La rencontre du leader de la Ligue italienne Matteo Salvini avec celui du PiS polonais Jarosław Kaczyński le 9 janvier dernier a été largement commentée en Europe et, selon la sensibilité, les médias étaient partagés entre espoirs et inquiétudes.
En Italie
C’est le quotidien italien de gauche La Repubblica qui avait ouvert le bal le 2 janvier en annonçant le premier le projet de discussions politiques au siège du PiS à l’occasion de la visite du ministre de l’Intérieur italien à Varsovie la semaine suivante, à l’invitation de son homologue polonais Joachim Brudziński. Qualifiée en titre de « défi de Salvini à l’UE », cette visite avait, selon le journal, pour but de lancer le groupe souverainiste au Parlement européen souhaité par le chef de la Ligue. Une alliance entre la Ligue et le PiS serait « le dernier maillon » manquant « pour fermer la chaîne noire avec laquelle les souverainistes se préparent à ceindre l’Europe lors des élections du 26 mai ».
Il paraîtrait même, selon le journal de gauche, que Jarosław Kaczyński, « avec le PiS, Droit et Justice, conduit la Pologne depuis déjà quatre ans avec la formation la plus conservatrice et illibérale que le pays ait jamais connu ». Le Corriere della Sera, également de gauche, s’inquiétait lui aussi la veille de la rencontre de la formation possible d’un « axe souverainiste pour les Européennes » entre l’Italie et les pays du Groupe de Visegrád, « à commencer par la Pologne ». Malgré les fortes divergences entre les deux grands partis sur l’attitude à avoir face à la Russie de Vladimir Poutine, « la Ligue et le PiS, qui dirige la Pologne, partagent des politiques très restrictives face aux migrants ». Et le Corriere reproche aussi au PiS ses réformes de la justice et sa politique de « restriction des droits des femmes » (sic.) et « de la liberté des médias ».
Ton beaucoup plus positif d’Il Giornale, quotidien de droite réputé plutôt proche du parti de Berlusconi, qui parle d’un « voyage important » renforçant « l’axe entre l’Italie (en particulier la Ligue) et le monde du Groupe de Visegrád. Rome et les capitales d’Europe de l’Est sont des épines dans le flanc de l’Union européenne », continue le journal qui semble s’en réjouir. Outre l’annonce par Salvini, depuis Varsovie, d’un « nouveau printemps européen » qui a été reprise par de nombreux médias, Il Giornale souligne une déclaration du premier ministre polonais dans laquelle celui-ci donnait comme exemple des politiques discriminatoires de Bruxelles le traitement différencié des déficits budgétaires italien et français.
En Pologne
Côté polonais, où l’opposition libérale a profité de cette rencontre pour accentuer sa rhétorique d’un PiS qui chercherait sans le dire à provoquer un Polexit, le journal libéral-libertaire Gazeta Wyborcza estime que la perspective d’une « Internationale populiste tente Kaczyński ». Le journal soulignait le matin avant la rencontre, en intertitre, que le leader du PiS allait rencontrer « l’ami de Poutine », en estimant que cette rencontre prouvait que « le tournant pro-européen annoncé il y a peu par le premier ministre Morawiecki était un simple effet de communication. On ne peut pas en effet défendre l’Europe en fraternisant avec ses ennemis ». Pour l’auteur de Gazeta Wyborcza, il y a contradiction dans le fait que Kaczyński ait reçu il y a un an le secrétaire d’État américain Rex Tillerson pour parler de la présence militaire américaine en Pologne et qu’il reçoive « aujourd’hui Matteo Salvini, le chef du parti d’extrême droite Ligue du Nord, qui dirige le ministère de l’Intérieur italien ». « Il y a peu », explique plus loin le journal, « les politiciens du PiS s’offusquaient face à la moindre suggestion de leur possible collaboration avec le Front national français d’extrême droite. Aujourd’hui Kaczyński va écouter les propositions de l’Italien en vue de se retrouver côte à côte dans les rangs de l’internationale populiste ». Puis, en caractère gras : « Salvini fait en effet le tour de l’Europe à la recherche de volontaires pour faire exploser l’UE de l’intérieur. En arrière-plan ricanent Steve Bannon, l’ancien stratège diabolique de Donald Trump, et Poutine lui-même, tous deux hostiles à une Europe unie ». Gazeta Wyborcza, journal de référence de la plupart des médias français, soutenu financièrement par George Soros et par l’Union européenne, après son appel à l’aide lancé début 2017, n’a pas l’habitude de faire dans la dentelle.
Mais la Pologne a aussi ses journaux de droite, et leurs publications avaient bien entendu un ton nettement plus positif, telle la Une du 5 janvier du journal conservateur et pro-PiS Gazeta Polska codziennie consacrée la venue à Varsovie de Matteo Salvini. Le journal informait que c’est Salvini qui avait insisté pour rencontrer un Kaczyński au début réticent en raison de la sympathie de l’Italien et de son parti pour Poutine, tout en mettant en avant les convergences possibles en matière de politique européenne après les élections de mai, et en mettant en parallèle cette rencontre avec celle entre Salvini et Orbán en août dernier à Milan.
Et en France
En France, Le Monde évoquait le 10 janvier la visite de Salvini « à Varsovie pour y rencontrer, mercredi 9 janvier, les dirigeants du parti ultraconservateur au pouvoir, Droit et justice (PiS), et évoquer une grande alliance des droites radicales aux élections européennes de mai » et faisait le parallèle avec « Marine Le Pen réunissant, à Paris, des correspondants étrangers pour leur dire comment ‘’l’Europe peut changer, de l’intérieur et radicalement’’ », ce que les journalistes du Monde résumaient de la manière suivante : « Approches, manœuvres, infos et intox mais, en tout cas, certitude que l’extrême droite de l’échiquier européen compte bien tirer un avantage maximal d’une élection qui pourrait être marquée par une forte progression des populistes eurosceptiques. » Le ton n’était pas bien différent au Figaro dans les colonnes duquel il a été question d’une rencontre entre « Matteo Salvini, chef de file de la Ligue, parti d’extrême droite » et « Jaroslaw Kaczyński, chef de file du parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) » afin de former « un axe Rome-Varsovie » pour les élections européennes.
Même si l’article n’est pas signé on peut y voir la patte du correspondant à Rome Richard Heuzé, ardent supporter du grand remplacement et qui déteste Salvini. En France, pour lire des articles écrits sur un ton positif à propos de cette rencontre, il fallait aller chercher ailleurs que dans la grande presse.
En Allemagne
Même chose en Allemagne, où le Frankfurter Allgemeine Zeitung, en faisant remarquer que Salvini avait été reçu avec les plus grands honneurs et surtout qu’il était une des rares personnalités étrangères à avoir été convié par Jarosław Kaczyński au siège du PiS s’est inquiété du risque de voir surgir « un axe Rome-Varsovie » ou même « un axe polono-hungaro-italien ». Si le journal Die Welt a choisi d’insister sur ce qui sépare les deux hommes, il reconnaît comme possible l’objectif de Salvini d’avoir un bloc « populiste euro-critique » de 100 à 130 députés au prochain Parlement européen, ainsi qu’une Commission européenne peuplée de membres eux aussi « euro-critiques » envoyés par de gros pays comme la Pologne et l’Italie.
Après cette rencontre entre Matteo Salvini et Jarosław Kaczyński le 9 janvier dernier, les espoirs des uns sont les inquiétudes des autres. A chacun de se reconnaître et de s’identifier.