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Routiers et policiers à Calais : les oubliés des tribunes dans les médias

11 août 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Routiers et policiers à Calais : les oubliés des tribunes dans les médias

Temps de lecture : 6 minutes

Red­if­fu­sion. Pre­mière dif­fu­sion le 28 jan­vi­er 2018

En 2015, l’OJIM évoquait « le peuple en angle mort à Calais ». Les routiers et les policiers affectés à Calais ne sont pas en reste. Les tribunes et déclarations se multiplient dans les médias pour dénoncer « les violences policières » contre des migrants à Calais. À la lecture de ces prises de position, on en conclurait rapidement à un acharnement de la part des policiers. La réalité est pourtant plus nuancée…

Une longue liste de dénonciations

Le 17 juin, dans une let­tre ouverte sur le Bondy Blog, plusieurs per­son­nal­ités deman­dent au Prési­dent de la République de « faire cess­er les vio­lences con­tre les migrants ». Le 25 octo­bre, 3 écrivains affir­ment dans Libéra­tion qu’ « à Calais, le temps est à la chas­se aux migrants ». L’archevêque de Paris inter­viewé le 16 jan­vi­er 2018 par Patrick Cohen sur Europe 1 dénonce au sujet des vio­lences poli­cières : « Ils ont surtout des ordres pour le faire ».

Invité sur France Info, Jacques Attali déclare : « j’ai vu des policiers envoy­er des gaz sur des jeunes gens à Calais ». Pour France 24, « Les migrants de Calais (sont) entre con­di­tions dif­fi­ciles et vio­lences poli­cières ». La Voix du Nord donne la parole à une élue infir­mière qui demande à Xavier Bertrand et au Préfet de faire cess­er « les vio­lences poli­cières et les per­sé­cu­tions visant à vider Calais des migrants ». Un migrant témoigne au Parisien : « À Calais, on nous traite comme des sauvages». On pour­rait mul­ti­pli­er les exemples.

Mais ce sont surtout déc­la­ra­tions toni­tru­antes de l’écrivain et chroniqueur à ONPC sur France 2, Yann Moix, qui con­naitront le plus grand reten­tisse­ment. Le 21 jan­vi­er, il affirme dans Libéra­tion : « «Mon­sieur le Prési­dent, vous avez instau­ré à Calais un pro­to­cole de la bavure».   Dans une let­tre ouverte, évo­quée par Europe 1, il s’adresse au chef de l’État : « vous hum­i­liez la France ». Marie Claire nous informe qu’ « après la tri­bune de Yann Moix sur les vio­lences à Calais, Emmanuelle Béart lance un appel » sur son compte Instagram.

Ce qui se passe quotidiennement à Calais

L’activité quo­ti­di­enne de nom­breux migrants ne fait pas la manchette des jour­naux. Pour­tant, au détour d’un arti­cle sur « les vio­lences subies par les migrants », on apprend que mal­gré le déman­tèle­ment de la jun­gle, on dénom­brait selon Le Parisien 60 000 intru­sions dans des camions en 2016 et « de source poli­cière », 30 000 en 2017. Des intru­sions clan­des­tines quand le con­duc­teur est un routi­er et non un passeur, faut-il le rappeler.

Un mode opératoire dangereux pour les migrants… mais aussi pour les routiers et les policiers

Le mode opéra­toire des migrants qui ten­tent de mon­ter dans des poids lourds n’est évo­qué que lorsqu’il provoque acci­dents, blessés et morts. Pour­tant, ces ten­ta­tives d’intrusion dans les camions qui cir­cu­lent sur l’autoroute et la rocade calaisi­enne en direc­tion du Tun­nel sous la Manche sont extrême­ment dan­gereuses non seule­ment pour les migrants…mais aus­si pour les routiers et les policiers. Com­bi­en de tri­bunes dans les jour­naux pour s’en indigner ?

Le quotidien des routiers

Le mode d’intrusion le moins dan­gereux est lorsque le camion est à l’arrêt sur une aire d’autoroute. Mais les routiers sont désor­mais sur leurs gardes dans un périmètre qui ne cesse de s’étendre. Alors, cer­tains migrants utilisent une autre méth­ode. Comme l’indique un respon­s­able de l’Auberge des migrants au Parisien en juin 2017, « «ils ten­tent de ralen­tir et de met­tre à l’arrêt des camions aux alen­tours du port et du fer­ry » afin de s’introduire à l’arrière du camion. « Ils font des “dougars” (dialecte soundais NDLR), ce que l’on appelle nous des bou­chons ».

