Le nom de Santiago Abascal n’est pas encore très connu en France. C’est pourtant lui qui avec son parti Vox a largement contribué à défaire le parti socialiste espagnol aux élections régionales en Andalousie, mettant fin à plusieurs décennies de domination du PSOE sur la région. Sa rencontre avec le leader du Pis (le parti polonais conservateur au pouvoir) n’est pas passée inaperçue de la presse en Espagne.
Points de vue de droite
Le titre du journal de droite ABC le 20 mars, jour de la visite à Varsovie de Santiago Abascal, leader du parti espagnol Vox, et de sa rencontre avec le leader du PiS Jarosław Kaczyński, semble d’emblée souligner qu’Abascal rejoint le camp des opposants européens au fédéralisme du président français Emmanuel Macron : « Abascal s’allie à Kaczyński pour freiner la ‘menace’ du modèle européen de Macron ».
Vox, c’est la force montante en Espagne. Les 11 % obtenus aux dernières élections régionales en Andalousie à la fin de l’année 2018, alors que le même parti avait fait seulement 0,2 % aux dernières élections législatives nationales, ont mis fin à l’exception espagnole dans une Europe en proie aux « populismes » de droite. Tous les sondages confirment que Vox devrait faire son entrée au Parlement national aux élections législatives anticipées du 28 avril 2019 et que, après les élections du 26 mai qui suivront, il enverra également pour la première fois quelques représentants au Parlement européen. Tenant un discours plutôt conservateur et centralisateur dans l’Espagne des autonomies régionales, et exprimant aussi des positions clairement anti-immigration et plutôt souverainistes au niveau de l’UE (qu’il souhaite réformer et non pas quitter ou détruire), ce parti suscite le même genre d’émotions en Espagne que le Rassemblement national en France, la Ligue en Italie ou l’AfD en Allemagne.
Les deux journaux de droite ABC et La Razón, restés plutôt favorables au Parti populaire (PP) malgré l’évolution de ce dernier vers un profil idéologique plus libéral-libertaire que libéral-conservateur sous les gouvernements de Mariano Rajoy, n’ont toutefois pas eu recours, à l’occasion de la visite d’Abascal à Varsovie, aux épithètes infamants utilisés par les médias de gauche lorsqu’ils parlent de ce type de mouvements. ABC indique qu’à l’approche des élections européenne, « Vox a déjà commencé à tisser ses premières alliances internationales » et il signale que Vox « drague » le PiS « depuis plusieurs mois ». Le journal cite ensuite les explications des leaders de Vox pour qui la réunion de Varsovie entre Abascal et Kaczyński s’est déroulée dans le but « commun de freiner le projet de modèle européen que prétend mettre en œuvre » Emmanuel Macron, dont les politiques sont considérées par les deux partis comme « une menace pour les nations européennes ». Pour ABC, la rencontre entre les dirigeants de Vox et plusieurs secrétaires d’État polonais ainsi que la réunion entre le dirigeant de Vox et celui du parti polonais Droit et Justice permet de croire que Vox rejoindra le groupe du PiS plutôt que celui du RN au prochain Parlement européen. Ce qui rapproche les deux partis, et ABC n’est pas le seul journal à le souligner, c’est aussi leur attachement aux valeurs chrétiennes et leur volonté de mettre fin à l’immigration illégale en Europe.
La Razón a choisi un titre positif pour son article relatant la visite de Santiago Abascal à Varsovie : « Abascal se réunit avec les dirigeants polonais à Varsovie où ils abordent l’avenir de l’UE et le contrôle de l’immigration illégale ». Avant d’écrire : « Avec cette visite, les gens d’Abascal commencent à jeter des ponts avec certains de ceux avec qui ils pourraient tomber d’accord à l’approche des élections européennes. Vox parie sur une réforme de l’Europe et ne croit pas à la dérive fédéraliste. Et il parie aussi sur une UE défendant ses frontières et ses racines chrétiennes. » Plus loin dans son article, le journal met en caractères gras un passage sur « le retour aux valeurs sur lesquelles s’est construit le concept d’Europe ».
Et de la gauche libérale
À l’inverse, le journal de gauche El País – qui occupe dans la presse espagnole une place et une posture équivalentes à celles du Monde dans la presse française – a abordé ce voyage d’Abascal en Pologne de manière totalement différente, avec en titre : « Abascal voyage en Pologne pour se réunir avec l’ultra-catholique Kaczyński ». Puis le journal explique que « Vox a initié il y a déjà plusieurs mois un rapprochement avec le parti ultra-catholique qui gouverne la Pologne ». El País fournit ensuite « l’information » suivante, chargée d’émotions négatives : « Vox n’a pas encore décidé avec lequel des groupes europhobes et de l’extrême droite européenne – la Française Le Pen, l’Italien Salvini, le Hongrois Orbán – il s’alliera, mais tous les indices pointent vers Justice et Droit [sic!], un parti avec lequel l’unit, en plus de la xénophobie et du nationalisme, l’ultra-catholicisme. » Dans la phrase suivante, El País explique alors à ses lecteurs que « Le parti de Kaczyński aura besoin des futurs eurodéputés de Vox pour former un groupe parlementaire au Parlement européen après le départ des conservateurs britanniques, avec lesquels il siège aujourd’hui ». Le journal ne précise pas si les conservateurs britanniques sont aussi des xénophobes, des nationalistes et des « ultra-catholiques » puisqu’ils sont dans le même groupe que leurs collègues du PiS. Pour ses lecteurs qui n’auraient pas bien compris le danger et la vraie nature de Santiago Abascal et de son parti Vox, El País explique toutefois que « Kaczyński contrôle à distance le gouvernement polonais que la Commission européenne menace de sanctionner en le privant de droit de vote dans l’UE pour avoir porté atteinte à la séparation des pouvoirs et sapé le système démocratique ».
Si donc les lecteurs des deux grands journaux de droite se sont vus servir plutôt des faits et des déclarations de personnes impliquées dans la rencontre de Varsovie, ceux du grand journal de gauche ont eu droit à une bonne dose de prêt-à-penser.
Les autres médias espagnols ont globalement suivi l’un de ces deux modèles en fonction de leur profil idéologique, avec certaines variantes sémantiques pour les expressions utilisées par les médias de gauche et les médias libéraux dans le but de discréditer Vox aux yeux des électeurs espagnols, comme dans le cas de la télévision Antena 3 qui parle du parti « ultranationaliste et catholique Droit et Justice » dirigé par Kaczyński ou le quotidien El Economista qui explique aux lecteurs peu avertis, juste en dessous d’un titre purement informatif, que « Le parti polonais Droit et Justice est considéré comme ultracatholique et conservateur ».
Précisons qu’en Pologne-même, rares sont les commentateurs, y compris dans les médias libéraux et de gauche, qui iraient jusqu’à qualifier le PiS d’« ultra-nationaliste » ou « ultra-catholique », ce parti se considère lui-même simplement comme conservateur et chrétien-démocrate