Première diffusion le 9 mai 2022
La campagne Zemmour, un cas d’école ? Les réseaux sociaux ont échoué à le faire élire, insuffisants face au rouleau compresseur politico-médiatique. Le numérique aura néanmoins été, littéralement, le nerf de sa guerre, lui permettant de financer son offensive. L’Ojim a voulu en savoir plus avec le “community manager” le plus détesté des médias mainstream : Samuel Lafont.
« J’avais la meilleure équipe, tous étaient très engagés, ils ne comptaient pas leurs heures. »
Au lendemain de la campagne électorale, Samuel Lafont, directeur numérique d’Éric Zemmour, ne lâche rien. Après la cinglante défaite du premier tour, notre interlocuteur en est persuadé : au moins, la bataille numérique aura été une victoire.
Avec 7 millions de mentions sur les réseaux sociaux à la fin de l’hiver selon France Inter/Visibrain, le candidat de la droite de la droite égalisait ainsi Emmanuel Macron. L’ex journaliste et le président sortant totalisaient à eux deux les deux tiers de l’attention des plateformes. Le Z laminait Marine Le Pen, quatre fois moins mentionnée… avant que celle-ci ne totalise trois fois plus de voix que lui.
7 millions de mentions sur les réseaux, 7% dans les urnes
Le paradoxe est ainsi gigantesque : omniprésent médiatiquement, surpuissant sur Internet, le journaliste devenu candidat n’aura atteint que le score famélique de 7,08%. Alors, Internet a‑t-il échoué à le faire élire ? Pour Samuel Lafont, les raisons de l’échec sont ailleurs. « Il faut voir l’état des forces », plaide-t-il avant de poursuivre: « le vote utile est une force en soi, et une force extrêmement puissante ». La crainte face à la montée de Jean-Luc Mélenchon aurait donc poussé la droite dans les bras de Marine Le Pen. Zemmour, quant à lui, a vu le conflit ukrainien lui exploser au visage à la veille du sprint final, poussant le vote bourgeois à retourner vers Emmanuel Macron.
Reste qu’avec 1.500 volontaires revendiqués dans son pôle numérique, Samuel Lafont était sans doute le responsable numérique le plus musclé de France. Mais ces derniers étaient aussi la face immergée de l’iceberg. Car les soutiens d’Éric Zemmour auront constamment créé le buzz. Hashtags, mais aussi jeux vidéo ou clips parodiques : de l’été 2021 à l’hiver 2022, le candidat est devenu un phénomène contre-culturel, élaboré spontanément. Au risque d’ailleurs de voir Éric échapper à Zemmour : mais ce choix stratégique était assumé. Dès sa rencontre avec son futur patron en février 2021, Samuel Lafont nous dit avoir plaidé pour laisser à tous les soutiens la possibilité de s’approprier le polémiste-candidat. En laissant aux internautes la possibilité de créer du contenu non officiel, Lafont assurait sa viralité. Une omniprésence numérique qui, par ricochet, ne pouvait que contribuer à l’omniprésence médiatique.
Internet, un champ de bataille favorable aux radicaux ?
De quoi donner bien des sueurs froides aux commentateurs de gauche. « Ce type de discours », dénonçait ainsi le sociologue Jen Schradie dans les colonnes de Libé, « s’adapte parfaitement aux réseaux sociaux qui favorisent les messages simples, provocateurs, haineux, en raison du fonctionnement des algorithmes ». « Ils deviennent rapidement viraux », ponctuait-il.
Plus techniquement, Le Monde dénonça « l’astroturfing » de Reconquête!. C’est-à-dire, selon les détracteurs du Z : donner l’impression qu’un message est spontané, provenant d’Internautes lambda, alors qu’il a été créé « de toutes pièces » par une marque… ou un parti. « Techniquement, les militants se synchronisent sur des réseaux tierces, comme par exemple Telegram ou Signal. Ils disent ‘veuillez tweeter ça’. Et ensuite, tout le réseau tweete la même chose », taclait sur France Inter le chercheur au CNRS Denis Chavalarias, légitimant son propos en invoquant une action contredisant « les termes d’utilisation de Twitter. » Bien sûr, en faisant monter un message, il devient possible de faire monter un candidat dans les « top trends » du réseau social. La promesse d’une démocratie participative sur Internet est-elle ainsi corrompue au quotidien ? De son côté, Samuel Lafont balaya les critiques, y voyant au micro de France Info « de la mobilisation militante ».
Attention : ne pas réduire le numérique aux réseaux sociaux !
