L’Express n’est pas réputé pour sa vision critique de l’Union Européenne. Du coup, quand Salvini va, L’Express ne va pas. Il n’est pas aisé tous les jours d’être en marche. La preuve par le numéro de l’hebdomadaire daté du 15 au 21 août 2018.
Le numéro de L’Express (15–21 août 2018), hebdomadaire de Patrick Drahi, est un numéro de rentrée, et la rédaction a visiblement voulu frapper fort, attirer l’œil de lecteurs ayant à peine retiré leurs lunettes de soleil. Quoi de mieux qu’un peu de combat contre le « populisme » ? Surtout à quelques mois des élections européennes, élections que, décidément, les médias libéraux français semblent décidés à préparer très en amont.
La couverture ne cache pas ses objectifs
“Populista, xenofobo, che fa tremare l’Europa”. Anche dalla Francia non sanno più cosa inventarsi per attaccarmi.
Lo mandiamo un bacione ai buonisti e radical chic transalpini?😘 pic.twitter.com/n3sYjqcIP6— Matteo Salvini (@matteosalvinimi) August 19, 2018
« Populiste, xénophobe, le nouvel homme fort d’Italie ravit Le Pen et inquiète Macron ». Si la dernière assertion est vraie, il est des observateurs qui la trouveront positive. Il est cependant douteux que la rédaction de L’Express soit au fait des inquiétudes du président de la République. Une supposition pour attirer le chaland. De même que les deux arguments d’autorité (« populiste, xénophobe ») qui n’ont pas plus de valeur que tout argument de cette sorte, c’est-à-dire aucune. De tels mots au sujet de l’homme politique actuellement le plus influent et actif d’Italie, en particulier sur ce grave sujet qu’est l’immigration massive, demandent d’être clarifiés. Le dossier, en pages intérieures, proposera-t-il cette clarification ? À voir… Impossible de savoir si L’Express partage les inquiétudes qu’il attribue à Macron ou bien s’il s’agit plus simplement de sortir une couverture assez effrayante pour vendre, préoccupation de plus en plus importante du côté des hebdomadaires sinistrés tels que celui-ci. Un état de fait qui dépasse ce magazine, touchant la plupart d’entre eux, sauf ceux clairement populistes et/ou à droite, qui devrait interroger ceux qui les font : pourquoi les lecteurs, lesquels existent toujours, ne sont-ils plus prêts du tout à donner une pièce ou deux à L’Express et autres hebdomadaires moribonds ? S’interroger du côté du contenu donnerait peut-être des réponses mais cela induirait aussi une remise en cause de dogmes, en particulier européistes, alors… Du coup, L’Express semble préférer de doucement mourir sous perfusion de l’État en défendant une Europe elle-même moribonde, et comme la meilleure défense est toujours l’attaque, la rédaction s’attaque à Salvini : « Il fait trembler l’Europe ». Si l’on prend le temps de demeurer deux ou trois minutes, le regard sur cette couverture, une donnée apparaît telle une évidence : la forme actuelle de L’Express fait penser à celle de ces magazines datant des années 80 du siècle passé, les taches de vieillissement en moins. Ce sentiment devrait aussi interroger ceux qui prétendent maintenir en vie ce média, dont l’on n’ose pas imaginer la moyenne d’âge des acheteurs (s’il en existe toujours, hors institutions type médiathèques ou hors médecins).
Le sommaire ? Haro sur le méchant !
Dans le storytelling actuel de l’UE, Salvini c’est le grand méchant, au point de supplanter Orban. Pourquoi ? La Hongrie, peu de Français savent que cela existe et que ce pays est dans l’UE. En gros, les Français se fichent plutôt de la Hongrie. L’Italie, c’est différent : l’un des signataires du Traité de Rome, et un pays proche pour de nombreuses raisons, géographiques, historiques, amicales, migratoires et donc aussi familiales… L’accroche se fait dès le sommaire, par une citation mise en exergue et sur fond rouge : « Salvini a toujours eu besoin de boucs émissaires. L’Europe, d’abord, puis les migrants… Il a réussi à faire croire aux italiens que les étrangers étaient la cause de tous leurs problèmes. Et ça marche ». Pas grand-chose de nouveau : une vision qui apparaît inlassablement depuis le début des années 80 en Europe, chaque fois qu’une politique différente de celle des dogmes européistes est mise en œuvre quelque part. Notons cependant que le mépris du peuple, italien dans ce cas précis, mais ce pourrait être un autre peuple, il suffit qu’un politique eurosceptique soit élu ici ou là, ne se masque plus guère : un peuple prompt à se laisser berner semble-t-il, et fort peu apte à penser par lui-même à en croire cette accroche.
