Le 29 octobre 2020, un Tunisien en situation irrégulière tuait au couteau trois fidèles dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice. Quelques mois après les faits, la lecture des articles que les médias ont consacré à ce sujet permet de mieux comprendre l’enchainement des événements. Elle permet également de constater que le continent européen est toujours aussi vulnérable face à la menace terroriste et à l’immigration clandestine.
En septembre 2015, la radio d’État France Inter évoquait le « fantasme de l’infiltration terroriste » parmi les migrants arrivant clandestinement sur les côtes européennes. Peu après, le 13 novembre 2015, la capitale française était frappée par une série d’attentats particulièrement meurtriers au Bataclan, au stade de France et dans plusieurs rues de Paris. L’enquête qui a été menée à leur suite a permis d’identifier deux des terroristes faisant partie de l’équipe qui a ensanglanté Paris. C’est ainsi que l’on apprenait notamment par Le Figaro que ces comparses de Salah Adelslam étaient entrés en Europe avec le flot de migrants par l’ile grecque de Lesbos, à 35 kilomètres de la Turquie. Le 29 octobre 2020, c’est une nouvelle fois parmi des migrants qu’un terroriste a gagné l’Italie puis la France pour assassiner trois personnes dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice. La lecture de plusieurs médias et le récit rétrospectif de l’itinéraire du terroriste permettent de constater que les frontières du continent européen sont loin d’être respectées, et peut-être encore moins maintenant qu’en octobre 2020.
Quelques éléments de contexte
Le 2 septembre 2020, l’hebdomadaire satirique Charlie hebdo publiait un numéro spécial consacré au procès des auteurs des attentats du mois de janvier 2015, qui ont notamment décimé sa rédaction. Comme pour illustrer le fait que la sanglante intimidation n’avait pas de prise sur ses journalistes, le journal reprenait en couverture une caricature du prophète Mohamet s’affligeant du fait que « c’est dur d’être aimé par des cons ».
Cette couverture venait en écho à la publication en 2006 par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet, parues initialement dans le journal danois Jyllands Posten. Celles-ci avaient déjà à l’époque de leur parution suscité une vague de protestations parfois violentes parmi des islamistes dans le monde musulman.
Les réactions à cette nouvelle représentation du prophète Mahomet ne se sont pas faites attendre, souvent bien au-delà des frontières du pays. Parmi celles-ci, comme nous l’apprenait L’Internaute, le porte-parole du ministère des affaires étrangères du Pakistan condamnait fermement le journal français Charlie Hebdo.
Le 25 septembre 2020, comme nous l’apprend notamment Le Monde, un jeune Pakistanais, pris en charge à son arrivée en France par l’Aide Sociale à l’Enfance, attaquait sauvagement au hachoir deux personnes se trouvant près des anciens locaux de Charlie Hebdo. Le débat sur l’accueil inconditionnel des jeunes extra-Européens se prétendant mineurs était relancé, pour être ensuite vite oublié.
Quelques jours plus tard, le 16 octobre, un jeune Tchétchène décapitait un enseignant de collège à Conflans Sainte Honorine nommé Samuel Paty, un geste qui plongeait de nouveau les Français dans l’effroi. Le lien direct entre un cours pendant lequel l’enseignant avait présenté une caricature du prophète Mahomet et son assassinat est apparu rapidement comme l’évidente explication de cette nouvelle manifestation de l’intolérance islamiste.
Le président de la République française, Emmanuel Macron, a pris la mesure de l’émoi suscité par ce nouvel attentat et de sa forte charge symbolique : un professeur décapité à la sortie d’un collège en raison de l’un de ses enseignements censé promouvoir la tolérance. Mais certains propos tenus par le président français lors de la cérémonie d’hommage au professeur à la Sorbonne sur la liberté d’expression et le droit à la caricature en France ont suscité parmi de nombreux islamistes à travers le monde de nouvelles manifestations d’indignation. L’agence de presse Reuters nous informait que des menaces sans ambiguïtés étaient proférées, notamment à Gaza : « Avec nos âmes et notre sang, nous rachèterons le Prophète ».
C’est dans ce contexte particulièrement chargé que le 29 octobre, un Tunisien en situation irrégulière tuait au couteau trois fidèles dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice.
