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Quotidien de Yann Barthès : la morgue

1 janvier 2020

Temps de lecture : 6 minutes
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Quotidien de Yann Barthès : la morgue

Temps de lecture : 6 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 25/11/2019

Nos donateurs récents ont reçu un dossier complet exclusif sur l’émission Quotidien de Yann Barthès. En point d’orgue de l’enquête de Valeurs Actuelles, nous en publions la première partie. Les deux autres sont pour le moment réservées à nos soutiens.

Le talk show de Yann Barthès, pre­mier de la télévi­sion française, hisse l’info­tain­ment au rang de messe quo­ti­di­enne. Si la liturgie est hybride, le catéchisme pro­gres­siste y est martelé de manière ortho­doxe, quitte à faire avaler n’importe quoi aux fidèles. Décryptage en trois par­ties. Pre­mière par­tie, la morgue.

L’émission-phare de la TNT n’est pas née de nulle part, elle est même plutôt l’ultime sur­geon d’un arbre dont les racines plon­gent pro­fondé­ment dans le ter­reau médi­a­tique français des cinquante dernières années. En effet, c’est en tant qu’animateur à suc­cès du « Petit Jour­nal » de Canal+ que Yann Barthès est débauché en 2016 par la chaîne moné­gasque, émis­sion qui syn­théti­sait déjà trois décen­nies d’« esprit Canal », ce ton d’abord inso­lent qui avait au fur et à mesure dérivé vers le plus décom­plexé des mépris de classe. L’émission « Quo­ti­di­en » n’existerait pas sans toute cette « tra­di­tion » dont elle incar­ne la phase ter­mi­nale. Quo­ti­di­en, c’est l’esprit Canal radicalisé.

Une petite bande

L’esprit Canal, c’était l’entre-soi de la nou­velle bour­geoisie post-mit­téran­di­enne, celle de la gauche-coco (cocaïnée, pas com­mu­niste) s’adressant aux CSP+ visés par la chaîne cryp­tée, et qui piéti­nait les codes de l’ancienne bour­geoisie pour fêter le tri­om­phe de la nou­velle, laque­lle, comme la précé­dente, pré­tendait con­cili­er for­tune per­son­nelle et légitim­ité morale, mais con­traire­ment à la précé­dente, cette fois-ci, avec une arro­gance com­plète­ment inouïe et une totale absence de scrupules. La nou­velle bour­geoisie, rompant avec le sens de l’étiquette, de la hiérar­chie et de la cour­toisie de la précé­dente, se devait d’être décon­trac­tée, famil­ière et ricanante.

Avec « Quo­ti­di­en », elle est tout cela au car­ré. Si l’animateur con­serve le « veste – cra­vate » de rigueur, c’est pour porter des bas­kets, voire des jeans en dessous, com­prenez : il met un peu les formes, mais il est chez lui et compte rester à l’aise. Chez lui et avec ses potes : le tutoiement est de rigueur, la com­plic­ité un peu for­cée et le « run­ning gag » signe la joyeuse rou­tine d’une petite bande. « T’es claquée, toi ! », lance Barthès à l’une de ses chroniqueuses, le 25 octo­bre dernier, insin­u­ant devant le spec­ta­teur com­ment celle-ci est moins une col­lègue qu’une copine. Le 24 octo­bre, Pablo Mira ne cessera de rap­pel­er tout au long de l’émission que c’est aujourd’hui son anniver­saire, comique de répéti­tion d’un col­légien lors d’une soirée jeux-vidéos, mais typ­ique du ton voulu par le talk show. « Bon anniv’ ! », lui lance au terme de l’émission le chef de bande.

NO COMMENT

« C’est ouf ! », lâche Barthès après un reportage au Liban, le 23 octo­bre dernier, en guise de com­men­taire, comme le ferait un ado à côté de vous en train de sirot­er son Coca. Ce n’est pas à stricte­ment par­ler un com­men­taire, non, mais chez Quo­ti­di­en, plutôt que de dévelop­per des analy­ses ou des nuances, on surligne ou on sous-entend. Une bande de potes ne con­stitue pas une assem­blée qui débat rationnelle­ment en étayant divers points de vue, une bande de potes est déjà d’accord sur l’essentiel, pour le reste, elle pouffe, elle s’indigne, ou elle laisse s’installer des silences élo­quents afin d’étaler sa connivence.

