L’opération lui aura coûté 1,55 milliards d’euros : Rodolphe Saadé a ratifié l’achat de BFMTV et RMC, auprès de Patrick Drahi. Intégrant radio et télévision à son portefeuille qui contenait déjà l’hebdomadaire papier de la Tribune Dimanche ou La Provence et Corse-Matin, il entre en concurrence avec le conglomérat CNews, Europe 1 et le JDD détenu par le groupe Bolloré comme avec celui de Xavier Niel qui lorgne sur la télévision.
La Provence : dernier sursaut avant le crash ?
En matière de médias, il semblerait que Rodolphe Saadé, milliardaire très proche d’Emmanuel Macron, n’ait pas toujours eu le nez : alors qu’il avait promis d’alimenter son titre La Provence, racheté en 2022, et assuré qu’aucun poste ne viendrait à y être supprimé, le magnat a dû faire face à un principe de réalité : la dégringolade financière colossale du journal, qui perdait avant le rachat près de 12 millions d’euros par an et qu’il avait acheté près de 81 millions, soit quatre fois plus que le prix proposé par Xavier Niel ! Face à la casse, ce seront 60 journalistes sur 175 qui seront poussés vers la sortie, pouvant jouer sur leur clause de cession, tandis que trente autres ne seront pas reconduits. L’annonce a créé quelques remous au sein de la rédaction qui a initié un mouvement de grève, contraignant Saadé à reconsidérer la fermeture des deux agences du Vaucluse (Carpentras et Orange).
Virage macroniste et grève illimitée
Aux tensions initiales s’est ajoutée une polémique éditoriale qui a débouché sur la mise à pied vendredi 22 mars du directeur de la rédaction du journal Aurélien Viers, convoqué à un entretien préalable à de licenciement.
En cause, la « une » du journal de jeudi, à l’occasion de la venue d’Emmanuel Macron à Marseille. On pouvait y lire : « il est parti et nous on est toujours là » en référence au passage du Président de la République à Marseille pour faire valoir une opération de police antidrogue « Place nette XXL » dont les résultats sont très controversés. Difficile de savoir si le président ou son entourage s’en est plaint ou s’il s’agit d’un excès de zèle des équipes Saadé mais la réaction a été immédiate et vendredi, le journal, par la voix de son directeur de publication Gabriel d’Harcourt publiait un « mot d’excuse » en une du journal… Un procédé qui a agacé les journalistes d’autant que le mot évoquait une « une » qui « ne reflète en rien les valeurs et la ligne éditoriale du journal » et d’ajouter :
« Nous avons induit en erreur nos lecteurs et La Provence leur présente ses plus profondes excuses ».
Les journalistes, eux, se sont placés en grève illimitée pour protester contre cette sanction. Il s’agira désormais de voir si Rodolphe Saadé entend appliquer la même politique à BFMTV et surtout s’il tiendra face aux grévistes comme Bolloré en 2016 avec i‑Télé et plus récemment au JDD lors de la nomination de Geoffroy Lejeune… Le traitement qui sera réservé à Saadé sera aussi a observé de près et pourra être comparé à celui de son homologue milliardaire Vincent Bolloré. D’autant que Saadé n’a pas caché (source La Lettre) qu’il verrait d’un mauvais œil que CMA-CGM soit maltraité dans les médias qu’il contrôle.
Un nouveau pas dans l’audiovisuel
Pour l’heure, l’homme d’affaires, qui a donc ratifié le rachat de 100 % du capital d’Altice Media, ne semble pas découragé dans son entreprise de création d’expansion médiatique. Il s’offre ainsi la seule chaîne d’information en continu rentable. « Rodolphe Saadé met certes la main sur une ressource rare, des fréquences TNT, mais la TNT ne représente plus que 20 % de la consommation TV des foyers français », a souligné au Figaro un ancien dirigeant de la chaîne. Pour d’autres, il s’agirait d’un calcul sur le long terme de la huitième fortune de France (selon Forbes). « Saadé accepte de surpayer ses cibles pas seulement pour les conquérir mais parce qu’il pense que le Meccano qu’il construit dans les médias s’amortira sur le long terme », a ainsi expliqué Jean-Clément Texier, analyste des médias. Achat visant à assoir l’influence du milliardaire, l’acquisition tenait à cœur à Saadé qui serait revenu « tous les trois ou quatre mois » à la charge et aurait accepté de hausser le prix proposé pour acquérir son média. L’accord a également pu être trouvé puisqu’il fallait pour les propriétaires d’Altice vendre avant que l’autorisation d’émettre sur la TNT ne soit renouvelée ; si le renouvellement avait eu lieu, il eût été impossible pour les propriétaires de vendre la chaîne durant cinq ans.
Concentration des médias : Bolloré et Saadé, même traitement ?
L’empire de Saadé dans le monde médiatique sera avec cet achat fortement concentré entre les mains du milliardaire. Actuellement et avant rachat d’Altice médias, le pôle média de CMA CGM, groupe de Saadé, compte un chiffre d’affaires de 78 millions d’euros. Présidé par la femme de Saadé, Véronique Albertini Saadé, il fait travailler 280 journalistes. « Après le rachat d’Altice Media, indique Laurent Guimier, notre groupe sera ainsi présent en France sur les cinq principaux canaux de communication : la télévision, la radio, la presse, le digital et l’évènementiel ». Une concentration qui ne semble pas émouvoir le Président de la République, qui aborderait avec un œil bienveillant le rachat, si l’on en croit le Figaro. Face à l’empire Bolloré, l’empire Saadé s’apparente à en croire un ancien patron de l’audiovisuel, à un « combat politique souterrain des progressistes contre les conservateurs ». Prêt à racheter d’autres titres, Rodolphe Saadé verrait les opportunités d’acquisition présentées de manière récurrente sur son bureau. L’opération de rachat de BFMTV et RMC devrait être finalisée au cours de l’été 2024, dans un contexte difficile du groupe Altice qui croule sous les dettes.
Voir aussi : Rodolphe Saadé, infographie
Photo : Rodolphe Saadé au World Economic Forum Annual Meeting 2020. Crédit : World Economic Forum/Sikarin Fon Thanachaiary. Licence : CC BY-NC-SA 2.0 Deed