Le procès de l’auteur présumé de cet attentat n’a pas encore eu lieu. Il permettra d’en cerner les motivations précises, que tout le monde pressent. Mais au-delà de cet épisode judiciaire, retracer à l’aide de plusieurs articles consacrés à ce sujet l’itinéraire du clandestin de Tunisie jusqu’à Nice permet de mettre en lumière les nombreuses carences des autorités tant italiennes que françaises dans la lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme, des carences qui sont plus présentes que jamais.
Une traversée sans encombre
L’auteur présumé de l’attentat dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice est un jeune Tunisien originaire de la ville portuaire de Sfax. Il aurait selon un article assez fouillé de Libération profité d’un départ groupé de petites embarcations des côtes tunisiennes pour gagner l’ile italienne de Lampedusa, qui n’est par la mer qu’à 187 km de la Tunisie.
Après une légère accalmie au plus fort de la crise sanitaire en mars 2020, les arrivées de clandestins en Italie ont fortement augmenté en 2020 : + 148 % au cours des 9 premiers mois par rapport à 2019. Et cette tendance ne fait que se renforcer en ce début d’année 2021. Les Tunisiens figurent parmi les nationalités ayant le plus contribué à cette hausse. Dans la période, le nombre de ressortissants tunisiens arrivant sur les côtes italiennes a selon le journal économique Les Echos en effet été multiplié par quatre par rapport à 2019.
Comme nous l’apprend notamment Courrier International, des moyens financiers ont bien été donnés au gouvernement tunisien, en particulier par l’Italie, pour empêcher les départs de bateaux clandestins. Mais même si à la mi-septembre 2020, le ministère de l’intérieur tunisien pouvait selon Arabnews annoncer l’interception depuis le début de l’année de 8 500 personnes en mer, pour un clandestin intercepté et ramené en Tunisie, combien arrivent à gagner l’Europe sans être inquiétés ?
À Lampedusa, billet simple pour l’Italie
Brahim A. n’a, par chance pour lui, et par malchance pour ses victimes, été intercepté ni par les garde-côtes tunisiens, ni par Frontex. Il serait arrivé le 20 septembre sur l’ile italienne de Lampedusa au milieu d’embarcations en provenance de Tunisie. Lampedusa n’est, comme nous l’apprend Infomigrants, qu’une étape vers l’Europe pour les clandestins, qui sont rapidement transférés en Sicile ou en Italie continentale.
Dans le cas présent, le Tunisien a, comme beaucoup d’autres clandestins, été conduit par les autorités italiennes en bateau vers les côtes italiennes. Par une tragique ironie, le navire qui a acheminé le terroriste de l’ile de Lampedusa à l’Italie continentale est sorti selon notamment le site Riposte Laïque des chantiers navals français sous le nom de Napoléon Bonaparte.
À Bari, libre comme l’air
Le 8 octobre, Brahim A. aurait, après une période de quarantaine, été débarqué en Italie continentale. Bien que le clandestin ait été testé positif au coronavirus lors de son arrestation en France, cette obligation de quarantaine dans des bateaux imposée aux clandestins qui arrivent en Italie fait l’objet de nombreuses critiques de la part d’ONG, notamment celle d’être une atteinte à leur dignité, nous apprend Infomigrants, très en pointe sur le sujet.
Bien que Brahim A se soit vu notifier par la préfecture locale une obligation de quitter le territoire italien sous 7 jours, il n’a pas été incarcéré en vue de son éloignement. Les centres de rapatriement en Italie ont non seulement des capacités très limitées. Les possibilités de rétention des étrangers en situation irrégulière sont en Italie comme en France étroitement encadrées par le droit applicable en la matière.
Le gouvernement italien a certes conclu une convention en 2011 avec le gouvernement tunisien visant à faciliter l’organisation du retour forcé des Tunisiens en situation irrégulière présents sur son territoire. Mais le journal Jeune Afrique nous apprend que le nombre de ces éloignements — 25 000 en dix ans — est infime au regard du nombre des arrivées. La pandémie de coronavirus a grippé ces retours forcés, qui ne seraient organisés désormais que pour les délinquants identifiés. C’est ainsi que près de 85 % des Tunisiens clandestins qui arrivent en Italie recevant une obligation de quitter ce pays ne seraient pas rapatriés.
