À l’occasion d’une « Masterclass », le Bondy Blog a reçu Samuel Laurent, journaliste au Monde et responsable de la rubrique « Les Décodeurs », qui s’est érigée en véritable Ministère de la Vérité. L’occasion pour le journaliste, qui a posé ses valises au quotidien du soir en 2010, d’expliquer à un jeune public en quoi sa méthode de « fact-checking » est efficace… et dépourvu de toute subjectivité. Vraiment ?
Le but des Décodeurs ? Officiellement : vérifier les rumeurs et les intox, ou encore la véracité des propos tenus par des personnages publics. La rubrique, lancée en 2014 sur le site du Monde, était à l’origine un blog lancé fin 2009 par Nabil Wakim, à l’époque journaliste au service politique du quotidien. En 2014 donc, « la direction a vu dans les Décodeurs un produit d’appel pour amener des lecteurs au journal mais par rapport à l’audience du monde.fr, on s’est rendu compte qu’on avait un public différent qui n’avait pas les mêmes connaissances », explique Samuel Laurent.
Aujourd’hui, c’est une rédaction à part entière, de 13 personnes, qui œuvre à cette « mission de data-journalisme. » Issu de l’école de journalisme de Grenoble, sa ville natale, Samuel Laurent voit bien l’enjeu de cet outil pour les mois à venir. D’après lui, l’élection de 2017 « va se jouer sur internet ». Ainsi les Décodeurs vont-ils tout faire pour influer sur les grandes tendances numériques… à leur manière.
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De l’information à la propagande
À écouter le journaliste, ancien du Figaro, l’objectif principal de la rubrique est d’« expliquer au public pour qu’il appréhende mieux ce qui se passe et lui donner des éléments de compréhension ». « On essaye de taper sur les idées reçues et d’interroger la production des chiffres par exemple », ajoute-t-il. Mais depuis janvier 2015 et l’attaque de Charlie Hebdo (suivie par d’autres attentats islamistes), sa mission a pris une autre tournure : démolir les nombreuses « théories du complot » : « Nous, journalistes, nous ne sommes plus les seuls à apporter de l’information. J’ai tendance à penser qu’il faut démonter une rumeur et en parler parce que les médias ne sont plus la principale source d’information », estime-t-il.
Le tout, évidemment, en étant « le plus neutre possible ». Et pour M. Laurent, cette qualité est garantie par le fait de « se concentrer sur les détails », sur les faits. Ainsi, pour 2017, l’équipe est en train de constituer « une base de données de sites hoax ». Mais quelle est la fiabilité de cette méthode, qui pose de nombreuses questions ? Sur quels critères juge-t-on qu’un site est un « site-hoax » ? La rubrique elle –même n’est elle pas une forme de site hoax ? Et, d’une manière plus générale, à partir de quel moment estime-t-on qu’une personne ment, se trompe ou dissimule la vérité ? Qui détiendra les clés du Ministère de la Vérité ? Qui décidera ce qui est un fait et ce qui est un faux ?
Il suffit de se pencher sur les articles du site pour se convaincre du caractère subjectif… de leur objectivité. À commencer par les thèmes abordés : la rédaction se tourne davantage vers certains domaines que vers d’autres. Si les journalistes sont très productifs concernant l’« extrême-droite », la droite, la « fachosphère » ou encore tout propos de nature populiste ou conservateur, elle l’est beaucoup moins au sujet de la gauche, de l’ultra-gauche et de toute idée libérale, progressiste ou libertaire.
Une fois les sujets des articles parcourus, on peut aussi se questionner sur les méthodes employées pour traiter chaque question. En février 2014, les Décodeurs dénoncent d’emblée les « élucubrations » d’Éric Zemmour. Sur le plateau d’i>Télé, le chroniqueur avait brandi un document pour pointer le partenariat entre l’Éducation Nationale et la « Ligne Azur », service téléphonique pour adolescents en quête d’orientation sexuelle. Or dans l’article du Monde, Samuel Laurent reconnaît que les affirmations du chroniqueur sont vraies. Le problème pour Samuel Laurent ? Le papier brandi par Zemmour à l’antenne était une capture d’écran du site Égalité & Réconciliation, dirigé par Alain Soral ! Juger le message en fonction du messager, un procédé bien curieux pour un site voulant se concentrer uniquement sur les « faits ».
