L’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) a choisi de ne pas signer la pétition de l’association European Digital Rights (EDRi) visant à promouvoir l’interdiction totale des logiciels espions. Confiant, RSF estime, selon La Lettre A, que « la position actuelle des députés européens offre des garanties suffisantes pour protéger les journalistes ».
RSF mise sur les eurodéputés
C’est probablement l’argument le plus étonnant avancé par RSF contre la pétition de l’EDRi. En se fiant à la position d’élus comme garantie pour protéger les journalistes, RSF et son secrétaire général Christophe Deloire semblent pêcher par naïveté ou simplement prendre un virage guère conciliable avec la liberté de la presse.
En effet, l’association fondée par Robert Ménard estime que le Media Freedom Act, un texte de loi émanant du Conseil de l’Union Européenne (présenté en juin 2023) et qui sera l’objet de négociations avec le Parlement, garantit suffisamment la protection des journalistes. La commission parlementaire des libertés civiles du Parlement Européen aurait ainsi apporté des gages suffisants. La composition du parlement étant par nature volatile, ce que n’ignore pas RSF à huit mois des élections européennes, s’en tenir à la position des parlementaires peut apparaître particulièrement précaire.
Selon La Lettre A, RSF s’estime « assez solide pour faire face aux Etats membres » dans les négociations sur le texte de loi. Une position qui est défendue par la lobbyste de l’association à Bruxelles, Julie Majerczak (ex-Libération et Terra Eco) qui estime qu’il est « inutile de se figer dans une interdiction absolue des logiciels ». Lors de la parution du texte de loi, RSF s’était pourtant montré critique à l’endroit de celui-ci.
Un logiciel « au cas par cas »
La position de RSF peut sembler tenable à court terme puisque les lobbies médiatiques ont déjà remporté une victoire contre les plateformes auprès du législateur européen. Fin septembre, ils avaient obtenu un délai de 24 heures en faveur des médias pour répondre aux plateformes qui voudraient supprimer un contenu litigieux.
Le Media Freedom Act limiterait, lui, l’utilisation des logiciels espions dans le cadre d’enquêtes des « autorités judiciaires indépendantes » pour des « crimes sérieux » comme le trafic d’être humains et le terrorisme. Le problème d’un tel encadrement est de créer une exception qui, en matière sécuritaire devient souvent la règle générale. Quant aux « autorités judiciaires indépendantes », il convient de savoir ce qu’elles sont dans chaque Etat membre et surtout dans quelle mesure elles sont indépendantes. Ainsi les « autorités administratives indépendantes » en France sont généralement dirigées par des proches du pouvoir et leur mode de nomination est lié au sommet de l’Etat (présidence des Parlements et hautes juridictions).
RSF, dont les positions en matière de liberté d’expression sont à géométrie variable, semble jouer la carte de la modération dans ses négociations avec Bruxelles. Une méthode qui peut permettre d’obtenir des gages de l’UE mais qui risque également de discréditer encore plus l’association et d’ouvrir la voie à un peu plus de surveillance des médias par le pouvoir politique.