Carlo de Benedetti est un entrepreneur de premier plan en Italie, et un entrepreneur aventureux. Fondateur d’Olivetti, condamné à 6 ans de prison pour faillite frauduleuse puis relaxé en cassation, président de la holding Cerus dont Alain Minc fut le directeur général, il est un des financiers les plus influents du centre gauche libéral en Italie. Il a entre autres financé le développement du quotidien La Repubblica, une sorte de Monde du matin, encore plus favorable au capitalisme libéral-libertaire. Mais les positions du quotidien ne lui plaisent plus, et à 84 ans il veut racheter le groupe éditeur.
Querelle au centre gauche libéral
Début 2018 Carlo de Benedetti attaquait durement Eugenio Scalfari, directeur historique du journal de 1976 à 1996 et son actuel inspirateur, dans l’émission télévisée Otto et mezzo. Il estimait que le journal « n’avait plus de ligne politique », que le « vaniteux » Scalfari, devenu riche grâce à la générosité de l’industriel, un « ingrat » n’avait qu’à « se taire ». La rédaction avait réagi en apportant son soutien à Scalfari.
Et querelle de famille
Le groupe Grupo Editoriale dit GEDI a été cédé en 2012 (via la holding CIR) par Carlo à ses trois fils, Edoardo, Marco et Rodolfo. Un groupe qui comprend le quotidien de Turin La Stampa, l’hebdomadaire L’Espresso, des radios, Il Secolo XIX de Ligurie, d’autres quotidiens régionaux et … La Repubblica.
GEDI perd continuellement de l’argent depuis trois ans. En bourse, le titre qui cotait plus de 1,20€ en 2014 était tombé à 25 centimes d’euros fin septembre 2019, en baisse rapide, valorisant un groupe de près de 700M d’euros de chiffre d’affaires à un petit 130M.
Proposition de rachat
Carlo estime que Marco et Rodolfo sont des incapables, qui ne connaissent pas les médias, sans passion, sans savoir-faire, sans capacité de management, on ne saurait être plus aimable (il ne dit rien de son troisième fils Edoardo). Dans un entretien au Corriere della sera, il propose à ses fils de racheter 30% de GEDI au cours de bourse du jour. Puis, une fois l’entreprise redressée, de la confier à une fondation. La réponse de Rodolfo président de la holding CIR n’est guère encourageante, “Je suis profondément attristé et déconcerté par l’initiative non sollicitée de mon père dont l’unique résultat est de créer une distraction futile et inutile pour les personnes travaillant chaque jour pour garantir la réussite future de GEDI”, déclarait ce dernier. Après l’annonce de la proposition de rachat le titre était en hausse de 15%.
Le « patronat du centre » en embuscade
Par le passé, Xavier Niel puis Vivendi s’étaient intéressés au groupe éditorial sans donner suite. On reparle maintenant d’une vente par appartements (séparer la Stampa et Repubblica) ou plus sûrement d’une reprise globale par un autre homme d’affaires, Flavio Cattaneo qui avait déclaré un intérêt pour la reprise de GEDI au printemps 2019, à hauteur de 190M€ pour l’ensemble du groupe. Cattaneo, bref Président de Telecom Italia pendant 18 mois, reçut en 2017 un bonus de 25M€ qui fit scandale pour une société endettée de plus de 25 milliards d’euros. Il est aussi le fondateur et directeur général d’Italo NTV, la très profitable société privée des TGV italiens. Directeur général et actionnaire minoritaire qui a cédé la majorité (75%) de la société en 2018 au fonds américain GIP spécialisé dans le transport (aéroports de Gatwick et Edimbourg, le port de Melbourne, une société ferroviaire en Australie). La vente s’est faite pour 2 milliards d’euros, assurant une considérable plus-value à Cattaneo et d’autres actionnaires privés italiens comme Diego Della Valle (patron de Tods) et Luca Cordero di Montezemolo (ancien président de Ferrari et du Medef italien, président d’Alitalia). Ils sont tous réputés partisans d’un gouvernement « du centre » et proches du think tank Italia Futura, qui avait soutenu Mario Monti en 2013. Un centre ressemblant à une alliance Berlusconi/Renzi, que ce dernier semble vouloir revivifier en créant en octobre 2019 son propre parti Italia Viva. Le soutien d’un groupe comme GEDI serait un appui considérable dans cette entreprise pour le moment incertaine, mais le rêve d’une bonne partie du grand patronat italien.