Le congrès mondial des patrons de journaux, qui s’est achevé le 11 juin à Turin, a permis de mesurer le retard pris par les médias français en termes de recherche et développement (R&D). Que ce soit dans l’automobile, l’énergie, l’agro-alimentaire ou le luxe, réflexion et innovation à 10 ans sont pourtant monnaie courante dans l’Hexagone pour faire avancer le business. La presse est donc une exception, avec un état des lieux alarmant et des explications bien précises.
Un comble ! C’est un Allemand, Prisma Media (Géo, Voici, Capital), filiale du géant outre-Rhin, Grüner + Jahr, qui se place en tête des médias français sur le plan de la prospective. Depuis fin 2010, Prisma Lab est en pointe sur tous les sujets qui concernent l’innovation. Son objectif est clairement fixé : il s’agissait de doter le groupe d’une vraie culture numérique. À la tête d’une cellule R&D ad-hoc, composée de dix salariés volontaires, Franck Barlemont situe son action sur deux axes principaux.
La pédagogie et la formation concernant les nouvelles technologies, leur utilisation, leur finalité, etc, ont été les préalables indispensables avant la construction des projets eux-mêmes. Elles restent omniprésentes au sein de l’entreprise, ne serait-ce que pour rassurer les salariés. Dès 2011, les trois quarts d’entre eux ont pu bénéficier du prêt d’une tablette, recevoir une revue de presse sur le High-tech, ou encore se voir mettre à disposition des informations ciblées concernant l’avancée du numérique dans les médias. Ce n’est qu’une fois l’apprentissage terminé que la machine de l’innovation a commencé à produire des effets concrets. Prisma Lab a ainsi permis de générer, à partir de début 2013, un flux unique d’information pour le print et le web. 50% des magazines du groupe, notamment ceux des pôles “Féminins” (Femme actuelle) et ” Télévision” (Télé loisirs), bénéficient de cette organisation bimédia. Géo et Gala suivront le mouvement d’ici 2015. Côté commercial, l’ensemble du reporting publicitaire est par ailleurs géré sur tablettes depuis deux années. Ces nouveaux process pourraient être étendus à d’autres métiers dans le groupe, les RH notamment. Enfin, Prisma Lab est concentré depuis le début de l’année sur les objets connectés et la façon d’y intégrer le contenu des magazines du groupe. La cellule teste actuellement un kiosque “maison” afin de l’intégrer sur les lunettes de Google (Google glass).
Face à cette stratégie prise en amont, les éditeurs franco-français font pâle figure. Aucun n’a de cellule distincte, hormis, encore récemment, Express Roularta.
Le groupe a finalement arrêté l’expérience fin 2013 et réparti ses compétences dans les différents services. Les groupes de presse quotidienne régionale, comme La Dépêche du midi ou La Voix du Nord, sont sur la même longueur d’ondes. Leur logique est celle de l’intégration avec, au final, une part extrêmement réduite d’innovation. Souvent par manque de souplesse financière, ces groupes de quotidiens et de magazines économisent sur la R&D dont les retours sont à évaluer sur le moyen ou long terme. Ils préfèrent se concentrer sur les projets industriels qui rapportent à plus court terme. Avec un confortable résultat net de 40 millions d’euros en 2013, Prisma a eu lui, au contraire, les moyens d’investir plusieurs centaines de milliers d’euros depuis quatre ans pour réfléchir à ce que sera la presse mag en 2020.