Il n’y aura finalement pas eu d’épreuve de force entre un CSA dont le patron Olivier Schrameck fait lui aussi face dès sa nomination à une crise de légitimité, aggravée par l’affaire de la chaîne Numéro 23, et Macron. Mathieu Gallet se voit révoqué de son mandat de président de Radio France à partir du 1er mars 2018. Il était sur la sellette après avoir été condamné pour favoritisme. Son mandat devait s’achever en mai 2019. Est-ce la fin de la carrière fulgurante de celui que Le Point appelle le « Bel Ami de Villeneuve-sur-Lot », dans le secteur public tout du moins ?
Macron voue-t-il une rancune personnelle à Mathieu Gallet ?
Le Canard Enchaîné (24/01/2018) laissait entendre qu’Olivier Schrameck, patron du CSA, faisait tout pour éviter la révocation de Mathieu Gallet, ce qui donnait de la fièvre à Macron : « à l’Elysée, la fièvre monte. Des conseillers de Macron sont persuadés que Schrameck joue double jeu et roule toujours pour son ex-chouchou Gallet. Ils craignent une entourloupe du patron du CSA, à qui la majorité du collège (sept membres) est réputée acquise ». Plus loin, le Canard enfonce le clou : « l’Élysée apprécie chaque jour un peu moins les numéros de grand résistant des présidents du CSA et de Radio France, l’un au nom de l’indépendance, l’autre de l’innocence ». Au point que les quatre représentants de l’État ont boycotté le conseil d’administration de Radio France le 16 janvier.
Du reste, la source de l’inimitié entre l’exécutif et Gallet viendrait de Macron lui même, selon Le Canard : « Macron voue une rancune tenace à Gallet depuis la campagne présidentielle. Il lui reproche de ne pas avoir réagi à la rumeur venue des bas-fonds de l’Internet leur prêtant une intrigue galante […] il avait passé un coup de fil à Gallet afin qu’il fasse le nécessaire dans le Tout-Paris. Mais le pédégé n’avait pas levé le petit doigt ».
Macron refuse de rompre avec les deux maux qui empoisonnent l’audiovisuel public
Les affaires liées aux gouvernances de l’audiovisuel public — dont la dérive financière dure depuis des années – sont liées pour une grande partie à un contrôle interne défaillant et à une trop grande implication politique dans la nomination des gouvernants. Le poison qui tue à petit feu l’audiovisuel public semble toujours actif avec Macron, pas de rupture de ce côté.
Du reste, l’autre poison – l’entre-soi d’une caste dirigeante médiatico-politique qui couvre les coupables et offre des promotions dans les ministères à ceux qui, comme Agnès Saal, à l’INA toujours, se sont faits prendre la main dans le sac (41.000 € de courses de taxi dont 7600€ pour son fils, aux frais du contribuable), continue lui aussi. Ces jours-ci, la CGC Médias signale le départ de la directrice de cabinet d’Olivier Schrameck, Leïla Derouich, au ministère de la Culture. Au nom de l’indépendance très probablement. Ou pour rendre Schrameck plus attentif à la volonté d’Emmanuel Macron de virer Gallet ?
Des dépenses de com’ et de rénovation à l’INA, pas mieux chez Radio France
En effet, le 15 janvier, Gallet avait été condamné par le tribunal de Créteil à un an de prison avec sursis et 20.000 € d’amende pour avoir favorisé entre 2010 et 2014 deux sociétés de conseil entre 2010 et 2014, lorsqu’il était président de l’INA. Les deux sociétés de conseil avait reçu pour plus de 400.000 € de prestations, aux frais du contribuable (l’entreprise de conseil Roland Berger Strategy, a eu 289 000 euros ; la société de conseil Balises (Denis Pingaud) a perçu 130 000 euros).
D’après Le Canard Enchaîné il avait aussi dépensé 125.000 € pour rénover ses bureaux et près d’un million d’euros en frais de conseil. Le Canard révèle (24/01/2018) trois autres contrats oubliés par la justice mais qui ont attiré l’attention de la Cour des Comptes, dans un rapport qui n’a pas été rendu public. Il a seulement été communiqué au ministère de la Culture et à la direction de l’INA… ainsi que de façon officieuse à l’hebdomadaire satirique.
