L’émission Quotidien de Yann Barthès a déjà fait l’objet d’un article « La morgue » que vous trouverez ici. Nous publions la deuxième partie, « Le vide ». L’ensemble du dossier est réservé à nos donateurs. Une excellente occasion de nous soutenir avec un reçu fiscal de 66% de votre don, vous pouvez cliquer là.
Le talk show de Yann Barthès, l’un des premiers de la télévision française, hisse l’infotainment au rang de messe quotidienne. Si la liturgie est hybride, le catéchisme progressiste y est martelé de manière orthodoxe, quitte à faire avaler n’importe quoi aux fidèles. Décryptage en trois parties.
Le vide
Qu’est-ce que l’ « infotainment », ou l’ « infodivertissement », genre d’émissions importé des Etats-Unis et dont Quotidien est l’exemple français le plus typique ? Une manière de traiter une matière, l’information, avec les procédés du divertissement, en vue de ramener vers les questions d’actualité un public jeune et ayant des difficultés d’attention (en somme, la jeunesse débilitée par l’effondrement de l’Éducation nationale et les jeux vidéos, ce qui représente en effet une importante part d’audience possible). Cette confusion des registres a été dénoncée à de nombreuses reprises tant elle entraîne naturellement de graves problèmes déontologiques dans la manière de présenter des faits d’actualité ou de prendre part au débat collègues se voient refuser leurs cartes de presse, les représentants de la profession considérant à juste titre que les reportages menés par l’équipe ne relevaient pas du journalisme (https://www.ozap.com/actu/des-journalistes-du-petit-journal-de-yann-barthes-interdits-de-carte-de-presse/441541). Si le métier du journaliste est d’aider le spectateur ou le lecteur à décrypter ce qui a lieu autour de lui, on ne peut reconnaître cette vertu aux comiques de Quotidien qui laminent toute information véritable au boutoir de la blague de lycée. Au point que ce qui frappe le plus dans cette si longue émission diffusée chaque jour de la semaine, c’est son vide effarant.
Tribunal-chiffons
Analysons les quelques procédés du divertissement qui sont employés par les amuseurs. Ils ne sont guère nombreux. D’abord, on trouve le « tribunal–chiffons », autrement dit, le « niveau pétasse » de la critique, qui consiste à ironiser sur la nouvelle jupe d’une collègue. Le 25 octobre, par exemple, alors que le président français se trouve en visite sur l’île Grande Glorieuse, le détail essentiel qui va être retenu de cet événement, c’est la marque des lunettes de soleil qu’a revêtues Macron. Après avoir trouvé qu’il s’agissait de Tom Ford, on passera en revue les lunettes noires des précédents présidents. Dans la même émission, on raillera la queue-de-pie que l’ex président Sarkozy porte à l’occasion de la cérémonie d’intronisation de nouvel empereur du Japon. « Est-ce que ça se fait ? », demande-t-on, comme si tout l’enjeu de l’événement se résumait à ce détail dérisoire. En tout cas, ça ne se fait pas de rentrer sa cravate dans son pantalon comme Macron l’a fait durant son discours à Grande Glorieuse. Une enquête poussée permettra au spectateur d’apprendre que c’est en raison de vents violents que le président a commis pareille faute de goût. Et la coupe de cheveux de Zuckerberg, n’est-ce pas l’un des éléments les plus inquiétants relatif au règne des GAFAs ? Le 21 octobre, les images d’une manifestation londonienne anti-Brexit sont exploitées comme à l’occasion d’un défilé de Mardi Gras, quand il s’agit de repérer les meilleurs costumes plutôt que d’éclairer les raisons des participants et de leurs opposants. Et quand, le 23 octobre, on met en parallèle les manifestations monstres qui se déroulent au Chili, au Liban ou à Hong-Kong, c’est finalement pour en conclure que le masque du Joker est la dernière tendance à la mode.
