De nouvelles informations commencent à filtrer sur les conditions du rachat de 49% des parts du Monde appartenant à Pigasse par le tchèque Daniel Kretinsky cet automne. Il s’avère que Matthieu Pigasse aura fait une bonne opération… mais contraint et forcé par les autres déficits de ses investissements dans la presse. Pendant ce temps-là, l’opacité des conditions de la cession de ses parts suscite des inquiétudes au Monde et ailleurs.
Un prêt dans de bonnes conditions
Laurent Mauduit dans Mediapart explique en effet que pour prendre le contrôle du Monde, Matthieu Pigasse, alors banquier chez Lazard qui gagnait 3 à 6 millions d’euros par an, avait entre 20 à 22M à payer. Grâce à des amitiés personnelles avec le patron de la Caisse d’Épargne, Charles Milhaud, il obtient un prêt d’une filiale, la banque Palatine, à des conditions assez avantageuses : il ne règle que les intérêts pendant plusieurs années avant de rembourser le capital d’un seul coup. Or, à l’été 2018 François Perol (groupe Banque Populaire Caisse d’Épargne) qui quitte BPCE donne l’ordre de récupérer la créance échue.
Mauvais tempo
Matthieu Pigasse doit finir par s’exécuter, mais l’échéance tombe au plus mal, comme le détaille Libération : « les Nouvelles Éditions indépendantes, sont en difficulté économique ou au ralenti : c’est le cas de l’hebdomadaire culturel les Inrocks (1,5 million d’euros de pertes en 2017), de la radio Nova ou du festival Rock en Seine. Pigasse doit régulièrement remettre au pot pour combler les déficits. Il en va de même au newsmagazine L’Obs, que le financier codétient avec Niel en marge du groupe Le Monde. L’an dernier, un plan de départs volontaires a coûté la bagatelle de 3 millions d’euros ».
À cela s’ajoute le rachat des parts de Pierre Bergé dans le Monde Libre, soit 2 millions d’euros par an sur cinq ans, trop lourd pour Pigasse qui n’est « que millionnaire », relève Mediapart. Le Canard Enchaîné (7 novembre 2018) enfonce le clou : « En 2009 le saltimbanquier s’empare pour 4.2 millions d’euros des Inrockuptibles. En trois ans le titre accuse 8.2 millions d’euros de pertes. Par la suite les comptes ne sont même plus publiés au greffe du tribunal de commerce… En 2015 [il] s’empare de Radio Nova. Prix : ‘’entre 15 et 20 millions d’euros’’ selon l’AFP. Après une mesure d’audience décevante – 1.1% en Ile-de-France, l’heure est aux économies (Libé, 2/10/2018) ».
Par ici la sortie
Finalement, la seule affaire qui tourne, c’est celle qu’il ne dirige pas – il s’agit du fonds d’investissement Mediawan (AB Productions) où il est aux côtés de Xavier Niel et du producteur Pierre-Antoine Capton qui dirige l’affaire. Pigasse a aussi échappé au pire en refusant d’investir dans Vice France, dont la nouvelle chaîne TV Viceland est un four intégral.
Pour faire face à ses engagements, Matthieu Pigasse aurait envisagé de céder ses parts dans le Monde à Kretinsky. Toutes ses parts. « Plusieurs documents consultés […] et recoupés auprès de plusieurs sources, attestent qu’un accord pour une cession à 100 % de LNM, la société de Pigasse, a été bouclé dès le mois de juillet. Ce qui ouvrait les portes de la commandite à Kretinsky et faisait de lui le nouveau cogérant du Monde au côté de Niel. D’après deux sources proches de Pigasse, ce deal, qui aurait chamboulé le schéma de détention et de contrôle du groupe de presse, a été passé à un prix valorisant LNM autour de 100 millions d’euros », écrit ainsi Libération.
Tranquille opacité
En réalisant au passage une jolie culbute, les 20 millions du prêt inclus, il a investi en tout entre 45 millions d’euros, selon Mediapart, et 52.5 millions d’euros selon le Canard Enchaîné. Or, le rachat par Daniel Kretinsky, tel qu’il a été rendu public, ne dit pas tout.
Mediapart balance tout : « selon des sources bancaires proches du Monde auxquelles nous avons eu accès, l’accord va au-delà. Au total, Daniel Kretinsky aurait apporté près de 60 millions d’euros à Matthieu Pigasse […] Or, comme la valorisation convenue entre les deux protagonistes tourne autour de 100 millions d’euros pour la totalité des parts, cela veut donc dire que Daniel Kretinsky a apporté 50 millions d’euros ou à peine moins pour les 49 % de LNM et a versé une somme complémentaire d’un peu plus de 10 millions d’euros [qui] prendrait la forme d’un prêt et aiderait Matthieu Pigasse à apurer ses dettes ».
Et Mediapart de s’interroger sur un éventuel nantissement des titres qui permettrait à Kretinsky de disposer d’une fraction du capital du Monde bien plus importante que celle qu’il a rachetée. Tout ça dans une opacité totale qui ne plaît guère au Monde, ni chez les journalistes, ni auprès de Xavier Niel qui s’entendrait beaucoup moins bien avec Pigasse qu’à l’époque de leur investissement commun en 2010 .