive a moins pris que celle lancée autrefois contre de prétendus « néo réacs » par Lindenberg et Plenel. Noiriel obtient des échos importants en notoriété mais faibles en nombre : Le Monde, Libération, France Inter, France Culture. Cette presse a plus de mal à faire passer des vessies pour des lanternes.