Un autre exemple : celui de la sortie de l’euro. Pour traiter cette question ô combien complexe et sujette à débat, les Décodeurs n’ont rien trouvé de mieux que Maxime Vaudano, un jeune journaliste prétendant mettre d’accord les économistes… Évidemment, il était question de décrédibiliser et marginaliser les partisans d’une sortie de la zone euro. Mais l’auteur n’aura pas attendu longtemps avant de se voir corriger par l’économiste Jacques Sapir, pointant un article bourré d’erreurs « parfois si énormes, que l’on se demande s’il ne ressort pas d’une rubrique humoristique ».
Sans parler des nombreuses attaques de la rubrique contre la Manif pour Tous, dont Samuel Laurent a qualifié les arguments de « mauvais » (dès le titre). Pas vrais, pas faux, mais « mauvais » ! La moraline est là et l’honnêteté attendra, sauf à considérer qu’elle n’était pas attendue, à commencer par l’auteur lui-même qui, sur son compte Twitter, a posté à propos de cet article : « Je ne le dis pas souvent, mais là je suis plutôt content de ma petite enquête… » De même lorsqu’il qualifie (dans le titre toujours) les propos des opposants à la théorie du genre de « fantasmes ». Des faits, rien que des faits, qu’ils disaient…
Dans un registre quasi burlesque les Décodeurs raillaient le 9 septembre 2016 les « invraisemblables intox sur la santé d’Hillary Clinton » avant de rétropédaler deux jours plus tard… après le malaise de la candidate atteinte d’une pneumonie.
Bondy Blog, la banlieue parle aux bobos
Concernant le Bondy Blog, pour lequel il s’exprimait, le site communautaire affiche un pedigree guère plus reluisant. À l’origine, le site a été créé par le journaliste suisse Serge Michel en novembre 2005, avec pour objectif d’être « un média en ligne qui a pour objectif de raconter les quartiers populaires et de faire entendre leur voix dans le grand débat national. » Après plus de 10 ans d’existence, le constat est tout autre.
Le Bondy Blog se présente comme étant la voix des banlieues, mais avec un prisme non dissimulé qui vire souvent à la haine de la France. Avec une audience pourtant très réduite, le blog n’en demeure pas moins largement subventionné par des fonds publics, via l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances ou grâce à une prise en charge par certaines municipalités de gauche, mais aussi par des fonds privés, comme Yahoo! ou encore le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, PDG du groupe Fimalac. Voir l’infographie de Fimalac ici.
Voir aussi : [Dossier] « Bondy Blog – La banlieue parle aux bobos »
Il est étonnant de voir un site se présentant comme un adversaire des médias mainstream, accusés de véhiculer des idées caricaturales sur la banlieue, passer des partenariats avec certains d’entre eux, comme Libération (dont la rédaction est blanche comme un bidet) ou encore servir de couveuse à de jeunes « journalistes » destinés à aller, plus tard, remplir les quotas de « diversité » des grands médias.
Où les Frères apparaissent derrière le Bondy Blog
Enfin, d’un point de vue éditorial, le Bondy Blog se distingue particulièrement par sa défense acharnée de l’islam, parfois de l’islam radical avec ses revendications communautaires en toile de fond. Tout récemment encore, Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’École normale supérieure et professeur à Sciences-Po, était interrogé par des journalistes du blog. Ces derniers l’ont « accusé pendant tout l’entretien d’être islamophobe ! », s’est-il plaint. Et d’ajouter : « Ils ne parlaient jamais des attentats et uniquement de l’islamophobie : les femmes voilées traînées par terre, la société française islamophobe, etc. »
« J’ai compris depuis lors que le Bondy Blog avait été totalement repris en main par cette frange frériste qui a fait de l’ “islamophobie” son principal slogan. Pour les Frères Musulmans, dans la mouvance de Tariq Ramadan, comme pour Marwan Muhammad (le directeur exécutif du CCIF), il y a une volonté manifeste de mobiliser cette jeunesse musulmane en occultant le phénomène des attentats, en se refusant à le penser », a‑t-il poursuivi. De quoi expliquer beaucoup de choses…