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Rodolphe Saadé : tentation de l’empire médiatique et premier mouvement social

25 mars 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Rodolphe Saadé : tentation de l’empire médiatique et premier mouvement social

Temps de lecture : 5 minutes

L’opération lui aura coûté 1,55 milliards d’euros : Rodolphe Saadé a ratifié l’achat de BFMTV et RMC, auprès de Patrick Drahi. Intégrant radio et télévision à son portefeuille qui contenait déjà l’hebdomadaire papier de la Tribune Dimanche ou La Provence et Corse-Matin, il entre en concurrence avec le conglomérat CNews, Europe 1 et le JDD détenu par le groupe Bolloré comme avec celui de Xavier Niel qui lorgne sur la télévision.

La Provence : dernier sursaut avant le crash ?

En matière de médias, il sem­blerait que Rodolphe Saadé, mil­liar­daire très proche d’Emmanuel Macron, n’ait pas tou­jours eu le nez : alors qu’il avait promis d’alimenter son titre La Provence, racheté en 2022, et assuré qu’aucun poste ne viendrait à y être sup­primé, le mag­nat a dû faire face à un principe de réal­ité : la dégringo­lade finan­cière colos­sale du jour­nal, qui per­dait avant le rachat près de 12 mil­lions d’euros par an et qu’il avait acheté près de 81 mil­lions, soit qua­tre fois plus que le prix pro­posé par Xavier Niel ! Face à la casse, ce seront 60 jour­nal­istes sur 175 qui seront poussés vers la sor­tie, pou­vant jouer sur leur clause de ces­sion, tan­dis que trente autres ne seront pas recon­duits. L’annonce a créé quelques remous au sein de la rédac­tion qui a ini­tié un mou­ve­ment de grève, con­traig­nant Saadé à recon­sid­ér­er la fer­me­ture des deux agences du Vau­cluse (Car­pen­tras et Orange).

Virage macroniste et grève illimitée

Aux ten­sions ini­tiales s’est ajoutée une polémique édi­to­ri­ale qui a débouché sur la mise à pied ven­dre­di 22 mars du directeur de la rédac­tion du jour­nal Aurélien Viers, con­vo­qué à un entre­tien préal­able à de licenciement.

En cause, la « une » du jour­nal de jeu­di, à l’occasion de la venue d’Emmanuel Macron à Mar­seille. On pou­vait y lire : « il est par­ti et nous on est tou­jours là » en référence au pas­sage du Prési­dent de la République à Mar­seille pour faire val­oir une opéra­tion de police antidrogue « Place nette XXL » dont les résul­tats sont très con­tro­ver­sés. Dif­fi­cile de savoir si le prési­dent ou son entourage s’en est plaint ou s’il s’agit d’un excès de zèle des équipes Saadé mais la réac­tion a été immé­di­ate et ven­dre­di, le jour­nal, par la voix de son directeur de pub­li­ca­tion Gabriel d’Harcourt pub­li­ait un « mot d’excuse » en une du jour­nal… Un procédé qui a agacé les jour­nal­istes d’autant que le mot évo­quait une « une » qui « ne reflète en rien les valeurs et la ligne édi­to­ri­ale du jour­nal » et d’ajouter :

« Nous avons induit en erreur nos lecteurs et La Provence leur présente ses plus pro­fondes excuses ».

Les jour­nal­istes, eux, se sont placés en grève illim­itée pour pro­test­er con­tre cette sanc­tion. Il s’agira désor­mais de voir si Rodolphe Saadé entend appli­quer la même poli­tique à BFMTV et surtout s’il tien­dra face aux grévistes comme Bol­loré en 2016 avec i‑Télé et plus récem­ment au JDD lors de la nom­i­na­tion de Geof­froy Leje­une… Le traite­ment qui sera réservé à Saadé sera aus­si a observé de près et pour­ra être com­paré à celui de son homo­logue mil­liar­daire Vin­cent Bol­loré. D’autant que Saadé n’a pas caché (source La Let­tre) qu’il ver­rait d’un mau­vais œil que CMA-CGM soit mal­traité dans les médias qu’il contrôle.

Un nouveau pas dans l’audiovisuel

Pour l’heure, l’homme d’affaires, qui a donc rat­i­fié le rachat de 100 % du cap­i­tal d’Altice Media, ne sem­ble pas découragé dans son entre­prise de créa­tion d’expansion médi­a­tique. Il s’offre ain­si la seule chaîne d’information en con­tinu rentable. « Rodolphe Saadé met certes la main sur une ressource rare, des fréquences TNT, mais la TNT ne représente plus que 20 % de la con­som­ma­tion TV des foy­ers français », a souligné au Figaro un ancien dirigeant de la chaîne. Pour d’autres, il s’agirait d’un cal­cul sur le long terme de la huitième for­tune de France (selon Forbes). « Saadé accepte de sur­pay­er ses cibles pas seule­ment pour les con­quérir mais parce qu’il pense que le Mec­ca­no qu’il con­stru­it dans les médias s’amortira sur le long terme », a ain­si expliqué Jean-Clé­ment Tex­i­er, ana­lyste des médias. Achat visant à assoir l’influence du mil­liar­daire, l’acquisition tenait à cœur à Saadé qui serait revenu « tous les trois ou qua­tre mois » à la charge et aurait accep­té de hauss­er le prix pro­posé pour acquérir son média. L’accord a égale­ment pu être trou­vé puisqu’il fal­lait pour les pro­prié­taires d’Altice ven­dre avant que l’autorisation d’émettre sur la TNT ne soit renou­velée ; si le renou­velle­ment avait eu lieu, il eût été impos­si­ble pour les pro­prié­taires de ven­dre la chaîne durant cinq ans.

Concentration des médias : Bolloré et Saadé, même traitement ?

L’empire de Saadé dans le monde médi­a­tique sera avec cet achat forte­ment con­cen­tré entre les mains du mil­liar­daire. Actuelle­ment et avant rachat d’Altice médias, le pôle média de CMA CGM, groupe de Saadé, compte un chiffre d’affaires de 78 mil­lions d’euros. Présidé par la femme de Saadé, Véronique Alber­ti­ni Saadé, il fait tra­vailler 280 jour­nal­istes. « Après le rachat d’Altice Media, indique Lau­rent Guimi­er, notre groupe sera ain­si présent en France sur les cinq prin­ci­paux canaux de com­mu­ni­ca­tion : la télévi­sion, la radio, la presse, le dig­i­tal et l’évènementiel ». Une con­cen­tra­tion qui ne sem­ble pas émou­voir le Prési­dent de la République, qui abor­derait avec un œil bien­veil­lant le rachat, si l’on en croit le Figaro. Face à l’empire Bol­loré, l’empire Saadé s’apparente à en croire un ancien patron de l’audiovisuel, à un « com­bat poli­tique souter­rain des pro­gres­sistes con­tre les con­ser­va­teurs ». Prêt à racheter d’autres titres, Rodolphe Saadé ver­rait les oppor­tu­nités d’acquisition présen­tées de manière récur­rente sur son bureau. L’opération de rachat de BFMTV et RMC devrait être final­isée au cours de l’été 2024, dans un con­texte dif­fi­cile du groupe Altice qui croule sous les dettes.

Voir aus­si : Rodolphe Saadé, infographie

Pho­to : Rodolphe Saadé au World Eco­nom­ic Forum Annu­al Meet­ing 2020. Crédit : World Eco­nom­ic Forum/Sikarin Fon Thanacha­iary. Licence : CC BY-NC-SA 2.0 Deed

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