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Salvini dans L’Express : la grande peur est-elle en marche ?

29 août 2018

Temps de lecture : 10 minutes
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Salvini dans L’Express : la grande peur est-elle en marche ?

Temps de lecture : 10 minutes

L’Express n’est pas réputé pour sa vision critique de l’Union Européenne. Du coup, quand Salvini va, L’Express ne va pas. Il n’est pas aisé tous les jours d’être en marche. La preuve par le numéro de l’hebdomadaire daté du 15 au 21 août 2018.

Le numéro de L’Express (15–21 août 2018), heb­do­madaire de Patrick Drahi, est un numéro de ren­trée, et la rédac­tion a vis­i­ble­ment voulu frap­per fort, attir­er l’œil de lecteurs ayant à peine retiré leurs lunettes de soleil. Quoi de mieux qu’un peu de com­bat con­tre le « pop­ulisme » ? Surtout à quelques mois des élec­tions européennes, élec­tions que, décidé­ment, les médias libéraux français sem­blent décidés à pré­par­er très en amont.

La couverture ne cache pas ses objectifs

« Pop­uliste, xéno­phobe, le nou­v­el homme fort d’Italie rav­it Le Pen et inquiète Macron ». Si la dernière asser­tion est vraie, il est des obser­va­teurs qui la trou­veront pos­i­tive. Il est cepen­dant dou­teux que la rédac­tion de L’Express soit au fait des inquié­tudes du prési­dent de la République. Une sup­po­si­tion pour attir­er le cha­land. De même que les deux argu­ments d’autorité (« pop­uliste, xéno­phobe ») qui n’ont pas plus de valeur que tout argu­ment de cette sorte, c’est-à-dire aucune. De tels mots au sujet de l’homme poli­tique actuelle­ment le plus influ­ent et act­if d’Italie, en par­ti­c­uli­er sur ce grave sujet qu’est l’immigration mas­sive, deman­dent d’être clar­i­fiés. Le dossier, en pages intérieures, pro­posera-t-il cette clar­i­fi­ca­tion ? À voir… Impos­si­ble de savoir si L’Express partage les inquié­tudes qu’il attribue à Macron ou bien s’il s’agit plus sim­ple­ment de sor­tir une cou­ver­ture assez effrayante pour ven­dre, préoc­cu­pa­tion de plus en plus impor­tante du côté des heb­do­madaires sin­istrés tels que celui-ci. Un état de fait qui dépasse ce mag­a­zine, touchant la plu­part d’entre eux, sauf ceux claire­ment pop­ulistes et/ou à droite, qui devrait inter­roger ceux qui les font : pourquoi les lecteurs, lesquels exis­tent tou­jours, ne sont-ils plus prêts du tout à don­ner une pièce ou deux à L’Express et autres heb­do­madaires mori­bonds ? S’interroger du côté du con­tenu don­nerait peut-être des répons­es mais cela induirait aus­si une remise en cause de dogmes, en par­ti­c­uli­er européistes, alors… Du coup, L’Express sem­ble préfér­er de douce­ment mourir sous per­fu­sion de l’État en défen­dant une Europe elle-même mori­bonde, et comme la meilleure défense est tou­jours l’attaque, la rédac­tion s’attaque à Salvi­ni : « Il fait trem­bler l’Europe ». Si l’on prend le temps de demeur­er deux ou trois min­utes, le regard sur cette cou­ver­ture, une don­née appa­raît telle une évi­dence : la forme actuelle de L’Express fait penser à celle de ces mag­a­zines datant des années 80 du siè­cle passé, les tach­es de vieil­lisse­ment en moins. Ce sen­ti­ment devrait aus­si inter­roger ceux qui pré­ten­dent main­tenir en vie ce média, dont l’on n’ose pas imag­in­er la moyenne d’âge des acheteurs (s’il en existe tou­jours, hors insti­tu­tions type médiathèques ou hors médecins).

Le sommaire ? Haro sur le méchant !

Dans le sto­ry­telling actuel de l’UE, Salvi­ni c’est le grand méchant, au point de sup­planter Orban. Pourquoi ? La Hon­grie, peu de Français savent que cela existe et que ce pays est dans l’UE. En gros, les Français se fichent plutôt de la Hon­grie. L’Italie, c’est dif­férent : l’un des sig­nataires du Traité de Rome, et un pays proche pour de nom­breuses raisons, géo­graphiques, his­toriques, ami­cales, migra­toires et donc aus­si famil­iales… L’accroche se fait dès le som­maire, par une cita­tion mise en exer­gue et sur fond rouge : « Salvi­ni a tou­jours eu besoin de boucs émis­saires. L’Europe, d’abord, puis les migrants… Il a réus­si à faire croire aux ital­iens que les étrangers étaient la cause de tous leurs prob­lèmes. Et ça marche ». Pas grand-chose de nou­veau : une vision qui appa­raît inlass­able­ment depuis le début des années 80 en Europe, chaque fois qu’une poli­tique dif­férente de celle des dogmes européistes est mise en œuvre quelque part. Notons cepen­dant que le mépris du peu­ple, ital­ien dans ce cas pré­cis, mais ce pour­rait être un autre peu­ple, il suf­fit qu’un poli­tique euroscep­tique soit élu ici ou là, ne se masque plus guère : un peu­ple prompt à se laiss­er bern­er sem­ble-t-il, et fort peu apte à penser par lui-même à en croire cette accroche.