Vidéo-gag
L’autre procédé régulier de Quotidien consiste à extraire une gaffe, une maladresse, un ridicule, ou d’opérer un montage en vue de les souligner, dans le but de moquer ce travers en général purement formel, sans jamais s’interroger sur le fond du propos de la personne ciblée. Le 23 octobre, on zoome sur le visage livide de Castaner éreinté par les voyages. Dans la rubrique « Lundi Canap » du chevalin Étienne Carbonnier, le 21 octobre, un montage permet de ridiculiser les participants de l’émission « Danse avec les stars ». Le 24 octobre, alors que Christian Jacob vient de prendre la tête des Républicains, le seul détail important pour nos divertisseurs, c’est la mauvaise date inscrite sur son badge. À l’Assemblée nationale, plus tard, on montrera une sélection de petits ridicules : boucle d’oreille d’un député, bâillement d’un autre, tics gestuels d’un troisième. On souligne les tics de langage d’un Mélenchon et on moque les défauts d’élocutions d’une gamine qui, visitant la « Kid Expo », ne parvient pas à articuler « Crossfit ». Le 22 octobre, un montage permet de mettre en valeur le même défaut de prononciation chez Mélenchon et le député du même parti, Quatennens, semblant imiter son patron en disant « nortaméricains » pour « nord américains ». Tout débat, tout discours, toute problématique sont ainsi évincés et réduits à un prétexte aux considérations les plus triviales pour nourrir un humour de cour de récré, où le gros et le bègue sont jetés en pâture à l’ennui des plus grossiers des mômes.
Viser bas
Pour se donner l’air supérieur, ce qui est indispensable au ton recherché, quand on dispose du QI moyen de Quotidien, il faut vraiment viser bas. Alors, le 22 octobre, on évoque la famille royale anglaise, William et Kate au Pakistan, Harry et Meghan en Afrique, en se faisant en quelque sorte le tabloïd des tabloïds. Le même jour, on raille la coupe du monde du football à six, du provincialisme d’une telle compétition, de l’interprétation médiocre de l’hymne polonaise ou des jeux de mots foireux des commentateurs (comme si l’humour des têtes-à-claques de Quotidien était d’un niveau remarquable…) Dans le « Mardi Canap’ » d’Étienne Carbonnier du 22 octobre, une sélection des passages absurdes de l’émission bas-de-gamme « Appels d’urgence » permet au parisien branché de se prendre pour un prince à bon compte sur le dos des ploucs. Le lendemain, le même animateur se moquera longuement d’une émission de téléréalité, provoquant une sorte de télescopage de vide, une dérision du déjà dérisoire qui donne au spectateur l’impression que s’élabore sous ses yeux l’équivalent d’un siphon mental.
Évidence et bégaiement
Enfin, en plus de ces trois procédés principaux, on trouve quelques tics tout aussi symptomatiques du néant où nagent les G.O. de Quotidien. Le premier, c’est de s’étonner de l’évidence. Le 22 octobre, on se moque de Soazig de la Moissonnière, la blogueuse de L’Élysée, parce qu’elle fait son métier et donc des mises en scène assez artificielles et convenues, comme si la fatalité de sa fonction avait quoi que ce soit d’étonnant. Le 25 octobre, on charge Marine Le Pen en la traitant de « disque rayé » parce qu’elle répète en boucle sur tous les médias qu’elle sera candidate en 2022, ce qui est le principe de ce genre de déclaration. Le même soir, on va tenter de ridiculiser par tous les moyens les pauvres journalistes télévisuels qui mènent un entretien avec le président français à la Réunion. On souligne la banalité d’une question purement formelle avant le début de l’entretien : « Vous avez eu une rude journée ? » Et tout le plateau de pouffer, comme si égrainer des banalités dans ce genre de contexte et en attendant le signal de tournage n’était pas forcé. En somme, on s’étonne banalement de la banalité des choses banales, et voilà qui est censé faire office de contenu. On adore aussi les « running gags », ce bégaiement du comique de connivence qui relève d’une facilité atterrante dès qu’on sort d’un cercle restreint. Toute la dernière semaine d’octobre, on montrera ainsi Macron soulever les enfants qu’on lui présente, en commentant avec sarcasme sur le fait que le président les « pèse », comme si serrer des mains, embrasser les enfants et tâter le cul des vaches était chose neuve ou évitable lorsqu’on assume la fonction qui est la sienne. Non seulement c’est une non-information, ça n’a rien d’extraordinairement drôle, mais la figure est répétée toute la semaine avec le même entrain débile. Pour résumer, Quotidien, sur un fond de ricanement permanent, c’est une heure trente par jour, dont une heure vingt de vide absolu. Les dix minutes restantes se partagent entre mensonge éhonté et propagande. C’est ce que nous étudierons dans le dernier volet de cette enquête.
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