Alors que la sit­u­a­tion s’était calmée avec le déman­tèle­ment de la jun­gle et le départ des migrants en 2016, leur retour à par­tir du mois de mai 2017 est mar­qué par de nom­breux inci­dents et accidents.

La Voix du Nord nous annonce le 22 mai un bar­rage sur la rocade, « une pre­mière depuis le déman­tèle­ment de la jun­gle ». Les bar­rages sont de retour. Le 21 juin, Le Parisien nous informe qu’ « un con­duc­teur meurt près d’un bar­rage ». « Le chauf­feur du véhicule imma­triculé en Pologne avait per­cuté un des trois poids lourds blo­qués par ce bar­rage arti­sanal sur l’au­toroute A16 à hau­teur de Guemps, à 15 km à l’est de Calais ». « Il est mort brûlé vif dans son véhicule » (c’est nous qui soulignons).

Le 27 sep­tem­bre, 20 Min­utes nous informe que « des migrants sont inter­pel­lés après avoir instal­lé un bar­rage ». Le 12 jan­vi­er 2018 selon France 3, « des migrants instal­lent un bar­rage de blocs de béton sur la rocade ».

La colère, la peur et le désar­roi des routiers ont fait l’objet de quelques reportages : le 21 juin France Info évoque « le désar­roi des routiers face aux migrants ». Cer­tains col­lègues du routi­er inter­viewé « ne veu­lent plus tra­vailler, trop de stress ». Le 4 sep­tem­bre, dans un reportage sur BFMTV, « les routiers expri­ment leur colère face aux migrants ». Sur France 3 le 29 sep­tem­bre, « les routiers sont de nou­veau inqui­ets face à la pres­sion migra­toire ». Une tri­bune de routiers excédés sera pub­liée dans La Voix du Nord le 29 sep­tem­bre. Ils lan­cent un ulti­ma­tum à l’Etat « face à une sit­u­a­tion inten­able ». Une action qui n’aura qu’un faible reten­tisse­ment dans les médias, hormis notam­ment un arti­cle dans La Croix.

Le quotidien des policiers

Au quo­ti­di­en, les policiers doivent prévenir ou résor­ber les bar­rages routiers posés sur la rocade calaisi­enne et l’autoroute voi­sine. Une tâche dif­fi­cile, risquée et sans cesse répétée.

Par­mi les arti­cles les plus fouil­lés sur ce sujet, citons Le Parisien dans son édi­tion du 20 juin 2017. Un syn­di­cal­iste polici­er y déclare : « Calais est dev­enue une zone d’a­n­ar­chie soigneuse­ment entretenue par divers acteurs asso­ci­at­ifs et insti­tu­tion­nels ». Même con­stat dans un dossier de Valeurs actuelles du 13 juil­let : « Calais est dev­enue une ZAD ».

Les con­séquences du retour des migrants à Calais sont tan­gi­bles : le 3 sep­tem­bre, des CRS sont cail­lassés, 3 seront blessés nous informe Actu 17, « l’application de l’actualité Police ». Le 26 novem­bre, « un bar­rage de CRS a été for­cé par un véhicule avec neuf migrants à son bord, blessant légère­ment un polici­er » selon France 24. La descrip­tion des événe­ments par un syn­di­cat de polici­er est loin de celle des médias : « une cinquan­taine de migrants, cen­sés d’ailleurs avoir dis­paru de Calais, armés de bâtons et de pier­res, font vio­lem­ment face aux col­lègues, qui, rap­pelons-le, étaient venus les pro­téger… ». Dans un autre doc­u­ment du syn­di­cat polici­er, on dénom­bre « 44 fonc­tion­naires des CRS blessés en 2016 sur le secteur de Calais et 10 entre le 1er jan­vi­er et le 20 sep­tem­bre 2017».

Des routiers qui tra­vail­lent la peur au ven­tre, des policiers agressés. Des élé­ments qui tem­pèrent les tri­bunes accusatri­ces qui se mul­ti­plient dans les medias. Aucune d’entre elles ne con­cerne les routiers et les policiers. Où sont Yann Moix et con­sorts ? On ne les entend pas…

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo xavier Le tem­pli­er via YouTube (DR)

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