En retenant mercredi 5 mars l’offre du groupe vépéciste espagnol Sape pour la reprise de Sélection du Reader’s Digest France, le tribunal de commerce de Créteil (94) a prononcé un jugement qui interroge au plan du droit et en termes d’emploi. Avec 28 emplois préservés (sur 70) et une promesse d’investissement de deux millions d’euros, sa proposition a été préférée à celle de l’ex PDG, Emmanuel Lecoq, allié au kiosque numérique Toutabo. Elle ne conservait que 22 salariés et mettait seulement 950 000 euros sur la table.
Sape, basé à Madrid, s’est donc vu confier à nouveau l’exploitation de la marque Reader’s Digest, qu’il avait racheté pour un euro symbolique en avril 2013. Rebaptisant dans la foulée
la filiale française du Reader’s Digest en Club international du livre (CIL), Sape avait déposé le bilan du CIL huit mois plus tard, le 18 décembre 2013. La société, déjà déficitaire de 2,5 millions d’euros en 2012, aurait encore accru ses pertes l’année dernière. Une fois le redressement judiciaire du CIL prononcé, son président, Ignacio Reiris, s’est abstenu de proposer un plan de continuation comme cela se pratique généralement. Si cela avait été le cas, Sape aurait dû rembourser, de façon échelonnée, les AGS, du coût des 42 licenciements (sur 70 salariés) induits aujourd’hui dans son offre de reprise.“En l’espèce, la facture lui aurait coûté environ quatre millions d’euros”, note un spécialiste du droit social.
Un autre point du code de commerce n’a pas plus ému les juges de Créteil et le Procureur de la République. L’article 642–3 interdit en effet à un chef d’entreprise de se présenter en tant que repreneur d’une société qu’il a placée en cessation de paiement. Il souffre une exception, la preuve d’une absence de gestion de fait par le candidat en question, argument avancé par Sape. Dans un courrier adressé au tribunal fin décembre 2013, le comité d’entreprise lui avait pourtant indiqué qu’une contrôleuse de gestion de Sape, Pilar Prado, était basée au siège du CIL depuis juin et remontait les informations financières à Madrid. Le groupe a par ailleurs nommé un DG, Hanno Schwarzenneger avant l’été qui a piloté l’entreprise pendant six mois. Le même Schwarzenneger dirigera d’ailleurs la structure allégée des deux tiers de ses effectifs.
Après l’arrêt du Club international du livre, effectué courant mars, elle comprendra deux nouvelles sociétés distinctes. Avec sept salariés Global family édition publiera le mensuel Sélection (DSH OJD 2013 : 134 314 exemplaires, ‑14%) et devrait être confiée à son rédacteur en chef Stéphane Calmeyn. Seuls deux journalistes devraient être maintenus au sein de la rédaction de Sélection. De ce fait, le titre, doté d’une nouvelle maquette en mai, multipliera les articles traduits en puisant dans le fonds des éditions espagnole, finlandaise et portugaise du Reader’s Digest, détenues aussi par Sape.
Une autre entité juridique, chargée de la VPC, comprendra 21 salariés a priori. Elle commercialisera en plus des produits du catalogue français (livres, ustensiles de cuisine, vitamines) ceux de la maison mère espagnoles. “La centralisation de l’ensemble du marketing à Madrid fait craindre, d’ici un ou deux ans, une délocalisation des salariés français”, note un bon connaisseur de Sape. C’en serait alors fini d’une implantation française de plus de 67 ans pour la célèbre marque originaire d’outre atlantique.
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