Une partie d’entre eux (5%) choisissent de déposer une demande d’asile en Italie, bien que la Tunisie soit considérée comme un pays sûr par les autorités italiennes, ce qui est tout à fait autorisé par le droit applicable en la matière, selon Le Figaro. Mais les Tunisiens arrivés clandestinement en Italie continuent souvent leur itinéraire vers l’Allemagne et surtout vers la France, en raison de l’importance de la diaspora tunisienne dans notre pays. C’est le choix qu’a fait Brahim A, pour des raisons bien différentes de celles de ses compatriotes.
Des contrôles à la frontière corsetés
À la frontière franco-italienne, les douaniers, quand ils sont présents lors des franchissements, doivent également composer entre leurs missions et le respect du principe du non refoulement, sous l’œil vigilant des associations pro-migrants. Au Col de Montgenèvre, pour ne citer qu’un exemple, les clandestins seraient selon Le Monde dans un article du 28 mars 2021 une dizaine par jour à franchir la frontière en toute illégalité. Ici comme en Italie, les associations no border veillent au grain et contestent fermement de nombreux refoulements des clandestins vers l’Italie, nous apprend Lundi AM.
Le séjour irrégulier en France n’est plus une infraction
Une fois arrivé en France, l’étranger en situation irrégulière a peu à craindre : le séjour irrégulier n’est conformément au droit communautaire plus un délit depuis 2012, nous apprennent les Surligneurs. S’il venait à être arrêté en vue de son éloignement, ce qui n’a pas été le cas pour Brahim A., c’est un véritable parcours du combattant qui commence pour les autorités pour mener à bien cette tâche ardue.
Première difficulté, les centres de rétention administrative ont été en grande partie vidés pour éviter la propagation de la contamination au coronavirus dans ces lieux clos, comme nous l’apprenait Dalloz Actualités dès le début de la crise sanitaire.
Deuxième difficulté, l’étranger sous le coup d’une obligation de quitter le territoire peut, avec l’aide d’association pro-migrants qui lui sont présentées par les autorités, engager un recours contre cette décision à la fois devant le tribunal administratif et le tribunal judiciaire. Ces démarches aboutissent fréquemment à l’annulation de la décision d’éloignement ou à l’enlisement de la procédure. Des articles très fouillées ont été consacrés à ce sujet notamment par Charlotte d’Ornellas dans Valeurs actuelles et sur le site de Polémia.
Troisième difficulté, et non des moindres, le pays d’origine du clandestin doit permettre son rapatriement en délivrant un laisser passer consulaire. Mais depuis le début de la pandémie de coronavirus, les pays d’origine des migrants ne délivrent, de façon encore plus prononcée qu’à l’accoutumée, ces précieux sésames qu’au compte-goutte. Selon les derniers chiffres communiqués et présentés dans un rapport de l’Assemblée nationale, la Tunisie ne répondait positivement en 2017 qu’à 40% des demandes de délivrance de laisser passer consulaires. Cette situation déjà insatisfaisante n’a fait qu’empirer avec la crise sanitaire.
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a, après le triple meurtre à Nice fin octobre, bien essayé de convaincre les autorités tunisiennes de faciliter le rapatriement de ses ressortissants en situation irrégulière. L’homologue tunisien de Gérald Darmanin aurait selon Jeune Afrique poliment botté en touche cette demande.
Dans un tel contexte où les obstacles au respect du principe de régularité du séjour se multiplient, rien d’étonnant qu’aux dernières nouvelles, sur les trois premiers mois de l’année 2021, le nombre de clandestins recensés arrivés clandestinement par la mer méditerranée en Italie a selon le portail de l’UN HCR plus que doublé par rapport à 2020 pour atteindre 8 300. Parmi ceux-ci, les Tunisiens sont la nationalité la plus représentée d’après le journal Tunisien La Presse.
Brahim A. a terminé son itinéraire à la basilique Notre Dame de l’Assomption, où il a commis un triple meurtre encore dans toutes les mémoires. Le procès confirmera fort probablement qu’il s’agit une nouvelle fois d’une manifestation de l’intolérance islamiste. Peu après les évènements, la mère du meurtrier présumé était interrogée par des journalistes occidentaux. Derrière la mère éplorée, on pouvait apercevoir en arrière-plan quelqu’un faisant de façon énigmatique le V de la victoire. Chacun y donnera son interprétation…