Les pages intérieures : un portrait à charge

Le por­trait de Salvi­ni est signé des jour­nal­istes Charles Haquet et Van­ja Luk­sic, cor­re­spon­dante anti « pop­uliste » de l’hebdomadaire en Ital­ie. Début du por­trait, pour le moins mod­éré et jour­nal­is­tique­ment neu­tre : « Il a le verbe acéré, l’insulte au bord des lèvres et, comme son idole Don­ald Trump, le tweet assas­sin. Quand il ne veut pas « foutre à la mer » 600 000 migrants, Mat­teo Salvi­ni fustige Macron « l’hypocrite » ou qual­i­fie l’euro de « crime con­tre l’humanité ». Pour un peu, le nou­v­el homme fort d’Italie en ferait presque oubli­er le Brex­it : le vrai dan­ger qui men­ace le Vieux Con­ti­nent, c’est lui ». Les lecteurs malen­con­treuse­ment tou­jours en vacances, ayant acquis ce numéro de L’Express en se ren­dant à la plage et le lisant sur le sable chaud ont sans doute été ten­tés de ren­tr­er d’urgence, his­toire de régler deux ou trois affaires en cours avant que la men­ace pesant sur le con­ti­nent ne s’enclenche con­crète­ment. L’article com­porte tout le lan­gage se voulant cor­rect et des­tiné à s’imprimer dans les cerveaux, sans don­ner le min­i­mum syn­di­cal d’explications. Ain­si, la Lega, le par­ti de Salvi­ni, est-il, ici comme sou­vent ailleurs, qual­i­fié de « par­ti d’extrême droite » (Expli­ca­tions ? C’est-à-dire ? En quoi ?) et il veut « créer une inter­na­tionale du pop­ulisme » (pop­ulisme ? expli­ca­tions ?). Et :

« Pour men­er à bien son entre­prise, les alliés ne man­quent pas : Don­ald Trump, Vladimir Pou­tine, le pre­mier min­istre hon­grois, Vik­tor Orban, le chance­li­er autrichien, Sebas­t­ian Kurz, ou encore Marine Le Pen, qui avoue « être en extase » devant lui. A neuf mois des élec­tions européennes, Mat­teo Salvi­ni inquiète Brux­elles et au-delà : « En Europe, Macron a un prob­lème, et il s’appelle Salvi­ni », résume l’un des con­seillers du prési­dent français. »

On imag­ine sans peine l’électeur européiste faisant chauf­fer son bul­letin de vote : il sem­ble qu’il ait de quoi forte­ment s’inquiéter. Plus sur­prenant ? Axes, argu­ments mil­i­tants et mots sont exacte­ment les mêmes que dans L’Opinion, lui-aus­si con­sacré aux grands méchants en Europe. Les grandes idées se rejoignent ? Plutôt le por­trait à charge, dont la car­ac­téris­tique de por­trait « jour­nal­is­tique » peut être con­sid­érée comme dou­teuse, ain­si lorsqu’on lit ceci dans l’article : « L’homme est un oppor­tuniste, un caméléon capa­ble de pass­er par toutes les couleurs de la poli­tique, de la gauche à l’extrême droite, pour assou­vir ses posi­tions ». Ain­si des ital­iens un tan­ti­net bêbêtes auraient élu, et sou­ti­en­nent mas­sive­ment (60 %, fin août 2018) un politi­cien sans foi ni loi ? Le lecteur cherche en vain un peu de recul, d’analyse, d’esprit cri­tique, de jour­nal­isme en somme. Mais non.

