La nouvelle est tombée le 20 octobre 2022 : « Geoffroy Lejeune est sur le point d’être écarté par la direction de la rédaction de Valeurs actuelles », annonçait La Lettre A sur Twitter. C’est parce qu’il aurait été « gêné par le positionnement militant de l’hebdomadaire [que] son propriétaire Iskandar Safa [aurait souhaité] parachuter Jean-Michel Salvator » pour le remplacer à la tête de l’hebdomadaire.
Le tour de passe-passe n’aura pourtant pas pris : une semaine plus tard, la même source annonçait que « Jean-Michel Salvator [renonçait finalement], face au soutien dont bénéficie le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles en interne », à remplacer le directeur de la rédaction en place depuis six ans. Retour sur une tempête en cours…
Aveu de désamour pour une ligne éditoriale « radicale »
Selon Libération, c’est le traitement de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour qui aurait gêné Iskandar Safa, plus favorable à la défense d’idées que de personnes. Démentant ce désamour partiel, le directeur de la rédaction comme son adjoint Tugdual Denis démentent ; ce dernier laisse même entendre que l’information serait venue d’un camp rival : « J’ai eu l’actionnaire au téléphone. Il m’a dit que […] ce qu’on lisait dans la presse n’engageait que ceux qui publient ces informations-là et ceux qui y croient. Qui veut nous déstabiliser ? Je ne sais pas ! », confie encore Denis à Libération.
Une version contredite par les sources de Camille Vigogne pour L’Express : selon ce journaliste, connu pour son amour relatif du milieu politique droitier, Iskandar Safa se serait déclaré, à l’occasion d’une entrevue avec le successeur supposé de Lejeune, navré du « quasi-organe de campagne » que serait devenu l’hebdomadaire à l’occasion de la présidentielle et des pertes financières du magazine. Si Le Monde évoque sept unes consacrées par Valeurs actuelles à Zemmour à l’occasion de la campagne présidentielle, il faut néanmoins s’interroger sur l’objectivité de la presse à l’égard de l’hebdomadaire. De décembre 2021 à avril 2022, soit pour les cinq mois précédant la date de l’élection présidentielle, Valeurs actuelles a accordé trois unes à Éric Zemmour[1] contre cinq pour son adversaire Emmanuel Macron[2]. En comparaison, Le Point a consacré, pendant cette même fourchette de temps (janvier – mai 2017), quatre unes[3] à son poulain Emmanuel Macron – dont c’était alors la première candidature, à l’image de la posture d’Éric Zemmour en 2022 – sans susciter l’émoi parmi la sphère médiatique. Quoiqu’il en soit, ce n’est qu’après avoir reçu la promesse de Geoffroy Lejeune de « rééquilibrer la ligne de VA » que l’actionnaire libanais aurait finalement renoncé à sanctionner le journaliste, lui accordant selon l’Express un simple « sursis ».
Voir aussi : Camille Vigogne Le Coat, portrait
Face à la tempête, la stratégie de la relance
Réagissant diligemment, Geoffroy Lejeune s’est lancé avec son équipe éditoriale dans une course à l’abonnement stratégiquement censée : dénonçant une entreprise de déstabilisation, il en appelle au soutien de ses lecteurs et à une vaste opération d’abonnement de leur part. « Ce qu’ils veulent, c’est notre affaiblissement, notre renoncement, notre extinction, notre mort », explique face caméra le directeur du journal dans une vidéo tournée devant l’Arc de Triomphe en compagnie des membres de la rédaction.
Face au soutien massif reçu par Lejeune, Jean-Michel Salvator, qui avait eu l’espoir de faire de Valeurs actuelles « un journal libéral sur l’économie, de droite décomplexée, mais pas d’extrême-droite », a renoncé. Considérant la réplique de Lejeune et son équipe comme « un putsch de la direction de la rédaction » […] « au registre zemmourien », l’ancien directeur des rédactions du Parisien / Aujourd’hui en France a regretté que l’équipe de la rédaction soit allée « beaucoup trop loin ». « C’est inédit de voir une rédaction prendre le pouvoir ainsi et s’emparer d’un journal pour en faire l’instrument d’un parti politique », se plaint cet ancien du Figaro sans préciser de quel parti Valeurs actuelles aurait pris la défense.
Voir aussi : Geoffroy Lejeune, portrait
Notes
- [1] N°4439 du 23.12.2021 ; n°4451 du 17 mars 2022 où il partage la une avec Mmes Le Pen et Pécresse ; n°4453 du 31 mars 2022.
- [2] N°441 du 6 janvier 2022 ; n°4442 du 13 janvier 2022 ; n°4447 du 17 février 2022 ; n°4452 du 24 mars 2022 ; n°4455 du 14 avril 2022.
- [3] N°2315 du 19 janvier 2017 ; n°2321 du 2 mars 2017 qu’il partage avec François Fillon ; n°2325 du 30 mars 2017 avec le titre Est-il si fort ? ; n°2329 du 27 avril 2017 avec le titre Seul Face à l’Histoire.