Lafont est d’ailleurs un grand amateur de Twitter, en comparaison avec les plateformes plus récentes que sont Twitch ou Tiktok, où Jean-Luc Mélenchon dominait. Malgré les critiques à l’encontre du réseau à l’oiseau bleu, souvent perçu comme une bulle où journalistes et militants s’écharpent sans toucher l’opinion publique. « Je pense en termes d’efficacité », justifie-t-il : « Tik tok & Twitch apportent-ils des reprises presse ? Non ! Avec Twitter, pas toujours mais plus facilement ». Car si Tiktok ou Twitch peuvent permettre d’atteindre de nouvelles générations, « ce ne sont pas des réseaux initialement politiques ». « Pour l’instant, » tempère Lafont. Car même si les usages pourraient, selon lui, évoluer à moyen ou long terme,« Twitter reste central ». « On n’est pas obligé de toucher les gens directement explique-t-il : mon pari initial avec Twitter, c’est de faire des buzz, qui sont repris dans les médias ».
Et Samuel Lafont de se rappeler plusieurs succès : « on a réussi à dénoncer la censure ». « Des comptes de militants avaient été bloqués, mais ils ont été récupérés en poussant le hashtag #stopcensure. Et sur Instagram, le compte de Zemmour a été bloqué en août puis récupéré grâce à la mobilisation sur Twitter ». Des escarmouches numériques qui font sa fierté : l’espace d’un instant, il a fait plier les GAFA.
Bio Express : Samuel Lafont est né à Nîmes en 1988. Etudiant, il milite à l’UNI. Il se fera remarquer en 2013 sur les réseaux sociaux lors de la Manif’ Pour Tous. Diplômé de l’ESSEC, il crée le “média de mobilisation” Damoclès en 2017. Il fut un des premiers à rejoindre Éric Zemmour fin février 2021.
Reste que Samuel Lafont relativise lui-même les réseaux sociaux, qui ne représentent « qu’1/5ème » de ses activités de directeur numérique. « Il ne faut pas confondre la roue et la voiture ! » prévient-il ainsi.
Les cinq piliers numériques de Reconquête!
D’abord, le numérique peut transformer des internautes en militants : « le numérique a fortement contribué à construire la base militante ». Seul bémol : “tweeter et tracter le dimanche matin exigent des qualités pour le moins différentes. Qu’à cela ne tienne : avec Nation Builder, le logiciel d’organisation des campagnes électorales utilisé par les principaux candidats, les écuries politiques tentent de connecter le virtuel au terrain. « On a leur mail, ensuite leur adresse postale, et donc où ils sont, pour les mobiliser », résume Samuel Lafont.
Et le cadre d’Éric Zemmour de détailler les « cinq piliers » de son action numérique : d’abord, la « création massive de contenu, qu’il soit images ou vidéos, mais surtout images, car c’est plus rapide à créer ». « Pour exister, il faut exister visuellement », précise-t-il sur le ton de l’évidence. D’où la nuée de visuels « Z » qui occupèrent l’espace numérique. Vient ensuite, la « mobilisation sur les réseaux sociaux », par définition « impossible sans le contenu précédemment créé ». La « création et la gestion des sites internet » complète le dispositif, préparant la quatrième étape : celle de l’emailing massif, permettant des envois de 300.000 courriels en un clic, ouverts à 50% par les destinataires. Le cinquième pilier ? La « gestion des contacts ».
Le nerf de la guerre est numérique
Ce qui amène à l’utilité la plus cruciale du numérique : les financements. En appelant aux dons et à l’adhésion, celui-ci a rapporté à Reconquête! une santé financière à faire pâlir d’envie ses rivaux LR et RN. Alors même, d’ailleurs, que le parti naissant de Zemmour était, lui, dépourvu des élus locaux et nationaux qui assurent traditionnellement les revenus d’une formation politique en France.
Samuel Lafont n’en dira pas davantage de ce côté. Le parti revendique néanmoins 125.000 adhérents. L’adhésion moyenne s’élevant à 30€, la somme récoltée pourrait avoisiner 4 millions d’euros. Un enthousiasme militant entourant Zemmour, observable durant ses meetings, et qui se traduit financièrement. Un email adressé aux donateurs du parti affirme par ailleurs que « le fichier remis à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques représente 80 000 lignes, soit 40% du total de tous les partis. » Un tour de force inconcevable sans numérique.
Zemmour, guérilléro numérique vaincu dans l’affrontement conventionnel
Rien n’était pourtant gagné : avant de se lancer, Éric Zemmour n’avait même pas de compte Twitter. Ainsi a‑t-il fallu en créer sur toutes les plates formes. D’ailleurs, Marine Le Pen compte encore sept fois plus d’abonnés sur Twitter que Zemmour (2,8 millions contre 400.000), et le RN huit fois plus que Reconquête! (303.000 contre 36.000).
En définitive, le numérique seul ne saurait ouvrir à lui seul les portes de l’Elysée à un candidat aussi « antisystème » que Zemmour. L’outil viral n’en est pas moins vital. En fin de compte, peut-être le numérique est-il à la politique ce que la guérilla est à la guerre : capable d’éroder les armées les plus puissantes dans la jungle, mais insuffisant quand la guerre se fait conventionnelle. Quand la politique atteint l’élection présidentielle, les rapports de force diffèrent.