Les pages intérieures : un portrait à charge
Le portrait de Salvini est signé des journalistes Charles Haquet et Vanja Luksic, correspondante anti « populiste » de l’hebdomadaire en Italie. Début du portrait, pour le moins modéré et journalistiquement neutre : « Il a le verbe acéré, l’insulte au bord des lèvres et, comme son idole Donald Trump, le tweet assassin. Quand il ne veut pas « foutre à la mer » 600 000 migrants, Matteo Salvini fustige Macron « l’hypocrite » ou qualifie l’euro de « crime contre l’humanité ». Pour un peu, le nouvel homme fort d’Italie en ferait presque oublier le Brexit : le vrai danger qui menace le Vieux Continent, c’est lui ». Les lecteurs malencontreusement toujours en vacances, ayant acquis ce numéro de L’Express en se rendant à la plage et le lisant sur le sable chaud ont sans doute été tentés de rentrer d’urgence, histoire de régler deux ou trois affaires en cours avant que la menace pesant sur le continent ne s’enclenche concrètement. L’article comporte tout le langage se voulant correct et destiné à s’imprimer dans les cerveaux, sans donner le minimum syndical d’explications. Ainsi, la Lega, le parti de Salvini, est-il, ici comme souvent ailleurs, qualifié de « parti d’extrême droite » (Explications ? C’est-à-dire ? En quoi ?) et il veut « créer une internationale du populisme » (populisme ? explications ?). Et :
« Pour mener à bien son entreprise, les alliés ne manquent pas : Donald Trump, Vladimir Poutine, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, ou encore Marine Le Pen, qui avoue « être en extase » devant lui. A neuf mois des élections européennes, Matteo Salvini inquiète Bruxelles et au-delà : « En Europe, Macron a un problème, et il s’appelle Salvini », résume l’un des conseillers du président français. »
On imagine sans peine l’électeur européiste faisant chauffer son bulletin de vote : il semble qu’il ait de quoi fortement s’inquiéter. Plus surprenant ? Axes, arguments militants et mots sont exactement les mêmes que dans L’Opinion, lui-aussi consacré aux grands méchants en Europe. Les grandes idées se rejoignent ? Plutôt le portrait à charge, dont la caractéristique de portrait « journalistique » peut être considérée comme douteuse, ainsi lorsqu’on lit ceci dans l’article : « L’homme est un opportuniste, un caméléon capable de passer par toutes les couleurs de la politique, de la gauche à l’extrême droite, pour assouvir ses positions ». Ainsi des italiens un tantinet bêbêtes auraient élu, et soutiennent massivement (60 %, fin août 2018) un politicien sans foi ni loi ? Le lecteur cherche en vain un peu de recul, d’analyse, d’esprit critique, de journalisme en somme. Mais non.
