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Samuel Laurent et le monstre Twitter

25 avril 2021

Temps de lecture : 4 minutes
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Samuel Laurent et le monstre Twitter

Temps de lecture : 4 minutes

Samuel Laurent, journaliste au Monde, est le co-fondateur des Décodeurs et du Decodex. Nous n’avons pas toujours été tendres avec lui ; eh bien son livre est excellent, passionnant, très informé, même si – les mauvaises habitudes sont les plus tenaces à perdre – le prisme libéral-libertaire reste parfois prégnant.

Une expérience traumatisante

Après une école de jour­nal­isme à Greno­ble, un emploi de pigiste puis de tit­u­laire au Figaro.fr, Samuel Lau­rent s’inscrit sur Twit­ter en 2008 juste avant de rejoin­dre Le Monde début 2010. Onze ans plus tard, après avoir frôlé le burn-out,  il n’utilise Twit­ter que comme source d’information mais plus comme vecteur d’échanges et de com­men­taires, sinon ponctuelle­ment. Que s’est-il passé ?

« Util­isa­teur ent­hou­si­aste jusqu’à l’addiction », enseignant l’usage de l’oiseau bleu aux étu­di­ants en jour­nal­isme, il « a été un petit jus­tici­er du réseau », puis en a été la vic­time. De la ren­con­tre à la rup­ture douloureuse.

Injures, menaces de mort et plus si affinités

L’univers que décrit Samuel Lau­rent est effrayant, les attaques ad hominem, les insultes, les men­aces. Depuis Nicole, la soix­an­taine dynamique qui lui souhaite qu’un décervelé s’attaque à ses enfants, jusqu’à Franck qui veut le « pen­dre et noy­er ses gamins ». En pas­sant par un mil­i­tant LREM qui le traite de « petit con merdeux ». Pourquoi tant de haine tout à fait con­damnable ? Sans doute la con­séquence du dip­tyque « indignation/notoriété », juste­ment iden­ti­fié par l’auteur. Lui-même pro­tag­o­niste, il a con­quis sa notoriété en pub­liant cent-vingt mille tweets en douze ans et près de 50 par jour dans la seule année 2013, un proces­sus don­nant une apparence (mais pas seule­ment) de « super­pou­voir » et « l’illusion facile de l’exhaustivité ». Revers de la médaille, comme quand on agite une bouteille, la lie remonte.

Tyrannie du jugement moral

Dans un excel­lent chapitre au titre éponyme, l’auteur analyse l’évolution de Twit­ter d’outil d’information par­fois rigo­lard vers une col­lec­tion de tra­vers moral­isa­teurs, sous forme d’injonctions. Le citoyen con­som­ma­teur utilise l’indignation per­for­ma­tive pour don­ner l’impression d’être dans le bon camp. Un mod­èle util­isé fréquem­ment dans les médias du monde libéral lib­er­taire, comme hélas égale­ment ailleurs. S’indigner, c’est exercer un droit auto­proclamé à mon­tr­er sa supéri­or­ité morale et infor­ma­tion­nelle, sous cou­vert de nar­cis­sisme. Samuel Lau­rent a rai­son de par­ler de « tyran­nie morale ».

Par­mi les dérives, l’auteur cite la lam­en­ta­ble affaire de la Ligue du LOL dont nous avons sou­vent par­lé. Un pétard mouil­lé qui a coûté leur place et par­fois leur san­té à des jour­nal­istes à la men­tal­ité d’adolescents ama­teurs de mau­vais­es blagues, trans­for­més par les #Mee­Too en mon­stres qua­si can­ni­bales et tor­tion­naires. Il cri­tique à demi le mou­ve­ment de can­cel cul­ture qui a entraîné le départ de la jour­nal­iste Bari Weiss du New York Times ou lorsque la chaine HBO annonce vouloir retir­er du cat­a­logue Autant en emporte le vent de Vic­tor Flem­ing pour « racisme ». Le film sera finale­ment main­tenu mais avec une men­tion moral­isatrice. Il y a bien d’autres exem­ples de la can­cel cul­ture améri­caine, pou­vons-nous ajouter.

Endorphines et éditorialisme

Twit­ter c’est comme une « décharge d’endorphines » et quit­ter l’oiseau bleu c’est « comme arrêter de fumer ». Le réseau devient tox­ique et « trans­forme les jour­nal­istes en édi­to­ri­al­istes et en com­men­ta­teurs ». Bien vu. Pas­sons sur quelques erreurs mineures comme attribuer la nais­sance de l’Ojim à un autre (Claude Chol­let fait la gri­mace) ou l’Observatoire du jour­nal­isme dépeint comme « sous des dehors tout-à-fait sérieux », ce qui sous-entend que le con­tenu est fan­tai­siste. Pas­sons aus­si sur « la théorie du genre n’existe pas », éclats de rires dans la salle garantis.

Bon con­stat de l’échec du Decodex, « une ten­ta­tive ratée ». Dom­mage de ne pas indi­quer (oubli ?) que l’outil a été financé par Google. Dom­mage de ne pas indi­quer les cen­sures de Jack Dorsey (le fon­da­teur de Twit­ter) aux États-Unis, rien sur les liens du ten­tac­u­laire IFCN (Inter­na­tion­al Fact Check­ing Net­work) et les finance­ments de George Soros. Mais d’utiles réflex­ions sur la remise en cause du jour­nal­isme, au moment où « Twit­ter a rem­placé le fil AFP ». À la ques­tion ultime : « Twit­ter peut-il / va-t-il / a‑t-il déjà tué la démoc­ra­tie ? Samuel Lau­rent ne répond pas, nous non plus, mais le dan­ger est là, on ne peut que remerci­er un ancien afi­ciona­do repen­ti de nous met­tre en garde. Un livre à méditer.

Samuel Lau­rent, J’ai vu naître le mon­stre, Twit­ter va-t-il tuer la #démoc­ra­tie ? Les arènes éd, 2021, 234p, 19 €

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