Entre 2012 et 2014, « hors procédure de mise en concurrence », l’INA verse 144.170 € à la société Chrysalis Conseil – une partie des prestations est liée à un projet déjà confié à un autre prestataire, Roland Berger. Or, il se trouve que les deux fondatrices, Emmanuelle Jéhanno et Valentine Burzynski, « se sont trouvées sur les bancs de Roland Berger » où elles ont travaillé pendant plusieurs années d’après la page de présentation de l’entreprise.
Le 28 octobre 2011, un contrat de 119.000 € est signé avec l’entreprise BS Conseil, sans « publicité ni envoi d’un cahier des charges », ni devis. Enfin, Publicis a palpé 693.863 € en trois ans, pour « conseil personnalisé au président » ou « conseil au quotidien de la directrice de communication » : certes, il y a eu appel d’offre, mais le contrat fait doublon avec celui de Denis Pingaud. Surtout, l’INA est incapable de justifier « 193.900 € de prestations complémentaires ».
Le motif de détournement de fonds public n’avait pas été retenu faute d’enrichissement personnel. Le jugement n’en était pas moins sévère, puisque selon les juges, « tous les témoignages convergent vers une volonté constante de Mathieu Gallet de se détacher des obligations en matière de marchés publics ».
Dans la foulée de sa condamnation, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, avait estimé le 16 janvier « inacceptable » son maintien à la tête de Radio France : « les dirigeants d’entreprises publiques ont un devoir d’exemplarité. Il appartient à l’intéressé d’en tirer les conséquences, ainsi qu’au Conseil supérieur de l’audiovisuel, légalement compétent ». Lui de son côté, avait fait appel du jugement – ce qui fait qu’il ne peut être considéré comme condamné avant d’avoir été rejugé et une fois le délai d’appel de la condamnation de la plus haute instance échu – et fermement refusé de démissionner.
Au sein de Radio France, l’hebdomadaire satirique a révélé en mars 2015 qu’il a dépensé 100.000 € pour rénover son bureau, 90.000 € par an pour s’attacher le communicant Denis Pingaud à son service exclusif — alors que Radio France possède déjà son propre service com’ et en s’affranchissant des règles classiques des marchés publics. Il a reconnu avoir dépensé 104.000 € pour rénover son bureau mais a été lavé de tout soupçon par l’Inspection Générale des Finances.
Réactions contrastées des syndicats et prétexte pour stopper la réforme de l’audiovisuel public ?
La révocation de Mathieu Gallet a fait réagir les syndicats. Chez SUD, Jean-Paul Quenesson, le délégué du syndicat, demande à être reçu « urgemment » par le gouvernement : « l’affaiblissement de son PDG ou la vacance même de la présidence opérationnelle de l’entreprise, c’est un grand sujet de préoccupation pour nous tous, car les perspectives sont assez sombres ». Pour le SNJ, la vacance du dirigeant est un prétexte à « l’interruption des discussions sur l’avenir de l’audiovisuel public » car « aujourd’hui sans capitaine, le navire Radio France, qui pourtant affiche des résultats d’audience exceptionnels, n’a plus ni gouvernail, ni boussole ».
La CGC-Médias en revanche, qui dénonce sans relâche les dérives des gouvernances d’Olivier Schrameck (CSA), Delphine Ernotte (France Télévisions) et Mathieu Gallet (Radio France), se félicite de sa révocation, tout comme Charline Vanhoenacker qui a lourdement ironisé sur le sujet le matin du 31 janvier sur France Inter. L’appui du journaliste média du Figaro, Enguérand Renault, n’aura pas suffi à sauver le soldat Gallet ; il faut dire, remarque Le Canard Enchaîné dans un entrefilet (31/01/2018) qu’il est « aux premiers éloges » puisque aussi chroniqueur chez France Info, donc dans la maison Radio France.
Crédit photo : T Franco via Flickr (cc)