Retour des années 30 encore ? Ça n’arrête jamais
Plus loin, l’article cite un journaliste italien qui parle de « racisme » au sujet de Salvini, sans que la rédaction de L’Express juge nécessaire d’indiquer une source, une condamnation en justice, quelque chose, un petit rien, venant étayer une telle accusation. Il y a simplement un amalgame : Salvini est indiqué, sans plus de précisions, comme « lié » à un autre député européen, quand à lui condamné pour « propos racistes ». Si donc tu connais une personne condamnée pour racisme, alors… Amalgame en usage dans toute la presse libérale libertaire. Parfois, les médias régimistes sortent un selfie… comme si un homme ou une femme politique pouvait être comptable de la biographie de qui lui demande un selfie… Le portrait insiste peu par contre sur Toni Iwobi, sénateur d’origine nigériane et porte-parole de la Ligue, parti repris et renové de fond en comble par Salvini à partir de 2013. On préfère effrayer le lecteur avec des citations sorties de leur contexte : « Un nettoyage de masse est nécessaire aussi en Italie, rue par rue, quartier par quartier, place par place, en utilisant la force s’il le faut ». L’expression « nettoyage de masse », évidemment, sortie de son contexte, a un rôle clair à jouer, dans l’esprit des auteurs du portrait. Les années 30 ne sont jamais éloignées des salles de rédaction libérales libertaires parisiennes. Notons que sur Médiapart, le 13 août 2018, la phrase était traduite différemment : « épuration » au lieu de « nettoyage ». Notons aussi que le buzz sur ces propos, supposément tenus au sujet des migrants, n’a été produit que par Libération (21 juin 2018) et le Huffpost (20 juin 2018), médias dont les habitudes de neutralité sont connues. Des propos cependant déjà repris le 13 août dans L’Express, dans un autre article à charge contre Salvini. Une telle menace, cela se combat sans doute au moins deux fois chaque mois. Localement, nombre d’observateurs considèrent que Salvini évoquait plutôt la mafia. Qui sait ? L’Express devrait contrôler cette « information », son rôle de média soulevant un lièvre consiste à aller vérifier ses sources et, dans ce cas précis, d’interroger Salvini, son entourage, ses communicants, et de mener une enquête sérieuse.
Mussolini, le voilà !
L’objectif ? Passer à la suite, sur la base d’analyses et de témoignages d’italiens exclusivement opposés à Salvini : « démontrer » que ce dernier serait « mussolinien » et « fasciste » (les mots sont en toutes lettres dans ce portrait). Avec même ceci, produisant un amalgame digne d’un banal site complotiste, indigne d’un média officiel :
« En réaction à la couverture d’un magazine italien (Famiglia Cristiana), titrée « Vade retro Salvini », le ministre de l’Intérieur n’a‑t-il pas répliqué le 29 juillet par le tweet « Tanti nemici, tanto onore! » (« beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur »)? Un slogan très proche de celui prononcé en 1931 par Benito Mussolini. Et le 29 juillet est le jour anniversaire de la naissance du Duce… »
Les points de suspension en disent long, la manière encore plus : il est évidemment douteux que l’expression « beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur » soit une marque mussolinienne déposée ; quant au soupçon de tweeter le jour de la naissance de Mussolini, le procédé est gros comme un procédé complotiste. Il y a tout de même beaucoup de fake news en peu de lignes, ici. Ensuite ? Les propos rapportés d’une italienne d’origine serbe et de culture rom, laquelle accuse Salvini de tous les maux. L’idée est de montrer que par ses déclarations, Salvini, un peu comme ce qui est reproché à Trump, favoriserait une remontée du racisme dans son pays. Avec cet argument ahurissant, qui n’est pas du témoin interrogé mais des deux journalistes : « sans oublier tous ces Noirs [majuscule ?] qui font l’objet d’attaques racistes depuis quelques mois, telle cette athlète italienne d’origine nigériane, Daisy Osakue ». Une fake news de plus, à moins que la rédaction de L’Express soit la seule en Europe à ignorer que cette agression a été reconnue comme n’étant pas imputable au racisme, et du coup pas plus imputable à Salvini dans le cadre d’un de ces amalgames dont la presse régimiste est coutumière. La dernière page vise à prévenir que la menace Salvini est menace à l’échelle européenne, du fait de sa volonté supposée d’unir les « populistes » européens. Du coup, comme dans L’Opinion, décidément, les auteurs concluent que la menace Salvini se double, de leur point de vue, d’une menace Steve Bannon. Il est partout, ce Steve, vraiment partout.
Un dossier de sept pages tout de même, entièrement à charge, bien que comportant des faits biographiques, et appuyé sur des arguments d’autorité, des interprétations personnelles, des fake, des amalgames… L’Express n’y va pas de main morte à l’approche des européennes : peur que les peuples européens choisissent un autre chemin ? En tout cas, lecture et vérification faite, L’Express ne prouve aucun des mots qu’il emploie au sujet de Salvini (populiste, xénophobe, raciste, fasciste, mussolinien). Comment appelle-t-on déjà des affirmations assénées publiquement sans preuves ?