Avec la publication du rapport Jost, la plainte auprès du Conseil d’État contre CNews, et maintenant les pressions sur l’Arcom pour que les règles de garantie du pluralisme dans les médias changent, Reporters sans frontières s’est trouvé un nouveau cheval de bataille. Il ne s’agit plus d’assister des journalistes prisonniers ou otages dans des pays restreignant la liberté de la presse. En France, Reporters sans frontières s’attaque à certaines chaînes parce qu’elles ne respecteraient pas la loi. Et dans un esprit inquiétant.
Pourquoi Reporters sans frontières a porté plainte
En France, depuis 1986, le pluralisme des médias est garanti par la loi. En principe, il s’agit uniquement d’un pluralisme assuré par l’ensemble de la sphère médiatique. Chacun doit pouvoir trouver une ligne éditoriale proche de ses idées, sans que tous les titres doivent répéter la même chose, ou le dire de la même façon. Toutefois, dans le cadre de l’audiovisuel d’information, c’est un peu différent. On compte une dizaine de chaînes d’informations, et elles se partagent les fréquences du domaine public, auxquelles elles ont d’ailleurs accès gratuitement. En échange, l’État leur demande entre autres d’assurer la représentation de la diversité des opinions. C’est ce que CNews ne ferait pas selon Reporters sans frontières, et c’est la raison de leur plainte.
Un rapport publié deux ans plus tard
Toutefois, alors que le rapport Jost est terminé depuis deux ans, Reporters sans frontières a choisi de le publier, et surtout de s’en servir pour une plainte auprès du Conseil d’État, quelques mois avant la réattribution des fréquences du domaine public, dont dépendent les médias audiovisuels. Si les Français ne peuvent plus écouter CNews en appuyant sur leur télécommande, beaucoup ne voudront pas, ou ne pourront pas, l’écouter depuis un appareil connecté à Internet. C’est ce même mécanisme qui donne à France Inter une longueur d’avance, et lui permet d’être la première radio de France. Non seulement elle dispose de plus d’émetteurs que d’autres radios, mais surtout elle occupe le premier canal. Autrement dit, c’est la radio par défaut.
Voir aussi : TNT, la guerre des fréquences est déclarée !
Une date de sortie du rapport très politique
La date choisie par Reporters sans frontières pour déposer sa plainte interroge. Pourquoi ne pas avoir l’avoir fait deux ans plus tôt ? L’Arcom aurait pu écrire de nouvelles règles, les chaînes auraient pu mener les actions nécessaires pour s’y conformer, et il ne resterait plus cette année qu’à faire le ménage. Au lieu de cela, les instances d’attribution des fréquences sont face à un dilemme : faut-il repenser les règles, et parier que les chaînes qui obtiendront les fréquences les respecteront ? Ou imaginer, au doigt mouillé il faut bien le dire, celles qui n’en sont pas capables ?
L’estimation sera d’autant plus faussée que Reporters sans frontières n’a pas demandé un rapport pour chaque chaîne télévisuelle, et que ce travail n’a été fait que pour CNews. Impossible donc de se baser sur ce rapport pour refuser à la chaîne sa fréquence, puisqu’il est impossible de s’appuyer sur un travail semblable pour toutes les chaînes.
RSF, une curieuse idée du journalisme
Le rapport Jost conclut que sur CNews, « la part de l’information est largement minoritaire par rapport à celle du commentaire. En d’autres termes, le travail journalistique occupe une place marginale. » C’est là une curieuse vision du journalisme, surtout à l’ère des réseaux sociaux et d’Internet. En effet, si le journaliste se contente de répéter les informations que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux, voire sur son agenda, puisque certaines chaînes parlent de la Chandeleur, il sera inutile dans vingt ans. Aujourd’hui, les journalistes doivent apprendre à remettre les faits en perspective, apporter une analyse, un contexte, une remise en question. Bien sûr, cela peut être fait avec plus ou moins de subtilité, et doit être fait avec honnêteté.
RSF rêve d’une police de la pensée
Toutefois, le rapport Jost transmis par Reporters sans frontières ne reproche pas à CNews son honnêteté, mais son analyse. Ainsi, Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG, rêve d’une France où les médias seraient examinés avec deux loupes :
« la première, c’est plus de clarté sur qui parle. La deuxième consiste à regarder de quoi on parle, de quelle façon et pendant combien de temps. »
Qui parle, il est en effet de bon aloi de le préciser, et toutes les chaînes le font. Elles présentent leurs invités, ne serait-ce que pour poser leur légitimité. En revanche, il est vrai qu’elles ne leur donnent pas systématiquement une étiquette politique, tout simplement parce que cela n’a pas forcément d’intérêt ou de pertinence. Une association d’aide aux victimes du terrorisme ne se définit pas comme à droite ou à gauche, et si certaines associations, comme Action Écologie ou Némésis, se revendiquent à droite, c’est surtout parce que leur domaine, respectivement l’écologie et le féminisme, a été chasse gardée de la gauche pendant des années. Quant à regarder de quoi on parle, de quelle façon et pendant combien de temps, pourquoi faudrait-il impérativement mentionner la Chandeleur, louer le dernier avis d’une ONG écologiste ou passer quelques secondes au lieu d’une demi-heure sur l’agression d’une personne âgée ?
Voir aussi : Pluralisme sur CNews : la décision du Conseil d’État inquiète les médias
RSF « ne fait pas de politique », vraiment ?
Lors de la conférence de presse tenue le mardi 20 février, Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, affirmait que l’ONG « ne fait pas de politique. » Pourtant, pour produire un rapport concernant une unique chaîne, ils ont contacté une seule personne : François Jost, qui, avant que sa fiche Wikipédia ne soit modifiée dans la journée suivant la publication du rapport, était considéré comme proche de la gauche, voire de l’extrême-gauche. La méthodologie interroge. De la même façon que RSF demande à CNews d’inviter plus de personnes de gauche, pourquoi n’a‑t-elle pas fait écrire son rapport par un collège de personnes d’opinions différentes ? Que Reporters sans frontières ne fasse pas de politique, on ne demande qu’à le croire. Sa plainte peut pourtant être facilement instrumentalisée par ceux qui n’aiment pas qu’une pensée différente de la leur ait cours et se répande. Le danger est si prégnant que Marie-Claire Carrère-Gée, sénatrice LR, propose d’inscrire dans la loi que les médias audiovisuels « déterminent librement leur ligne éditoriale et choisissent librement leurs intervenants. »
Pluralisme sur le service public ? Chiche !
En réalité, on peut regretter que l’initiative de Reporters sans frontières n’ait pas été aussi neutre qu’elle le prétend, car il y a en effet beaucoup à faire concernant le pluralisme des médias. En s’assurant du respect du pluralisme au sein des chaînes publiques par exemple, parce qu’elles sont payées par tous les Français, ou en repensant le système de décompte des personnalités politiques. Christophe Deloire le rappelle : « On a vu les effets pervers du système actuel lors de la dernière campagne présidentielle, où certaines chaines régionales n’ont pas couvert certains meetings car elles étaient dans l’incapacité de rééquilibrer les temps de parole. Vous avez aussi l’exemple d’anciens élus qui siphonnent le temps de parole de leur ancien parti. » Reste à espérer que l’Arcom se détache de ce que l’affaire peut avoir de politique et se concentre sur la seule chose qui compte : que les Français aient accès à une information plurielle, où chacun puisse trouver ce qui lui convient. Y compris si ces Français veulent écouter Pascal Praud et Charlotte d’Ornellas.
Voir aussi : Infox : RSF, la paille et la poutre