Le 23 octo­bre, après une for­mule grotesque de Fabi­en Rous­sel, le secré­taire nation­al du PCF, qui a été extraite d’une inter­view : « Il y a un plan « T », eh bien, cette réforme, on va la planter ! », suit un plan fixe sur l’animateur, immo­bile, silen­cieux, affichant un sourire qui en dit long. Toute la logique de Quo­ti­di­en est résumée dans ce mépris muet. Ceux qui en sont com­pren­nent et n’ont pas à détailler l’évidence.

Adulescents en goguette

Le 22 octo­bre, Pablo Mira, au début de l’émission, se tient debout son mug à la main, par­mi sa bande. On croirait les ani­ma­teurs du Club Dorothée, sur­jouant le copinage et la décon­trac­tion en jean-bas­ket. « Est-ce que Fan­ny et Paul ne foutent pas trop le bor­del à May­otte ? », blague la nou­velle Dorothée, au moment d’introduire le reportage de ses envoyés spé­ci­aux qui suiv­ent le voy­age du prési­dent de la République, et sans com­pren­dre que le « bor­del », dans l’île, n’est pas matière à plaisan­terie, qu’il est à l’origine de vrais désas­tres humains et qu’il n’est pas le fait de deux amuseurs parisiens, mais d’une immi­gra­tion clan­des­tine délirante.

Barthès con­tin­ue sur le même ton : « Imag­i­nons, t’es prési­dent et t’as envie de te débar­rass­er d’un mem­bre du gou­verne­ment parce qu’il est un peu, un peu… » Ain­si s’affiche une com­plic­ité avec le pub­lic tutoyé auquel on pro­pose de rejoin­dre la bande de jeunes et son con­cours de vannes. Les playlists (sélec­tions de musiques per­son­nal­isées) qui suiv­ent les entre­tiens avec les invités achèvent tout échange par une com­mu­nion dans la sous-cul­ture du tube, parce que la boom reste l’horizon ultime de ce groupe d’adulescents que gal­vanise sa pro­pre vanité.

Le Q de Quotidien

Après le moment « playlist », il arrive que Yann Barthès se laisse aller à danser depuis son fau­teuil, de son fau­teuil où il tourne, se pavane, croise et décroise les bras. Dans l’héritage ardis­sonien, la vraie vedette de Quo­ti­di­en, ce ne sont ni les sujets ni les invités, aus­si pres­tigieux soient-ils, non, la vraie vedette, c’est l’animateur : Yann Barthès, qui tournoie sur son trône, au cen­tre exact du plateau, vers qui tout con­verge. Et que fait-il depuis son trône ? Il affiche un sourire nar­quois inex­tin­guible. Car la déri­sion des années Canal est le car­bu­rant essen­tiel de cette machine où l’info est un diver­tisse­ment comme un autre. Tout n’est que pré­texte à affich­er sa morgue de rica­neurs de la hype, des nou­velles des antipodes aux extraits d’interviews poli­tiques, des artistes invités aux reportages immer­sifs, rien qui ne vaille que par la vanne qu’on en tire depuis ce salon d’aristos régres­sifs. Le bureau cir­cu­laire qui se déploie autour de Barthès, où s’alignent les invités et chroniqueurs comme autant d’applications à sa dis­po­si­tion, a la forme d’un grand « C », mais on peut aus­si y voir l’initiale tron­quée du titre de l’émission, ini­tiale qui lui sert égale­ment de logo. Cette inter­pré­ta­tion n’est pas dénuée de fonde­ment. Et si toute la dis­po­si­tion du plateau sug­gérait, finale­ment, qu’ici, le pitre couron­né ricane depuis le trou d’un « Q » ?

À suiv­re

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