Jordan Peterson, psychologue clinicien et professeur émérite de l’Université de Toronto, est devenu célèbre depuis quelques années par ses déclarations et écrits hostiles à la théorie du genre et à l’idéologie « woke ». Il conteste l’existence d’un « privilège blanc », estime que les féministes ont « un désir inconscient de domination masculine brutale » et conseille aux jeunes hommes de développer leur masculinité et de « se tenir droit », première de ses « 12 règles pour une vie » comme « antidote au chaos » (titre de son ouvrage publié en 2018 en langue anglaise et en 2019 dans sa traduction française).
Opposé aux prénoms transgenres obligatoires
« Ce qui se passe maintenant, c’est que l’on convainc les enfants homosexuels qu’ils sont des transsexuels. Ce n’est pas très bon pour les homosexuels, n’est-ce pas ? », explique ce psychologue qui s’est fait connaître en 2016 en s’opposant, pour des motifs de liberté d’expression, au projet de loi « C‑16 » qui a rendu obligatoire au Canada (à partir de 2017, avec l’entrée en vigueur de cette loi) l’emploi des prénoms choisis par les personnes dites « transgenres ».
Son canal YouTube compte aujourd’hui 6,25 millions d’abonnés, principalement de sexe masculin (environ 80 % d’après Peterson lui-même). Un entretien avec le psychologue clinicien canadien à la télévision britannique Channel Four, conduit il y a 5 ans sur des sujets comme les écarts de rémunération homme-femme, la masculinité, le « patriarcat » et son livre « 12 règles pour une vie », affiche aujourd’hui 42 millions de vues sur YouTube où il a été commenté plus de 228 500 fois. Autant dire que cet universitaire et praticien ne laisse pas indifférent.
George Orwell au Canada et 1984 revisité en 2023
Aujourd’hui, « pour avoir dit ce qu’il pensait, ce psychologue pourrait perdre sa licence » de psychologue, nous informait le titre de l’éditorial du très respecté journal américain Wall Street Journal du 4 janvier (imprimé dans la version papier du journal du lendemain sous le titre « La quête pour rééduquer Jordan Perterson »). « On pourrait penser que les Canadiens ont eu le temps d’apprendre à ne pas dicter à Jordan Peterson ce qu’il doit dire », peut-on lire dans cet éditorial très critique du traitement réservé au psychologue. « Le professeur de psychologie est devenu une sensation sur Internet en 2016 après avoir soutenu que la législation canadienne équivalait à un “discours contraint” sur les pronoms de genre. Maintenant, l’Ordre des psychologues de l’Ontario exige que M. Peterson reconnaisse qu’il a “manqué de professionnalisme” dans ses déclarations publiques et qu’il suive un “programme d’accompagnement” de soutien. »
Les déclarations publiques en question, ce sont notamment des commentaires faits sur Twitter, comme d’avoir appelé l’actrice « transgenre » qui se fait appeler Elliot Page (et est aujourd’hui considérée comme acteur et non actrice) par son ancien nom, « Ellen », sur Twitter, en utilisant le pronom « elle », d’avoir traité un conseiller du Premier ministre Justin Trudeau de “connard” (prick), d’avoir qualifié un ancien patient de « vindicatif » et d’avoir réagi, toujours sur Twitter, à la couverture du magazine Sports Illustrated avec la photo d’une grosse femme en maillot de bain : « Désolé. Pas beau. Et aucune tolérance autoritaire n’y changera rien. »
Conflit avec l’ordre des psychologues
Le 4 janvier, l’intéressé a publié une tribune dans le National Post, un quotidien national canadien anglophone, avec, en titre, l’avertissement : « Je vais risquer ma licence pour échapper à la rééducation aux médias sociaux ». Un avertissement suivi du chapô : « L’Ordre des psychologues de l’Ontario veut me reformer à un comportement correct – et cela devrait inquiéter tout le monde ». Dans cette tribune, le psychologue fait remarquer que n’importe qui dans le monde peut envoyer une plainte à cet Ordre des psychologues de l’Ontario, même sans n’avoir jamais eu affaire au spécialiste concerné par la plainte. Et, explique Jordan Peterson, quand l’Ordre des psychologues décide de lancer une procédure contre un de ses membres à la suite de plaintes, « il s’agit d’une démarche sérieuse, qui équivaut essentiellement à des poursuites judiciaires. L’Ordre des psychologues de l’Ontario recommande d’ailleurs le recours à un avocat dans de telles conditions. »
« L’Ordre des psychologues de l’Ontario a intenté une multitude de procès de ce type à mon encontre », continue Peterson, « depuis que j’ai accédé à la notoriété publique, il y a six ans (mais aucun au cours des quelque 20 ans pendant lesquels j’ai exercé la profession de psychologue). Ces poursuites se sont multipliées ces derniers temps, et on en compte maintenant plus d’une douzaine. Cela peut sembler beaucoup (et “il n’y a pas de fumée sans feu”, ou c’est en tout cas ce que les gens pensent), mais je dois dire qu’il est difficile de communiquer avec autant de personnes comme je le fais et de dire quoi que ce soit de substantiel sans en froisser au moins quelques-unes de temps à autre. »
Rééducation à vie ?
