Voilà maintenant des semaines que la grève à Radio France dure. Si les revendications sont très floues aux yeux du grand public, 218 journalistes titulaires du groupe ont néanmoins signé dans le Nouvel Obs une tribune dans laquelle ils interpellent Mathieu Gallet, le PDG, et Fleur Pellerin, la ministre de la Culture.
Face à des « changements profonds » des conditions de travail à venir, les signataires expliquent s’inquiéter de la situation de ce qu’il convient d’appeler les « précaires » du groupe. « Disponibles 24 heures sur 24, appelés à travailler parfois la veille ou le jour même, dans toutes les rédactions de l’entreprise (France Culture, France Info, France Inter, France Musique, FIP, Mouv’ et les 44 radios locales de France Bleu), ils sont soumis à une astreinte qui ne dit pas son nom et qui n’est donc pas rémunérée », clament-ils.
Et ces derniers de dénoncer un « système illégal » de reconduite de CDD à outrance. « N’importe quel conseil des Prud’hommes requalifierait cette situation en CDI. Mais nos jeunes confrères n’ont d’autre choix que de subir cette période d’essai interminable : ce système est la seule voie d’accès à un CDI à Radio France », estiment les signataires.
Et de conclure : « Le sort de ces journalistes précaires nous importe. Ce sont nos collègues. Comme nous, ils travaillent exclusivement pour Radio France. Sans eux, nos antennes ne fonctionnent pas. Ces dernières semaines, ils n’ont pas fait grève. Impossible de cesser le travail, par peur de le perdre. »
À première vue, le procédé semble louable : s’indigner des conditions de travail des précaires du groupe est une chose on ne peut plus recevable. Pourtant, alors que la grève dure depuis des semaines (la plus importante de l’histoire de Radio France) et qu’il faut bien justifier cette action, c’est à se demander ce que les salariés de la Maison Ronde tentent de masquer en braquant soudain les projecteurs sur leurs confrères en CDD.
La cour des comptes a peut-être apporté un début de réponse au début du mois. Dans un rapport accablant, les hauts magistrats dévoilent les avantages confortables dont jouiraient les salariés de Radio France.
Tout d’abord, ces derniers se verraient accorder de généreuses vacances : jusqu’à 56,5 jours par an, RTT inclus, pour les personnels techniques et même jusqu’à 68 jours pour les journalistes ! Qui plus est, les congés ne seraient pas déclarés correctement, ce qui laisse entrevoir une situation peut-être encore plus confortable qu’elle ne le paraît déjà.
Selon la Cour des comptes, 8 % des journalistes du groupe (dont 24% à France Info et 15 % à France Inter) s’aménageraient en plus un rythme de travail des plus tranquilles : 4 jours de travail suivis de 3 jours de congés… Quant aux musiciens, ils ne travailleraient que 700 heures par an (alors que la convention collective en prévoit 1 100).
Aussi, les salariés de la Maison ronde toucheraient beaucoup d’à-côtés. Primes de fonction pour le travail de nuit, la matinale, ou encore la promotion à un poste de cadre… celles-ci sont nombreuses. Mieux : certains journalistes continuent de percevoir leur prime de nuit alors qu’ils travaillent la journée.
À cela, ajoutez qu’un tiers des salariés bénéficie d’heures supplémentaires. « Cela constitue même un élément permanent de rémunération pour certaines catégories: 71% des techniciens du son en ont perçu en 2013 », notent les magistrats. Ce n’est pas tout : 131 salariés en CDI perçoivent des cachets d’intermittents du spectacle en guise de « complément de rémunération ». Une pratique « d’autant plus condamnable qu’elle ne donne lieu à aucun contrôle ».
Selon la Cour des comptes, les avantages en nature seraient également monnaie-courante à Radio France. Le remboursement des amendes des salariés, pratique pourtant interdite, se pratiquerait régulièrement. Pour ce qui est des voyages, a priori en classe économique, « des incertitudes subsistent sur les dérogations à cette règle ». Quant aux abonnements téléphoniques, « il a fallu un contrôle de l’Urssaf pour que l’usage des portables à titre privé soit encadré ».
Enfin les hauts magistrats terminent leur bilan par le constat d’un sureffectif à plusieurs niveaux. Par exemple, la communication compte une centaine de personnes. Pour les trois antennes FIP en province, qui réalisent pourtant de modestes audiences, on compte 17 personnes et un coût d’un million d’euro par an.
Même constat pour les trois bureaux régionaux d’information (9 équivalents temps plein), dont la « productivité est difficile à établir ». Enfin se pose le problème du très grand nombre de techniciens malgré le passage au numérique de la production. Le groupe compte en effet 582 techniciens du son et 150 chargés de réalisation. « Les effectifs de techniciens affectés à France Inter (41,6 équivalents temps plein, soit 3 millions d’euros de masse salariale) sont d’un niveau inexpliqué, lorsqu’on les compare à ceux de France Info (19), France Culture (14) ou France Musique (11) », explique la Cour.
L’explication est pourtant simple : « cette situation tient à la capacité de cette équipe de techniciens à paralyser l’antenne, comme la grève de janvier 2013 l’a montré »… À noter que tous ces avantages sont exclusivement réservés aux CDI, malgré le fait qu’ils fournissent un volume de travail inférieur d’un tiers à celui des CDD.
À la vue de ce rapport, on comprend mieux désormais pourquoi les salariés titulaires tentent de mettre en avant la situation des précaires qui elle, est réellement inacceptable.