Lundi 26 septembre les deux gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont été gravement endommagés. Très rapidement, de nombreux médias de grand chemin ont pointé du doigt la Russie comme responsable probable de ce qu’ils ont qualifié de sabotage. Pourtant, avant ces événements, certaines déclarations de responsables nord-américains étaient pour le moins troublantes à ce sujet, en particulier à la lumière des récents événements. Mensonge par omission, parti-pris manifeste ou simple amateurisme ?
La piste russe, forcément
Rapidement après l’annonce par les agences de presse des lourdes dégradations qu’ont subi le 26 septembre les gazoducs Nord Stream 1 et 2, les regards des médias de grand chemin se sont tournés vers la Russie comme Etat potentiellement responsable.
Le 27 septembre, le journal Les Échos a ce que l’on appelle des doutes « orientés » : « Ces événements rarissimes, subits et simultanés, ont immédiatement fait naître des soupçons de sabotage de la part de Moscou ».
Avec l’aide de l’AFP, Le Point désigne le 28 novembre la Russie comme l’« objet de tous les soupçons ».
Sud-Ouest y va de son hypothèse dans son édition du 28 septembre :
« La Russie, qui a stoppé ses livraisons par Nord Stream 1 (pour « opérations de maintenance ») et utilise autant qu’elle le peut l’arme du gaz pour tarir l’approvisionnement de l’Union européenne et faire monter les prix mondiaux, peut avoir décidé de passer à la vitesse supérieure. »
France info évoque le 4 octobre dans un article consacré à l’enquête sur le sabotage de ces gazoducs « des soupçons qui pèsent quant à la responsabilité des Russes dans le sabotage des gazoducs ».
Face à ce bel unanimisme, seuls des médias alternatifs ou engagés ont donné d’autres éléments de contexte.
Des éléments de contexte passés sous silence
À côté de commentaires et d’analyses empreintes d’idéologie atlantiste quasiment uniformes, certains médias ont élargi le sillon des recherches.
De façon prémonitoire, Le Monde Diplomatique a consacré il y a un an un article à « comment saboter un gazoduc ». Pierre Rimbert y décrit les efforts du gouvernement américain pour éviter la mise en service de Nord Stream 2.
Certains passages de cet article ont une curieuse résonance aujourd’hui :
« Pour Washington, cibler Nord Stream 2 présente des avantages mercantiles autant que géopolitiques : grâce au soutien de la Commission européenne, favorable au marché flexible du gaz naturel liquéfié (GNL) américain plutôt qu’aux gazoducs russes, et à l’appui des pays les plus atlantistes de l’Union (Pologne, Danemark…), Washington n’entend pas seulement contrecarrer les plans de Moscou, mais aussi et surtout imposer ses excédents de gaz de schiste liquéfiés sur le marché européen ».
Les efforts de l’administration américaine pour empêcher la mise en fonctionnement de Nord Stream 2 sont décrits de manière assez édifiante dans l’article.
Sur le site du média Front Populaire, Régis de Castelnau s’interroge le 29 septembre sur la piste des « néo-conservateurs à la manœuvre ». Le juriste insiste sur l’enjeu des récents événements : cette opération de sabotage « va probablement rendre inopérantes deux installations décisives pour l’avenir énergétique et industriel de l’Allemagne ». Et l’on pourrait ajouter plus largement pour l’Europe de l’ouest.
Le Courrier des stratèges apporte dans un article mis en ligne le 28 septembre des éléments à l’appui du « scénario plausible du sabotage des gazoducs Nord stream 1 et 2 par les États-Unis ».
L’article détaille « plusieurs jalons chronologiques (qui) pointent vers une action américaine ». Plusieurs déclarations de responsables gouvernementaux américains mentionnées sont à ce sujet éloquentes.
Sur les réseaux sociaux, certains ressortent également du passé des déclarations pour le moins troublantes.
Phil Conte souligne qu’« en 2014 Condoleezza Rice avouait cyniquement que le principal but géopolitique des USA était de “réorienter les approvisionnements de gaz de l’Europe vers l’Amérique du Nord en coupant les gazoducs russes” ».
Le journaliste américain Garland Nixon publie un extrait d’un article de presse du 1er octobre : « Le secrétaire d’État américain Antony Blinken déclare que le sabotage du gazoduc est “une formidable opportunité pour chasser l’énergie russe du continent” ». Vous m’en direz tant…
Pourtant, en dépit de ces différents éléments, en dépit du fait que les USA n’aient jamais caché leur hostilité à la mise en service de Nord Stream 2, en dépit du fait que la Russie soit grandement pénalisée par ce sabotage d’une infrastructure qu’elle avait largement financée, c’est donc bien la Russie qui a été désignée comme responsable probable. Une nouvelle fois, les médias français ont montré leur conformisme extrême, leur orientation mimétique semblable à celle d’un banc de poissons.
Voir aussi : Les 10 principes de la propagande de guerre