Quel châtiment pour le psychologue face à ces plaintes contre ses déclarations dans les médias sociaux et autres podcasts à succès ? « Pour mes crimes, j’ai été condamné à suivre une formation obligatoire à la communication sur les médias sociaux avec les soi-disant experts de l’Ordre (bien que la formation à la communication sur les médias sociaux ne soit pas une spécialité scientifique et certainement pas une spécialité clinique de quelque niveau que ce soit). Je dois suivre cette formation à mes propres frais (quelques centaines de dollars de l’heure) et pour une durée qui ne sera déterminée que par ceux qui me rééduquent et en tirent profit. Comment cela sera-t-il déterminé ? Lorsque ces mêmes rééducateurs – ces experts – se seront convaincus eux-mêmes que j’ai appris ma leçon et que je me comporterai correctement à l’avenir. »
Le wokisme totalitaire de Justin Trudeau
Dans un échange avec Elon Musk sur Twitter le 3 janvier, le psychologue clinicien exposait la situation catastrophique en matière de liberté d’expression au Canada : « C’est pire que vous ne le pensez au Canada @elonmusk. Les professionnels réglementés sont maintenant réduits au silence par leurs ordres respectifs. Cela signifie qu’ils ne sont plus en mesure de dire ce qu’ils croient être vrai. Et qui a besoin de cela de la part de ses avocats, médecins, ou psychologues ? » À ce sujet, une autre tribune publiée par cet universitaire dans le National Post il y a un an, à propos de ce qui l’a poussé à devenir professeur « émérite » de l’Université de Toronto, en abandonnant le statut de professeur titulaire, dresse un tableau très inquiétant pour les libertés individuelles (et pour le niveau des universités) de ce Canada qui, sous l’impulsion du très libéral-libertaire Justin Trudeau, s’est retrouvé à l’avant-garde de ce wokisme venu des États-Unis et de plus en plus à la mode en Occident.
Une lettre dans le National Post
Comme l’indiquait le journal américain New York Post (célèbre pour avoir publié à quelques semaines des dernières élections présidentielles américaines le scoop sur l’ordinateur portable d’Hunter Biden censuré par les grands médias de gauche et les médias sociaux) dans un article du 5 janvier intitulé « Le psychologue Jordan Peterson pourrait perdre sa licence s’il refuse la “rééducation” aux les médias sociaux », « M. Peterson a écrit une lettre à M. Trudeau, qu’il a publiée dans le National Post, lui demandant de se pencher les organismes de régulation du gouvernement. » Une lettre dont le New York Post citait l’extrait suivant :
« Je ne suggère pas, ni même ne présume, que vous ou une personne associée à vous ait un rapport direct avec cela. Cependant, le fait que cela se produise (et que les médecins et les avocats soient devenus aussi terrifiés que les psychologues le sont maintenant par leurs propres organismes de régulation) est quelque chose qui s’est clairement produit sous votre mandat, en conséquence de votre propre conduite et des politiques de plus en plus basées sur la contrainte et la pureté idéologique que vous avez promues et inscrites dans la loi. »
Contagion nord-américaine
Et finalement ce sont surtout les médias conservateurs américains qui semblent s’en inquiéter après la procédure enclenchée par l’Ordre des psychologues de l’Ontario contre le très médiatique Jordan Peterson. Y compris de gros médias comme Fox News où l’on entend des chroniqueurs parler du Canada comme d’une dictature totalitaire (et qui s’inquiètent de la même dérive aux États-Unis). Le grand média conservateur américain relayait d’ailleurs le 17 décembre dernier l’avertissement lancé par le Canadien Jordan Peterson sur la chaîne australienne Sky News : « Le psychologue canadien Jordan Peterson, auteur et célèbre penseur anti-woke, a averti les pays occidentaux qu’il est “hautement probable” qu’un système totalitaire de crédit social s’installe dans leurs sociétés. Dans une récente interview accordée à la chaîne australienne Sky News, Peterson a affirmé que les politiques et les restrictions mises en œuvre par les nations occidentales pendant la pandémie de COVID-19 pourraient ouvrir la voie à un système automatisé de crédit social et de “passeport numérique” qui mettrait en danger les droits des citoyens. »
En ce qui concerne le Canada en tout cas, la thèse du totalitarisme déjà présent dans ce pays est parfaitement illustrée par un article du journal local Ottawa Citizen qui expliquait le 18 janvier pourquoi « une coalition de groupes communautaires d’Ottawa veut faire annuler un événement local avec Jordan Peterson » : « “À l’approche du premier anniversaire du soi-disant “convoi de la liberté”, la dernière chose dont nous avons besoin est qu’un porte-parole de l’extrême droite occupe le devant de la scène dans notre ville”, a déclaré Jaime Sadgrove, responsable des communications et de la défense des droits au Centre canadien pour la diversité des sexes et des sexualités, l’une des 36 organisations locales qui ont demandé l’annulation de l’événement dans une lettre ouverte. »