Nous avons entrepris de réaliser les portraits des 14 écoles de journalisme reconnues par l’État. Après l’ESJ Lille, la plus gauchiste, après le CFJ pas loin derrière, nous avons publié un article sur l’école de journalisme de Sciences Po, que nous complétons par un entretien avec un de ses élèves. Le prénom a été modifié.
Entretien avec François V., ancien étudiant en Master de Journalisme à Sciences Po
Pourquoi avoir choisi Sciences Po pour vos études de journalisme ? Quelle image aviez-vous de cette école avant de l’intégrer ?
Je suis rentré à Sciences Po dans l’objectif d’obtenir un sésame. On apprend peu dans les « grandes écoles », elles permettent surtout d’obtenir le label qui déverrouille les portes et de développer le réseau qui les force. J’ai choisi le master Journalisme par défaut, il me semblait simplement moins ennuyeux que les affaires publiques ou la finance & stratégie.
Les épreuves du concours d’entrée vous ont-elles parues « orientées » politiquement et idéologiquement ?
Ayant basculé d’un master à l’autre, je n’ai pas passé d’épreuves spécifiques pour intégrer le master journalisme. Cependant, les épreuves pour le concours général étaient naturellement très orientées : il y a des auteurs à connaître et citer, d’autres qu’il faut nécessairement critiquer. Le gentil Fukuyama contre le méchant Huntington. Il y a aussi ceux, comme Emmanuel Todd, qui passent du capitole à la roche Tarpéienne en un seul livre, quand ils critiquent l’Union Européenne, l’Islam ou les dérives woke.
Lorsque vous avez intégré cette école, s’est-elle révélée conforme à vos attentes, à l’idée que vous vous en faisiez ?
Tout est conforme à Sciences Po. Conforme, conformiste, rasoir. On y travaille plus qu’ailleurs, c’est peut-être ce qui m’a le plus surpris. On y travaille beaucoup en groupe. Il est difficile de se ménager du temps pour exercer son esprit critique. On baigne en permanence dans l’esprit bien-pensant, recroquevillé dans la ouate du politiquement correct, on se convainc d’être à la pointe du progrès et de l’ouverture au monde. Le premier cours de Gender Studies en France a été donné rue Saint-Guillaume. Ceux qui ne maîtrisent pas les références maison sont des béotiens, des fachos ou des abrutis. C’est aussi un temple de l’utilitarisme : tout est appris dans la perspective d’une employabilité prochaine.
Quel était le « profil » des étudiants de votre promotion ? Quels rapports avez-vous noués avec eux ?
Derrière une apparente diversité symbolisée par le recrutement en ZEP et le soutien aux élèves boursiers, il y a une effrayante homogénéité culturelle. Malgré les nombreux passe-droits (faux statuts de boursiers, « fils de » et contournement des parcours ZEP dont 40% viennent d’ailleurs de familles CSP+), il y a une diversité sociale plutôt appréciable si on la compare à celle des écoles de commerce. En revanche, c’est la même patine idéologique et culturelle et le mode de recrutement permet un presque sans faute de ce point de vue. Comme l’écrivait Céline : « c’est sur les surfaces les plus lisses qu’accroche le mieux la peinture ». Cette impression prend chair dans les votes blancs comme celui des alumni (2017, 5000 anciens consultés) qui donne 96% des suffrages à Macron contre MLP. Quand j’y étudiais en 2007, le vote anticipé des étudiants avait donné moins de 20% aux voix de droite (JMLP + Sarkozy+ Villiers) alors qu’ils frôlaient les 45% au national.
Du côté des professeurs et des intervenants, quel était également le « profil » de ceux-ci ? Certains vous ont-ils particulièrement marqué et si oui, pourquoi ?
Ma première déception à Sciences Po a justement concerné l’enseignement. Après des professeurs aussi humbles qu’exceptionnels en hypokhâgne et en khâgne, j’ai eu le sentiment de retourner au collège avec des profs dominateurs, sûrs d’eux-mêmes, et passablement ennuyeux. Je dois noter en revanche que les enseignements pratiques étaient nombreux et efficaces.
L’image de conformisme et de « gauchisme » sociétal qui colle à la plupart des écoles de journalisme, vous semble-t-elle justifiée, correspondre à la réalité de ce que vous avez vécu ? Avez-vous des exemples illustrant cette tendance ?
Les thématiques de certains cours et les résultats des consultations sont les meilleures preuves de l’écrasante influence de la gauche sociétale à Sciences po.
Voir aussi : Sciences-Po Journalisme : l’élite du conformisme
Ce qui est plus inquiétant est qu’elle est grandissante : de plus en plus d’étudiants de l’école se proclament de gauche… Ils étaient 71% à se réclamer de ce courant en 2016 contre 57% en 2002. La machine à recruter et à manipuler est de plus en plus efficace. L’une des grandes réussites de l’école est de promettre des clefs pour décrypter la fabrique du consentement à des étudiants qu’elle lobotomise parallèlement. Saupoudrez ensuite d’arrogance, gardez-les dans un milieu bien clos, et vous aurez une génération de cadres déconstructeurs, intolérants, nuisibles.
Est-il possible d’étudier « normalement » dans cette école sans partager l’idéologie qui la domine ? D’ailleurs, comment qualifierez-vous cette « idéologie » ?
Il n’est pas possible d’y étudier normalement sans en adopter l’idéologie. Soit on se rebelle, et l’on est paria. Soit on pratique l’évitement. J’ai séché tant que j’ai pu.
Je qualifierais l’idéologie dominante à Sciences Po de libéral-progressisme. Et la posture de ses étudiants est la lordose : la position sexuelle de nombreux mammifères femelles juste avant le coït, une position d’accueil passif, de soumission.
Le journalisme se veut, ou se prétend tout du moins, une activité « objective », impartiale et pluraliste. Considérez-vous que ce sont des valeurs et pratiques enseignées dans cette école ?
Il ne faut pas être manichéen : les techniques sont très bien enseignées, les principes de déontologie également, la méthodologie est solide, la somme de connaissances accumulées impressionnante. Mais il y manque l’humilité, ce « pouvoir d’attention » comme l’écrivait Simone Weil, et il y manque le discernement, ce qui fait que la faiblesse de ces futurs journalistes n’est pas d’avoir un système de pensée — c’est le cas de toute personne qui écrit — mais de croire qu’ils sont les seuls à échapper à un carcan idéologique. Pour un étudiant de Sciences-Po, la doxa, c’est les autres.
Au final, quel bilan global tirez-vous de votre formation ? Gardez-vous le souvenir d’un événement ou d’une anecdote en particulier ?
Je n’aime pas me souvenir de cette période qui a été aride sur le plan intellectuel et plus encore sur le plan amical. L’emprise de cette école est plus forte et durable qu’on l’imagine, et il faut du temps pour s’en dégager.