Retour des années 30 encore ? Ça n’arrête jamais

Plus loin, l’article cite un jour­nal­iste ital­ien qui par­le de « racisme » au sujet de Salvi­ni, sans que la rédac­tion de L’Express juge néces­saire d’indiquer une source, une con­damna­tion en jus­tice, quelque chose, un petit rien, venant étay­er une telle accu­sa­tion. Il y a sim­ple­ment un amal­game : Salvi­ni est indiqué, sans plus de pré­ci­sions, comme « lié » à un autre député européen, quand à lui con­damné pour « pro­pos racistes ». Si donc tu con­nais une per­son­ne con­damnée pour racisme, alors… Amal­game en usage dans toute la presse libérale lib­er­taire. Par­fois, les médias régimistes sor­tent un self­ie… comme si un homme ou une femme poli­tique pou­vait être compt­able de la biogra­phie de qui lui demande un self­ie… Le por­trait insiste peu par con­tre sur Toni Iwobi, séna­teur d’origine nigéri­ane et porte-parole de la Ligue, par­ti repris et ren­ové de fond en comble par Salvi­ni à par­tir de 2013. On préfère effray­er le lecteur avec des cita­tions sor­ties de leur con­texte : « Un net­toy­age de masse est néces­saire aus­si en Ital­ie, rue par rue, quarti­er par quarti­er, place par place, en util­isant la force s’il le faut ». L’expression « net­toy­age de masse », évidem­ment, sor­tie de son con­texte, a un rôle clair à jouer, dans l’esprit des auteurs du por­trait. Les années 30 ne sont jamais éloignées des salles de rédac­tion libérales lib­er­taires parisi­ennes. Notons que sur Médi­a­part, le 13 août 2018, la phrase était traduite dif­férem­ment : « épu­ra­tion » au lieu de « net­toy­age ». Notons aus­si que le buzz sur ces pro­pos, sup­posé­ment tenus au sujet des migrants, n’a été pro­duit que par Libéra­tion (21 juin 2018) et le Huff­post (20 juin 2018), médias dont les habi­tudes de neu­tral­ité sont con­nues. Des pro­pos cepen­dant déjà repris le 13 août dans L’Express, dans un autre arti­cle à charge con­tre Salvi­ni. Une telle men­ace, cela se com­bat sans doute au moins deux fois chaque mois. Locale­ment, nom­bre d’observateurs con­sid­èrent que Salvi­ni évo­quait plutôt la mafia. Qui sait ? L’Express devrait con­trôler cette « infor­ma­tion », son rôle de média soule­vant un lièvre con­siste à aller véri­fi­er ses sources et, dans ce cas pré­cis, d’interroger Salvi­ni, son entourage, ses com­mu­ni­cants, et de men­er une enquête sérieuse.

Mussolini, le voilà !

L’objectif ? Pass­er à la suite, sur la base d’analyses et de témoignages d’italiens exclu­sive­ment opposés à Salvi­ni : « démon­tr­er » que ce dernier serait « mus­solin­ien » et « fas­ciste » (les mots sont en toutes let­tres dans ce por­trait). Avec même ceci, pro­duisant un amal­game digne d’un banal site com­plo­tiste, indigne d’un média officiel :

« En réac­tion à la cou­ver­ture d’un mag­a­zine ital­ien (Famiglia Cris­tiana), titrée « Vade retro Salvi­ni », le min­istre de l’Intérieur n’a‑t-il pas répliqué le 29 juil­let par le tweet « Tan­ti nemi­ci, tan­to onore! » (« beau­coup d’ennemis, beau­coup d’honneur »)? Un slo­gan très proche de celui pronon­cé en 1931 par Ben­i­to Mus­soli­ni. Et le 29 juil­let est le jour anniver­saire de la nais­sance du Duce… »

Les points de sus­pen­sion en dis­ent long, la manière encore plus : il est évidem­ment dou­teux que l’expression « beau­coup d’ennemis, beau­coup d’honneur » soit une mar­que mus­solin­i­enne déposée ; quant au soupçon de tweet­er le jour de la nais­sance de Mus­soli­ni, le procédé est gros comme un procédé com­plo­tiste. Il y a tout de même beau­coup de fake news en peu de lignes, ici. Ensuite ? Les pro­pos rap­portés d’une ital­i­enne d’origine serbe et de cul­ture rom, laque­lle accuse Salvi­ni de tous les maux. L’idée est de mon­tr­er que par ses déc­la­ra­tions, Salvi­ni, un peu comme ce qui est reproché à Trump, favoris­erait une remon­tée du racisme dans son pays. Avec cet argu­ment ahuris­sant, qui n’est pas du témoin inter­rogé mais des deux jour­nal­istes : « sans oubli­er tous ces Noirs [majus­cule ?] qui font l’objet d’attaques racistes depuis quelques mois, telle cette ath­lète ital­i­enne d’origine nigéri­ane, Daisy Osakue ». Une fake news de plus, à moins que la rédac­tion de L’Express soit la seule en Europe à ignor­er que cette agres­sion a été recon­nue comme n’étant pas imputable au racisme, et du coup pas plus imputable à Salvi­ni dans le cadre d’un de ces amal­games dont la presse régimiste est cou­tu­mière. La dernière page vise à prévenir que la men­ace Salvi­ni est men­ace à l’échelle européenne, du fait de sa volon­té sup­posée d’unir les « pop­ulistes » européens. Du coup, comme dans L’Opinion, décidé­ment, les auteurs con­clu­ent que la men­ace Salvi­ni se dou­ble, de leur point de vue, d’une men­ace Steve Ban­non. Il est partout, ce Steve, vrai­ment partout.

Un dossier de sept pages tout de même, entière­ment à charge, bien que com­por­tant des faits biographiques, et appuyé sur des argu­ments d’autorité, des inter­pré­ta­tions per­son­nelles, des fake, des amal­games… L’Express n’y va pas de main morte à l’approche des européennes : peur que les peu­ples européens choi­sis­sent un autre chemin ? En tout cas, lec­ture et véri­fi­ca­tion faite, L’Express ne prou­ve aucun des mots qu’il emploie au sujet de Salvi­ni (pop­uliste, xéno­phobe, raciste, fas­ciste, mus­solin­ien). Com­ment appelle-t-on déjà des affir­ma­tions assénées publique­ment sans preuves ?

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