Apparu il y a sept ans comme un extra-terrestre dans le paysage médiatique, la revue de « l’écologisme intégral » disparaît. Une aventure éditoriale originale qui n’a pas tenu la distance mais qui a probablement forgé une génération de journalistes catholiques.
Née en 2015, la revue Limite, a constitué une exception dans le paysage médiatique français. Le numéro 27 sera donc le dernier de ce trimestriel écologique. Désireux de s’adresser aux croyants mais aussi à un public chrétien conservateur, le journal se revendiquait de « l’écologie intégrale ».
À la suite des mouvements pro-familles qui se sont dressés contre le mariage homosexuel, les catholiques ont signé leur grand retour dans la rue. Les courants sont alors épars, parfois très contradictoires tant idéologiquement que sociologiquement. L’année de création de la revue correspond aussi à celle de la publication de l’encyclique « Laudato Si » du pape François, qui critique le consumérisme et la dégradation écologique. À la vision « identitaire » d’une partie des catholiques, Limite préférera une démarche écologique. Le postulat est audible mais probablement moins « rentable ». Les cofondateurs sont au nombre de cinq. Trois femmes : Marianne Durano, Camille Dalmas et Eugénie Bastié ; deux hommes Paul Piccarreta et Gaultier Bès.
Tempête dans un bénitier
Des oppositions ont traversé la revue. En 2019, lors des débats autour de la loi bioéthique, par exemple. Hostile à la Procréation Médicalement Assistée, la revue mettait alors en garde contre le risque de retourner le débat en mouvement d’hostilité vis-à-vis des homosexuels.
L’une des cofondatrices, Eugénie Bastié, a alors quitté le titre, d’autres proches de la revue prendront leur distance marquant une forme de rupture avec la droite catholique. La transformation politique de La Manif Pour Tous et des manifestations d’ampleur face à la loi Taubira aura finalement renforcé un camp « libéral-conservateur » plus que les marges actives de droite comme de gauche qui ont participé à ces mobilisations. La candidature Zemmour en 2022 semble d’ailleurs s’inscrire dans la continuité de ce mouvement. Le directeur de la revue Paul Piccarreta parle même de « deux génération dos à dos au sein de la jeunesse catholique ». En refusant d’être assimilé à un camp conservateur ou progressiste, la revue a adopté une feuille de route que peu étaient en mesure de comprendre et de suivre, et qui l’a plutôt rangée côté gauche.
Limite a aussi tenté de faire cohabiter, ou de confronter, ce qui existe d’intelligent dans le paysage politique français notamment en proposant un entretien croisé avec l’eurodéputé Les Républicain François-Xavier Bellamy et l’Insoumis François Ruffin.
Résurgence du catholicisme de gauche ?
La revue Limite avait pour volonté de dépasser le débat progressiste/conservateurs mais a évolué dans un environnement compliqué. La crise du Covid a fait du mal aux petites publications et le positionnement anticapitaliste donne peu de marge de manœuvre en matière de revenus publicitaires. Dans son entretien à Libé, Paul Piccarreta estime que la revue aurait pu continuer avec une levée de fonds mais il a semblé à ceux qui ont fait Limite qu’il était temps d’en finir avec ce format et de continuer le combat ailleurs, et autrement.
La revue ne connaîtra donc pas la lente mort de certains titres papiers, pas d’acharnement thérapeutique donc mais un certain courage et l’humilité d’affirmer ne pas pouvoir « donner plus ». Selon Le Monde la revue disposait de 1 200 abonnés et le point d’équilibre pour une telle parution se trouve à 1 500. Des chiffres loin d’être ridicules pour une telle revue mais qui implique de limiter drastiquement les dépenses et rend peu envisageable d’avoir des salariés.
Éternelle démocratie chrétienne…
Limite a incarné, d’une certaine manière, le retour d’une famille de pensée qu’on pouvait croire morte, celle de la démocratie chrétienne avec laquelle la filiation semble envisageable. Un penchant à gauche qui leur a valu un article et un entretien posthume fort aimable de Libération qui s’était montré bien moins tendre sept ans plus tôt, dans un exercice étonnant d’amalgames et de raccourcis. L’aventure Limite fera peut-être des petits, elle aura en tout cas participé du débat d’idées et proposé des pistes de réflexion loin des sentiers battus.