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Sciences Po journalisme, l’expérience vécue d’un élève

5 mai 2023

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | Sciences Po journalisme, l’expérience vécue d’un élève

Sciences Po journalisme, l’expérience vécue d’un élève

Temps de lecture : 6 minutes

Nous avons entrepris de réaliser les portraits des 14 écoles de journalisme reconnues par l’État. Après l’ESJ Lille, la plus gauchiste, après le CFJ pas loin derrière, nous avons publié un article sur l’école de journalisme de Sciences Po, que nous complétons par un entretien avec un de ses élèves. Le prénom a été modifié.

Entre­tien avec François V., ancien étu­di­ant en Mas­ter de Jour­nal­isme à Sci­ences Po

Pourquoi avoir choisi Sci­ences Po pour vos études de jour­nal­isme ? Quelle image aviez-vous de cette école avant de l’intégrer ?

Je suis ren­tré à Sci­ences Po dans l’objectif d’obtenir un sésame. On apprend peu dans les « grandes écoles », elles per­me­t­tent surtout d’obtenir le label qui déver­rouille les portes et de dévelop­per le réseau qui les force. J’ai choisi le mas­ter Jour­nal­isme par défaut, il me sem­blait sim­ple­ment moins ennuyeux que les affaires publiques ou la finance & stratégie.

Les épreuves du con­cours d’entrée vous ont-elles parues « ori­en­tées » poli­tique­ment et idéologiquement ?

Ayant bas­culé d’un mas­ter à l’autre, je n’ai pas passé d’épreuves spé­ci­fiques pour inté­gr­er le mas­ter jour­nal­isme. Cepen­dant, les épreuves pour le con­cours général étaient naturelle­ment très ori­en­tées : il y a des auteurs à con­naître et citer, d’autres qu’il faut néces­saire­ment cri­ti­quer. Le gen­til Fukuya­ma con­tre le méchant Hunt­ing­ton. Il y a aus­si ceux, comme Emmanuel Todd, qui passent du capi­tole à la roche Tarpéi­enne en un seul livre, quand ils cri­tiquent l’Union Européenne, l’Islam ou les dérives woke.

Lorsque vous avez inté­gré cette école, s’est-elle révélée con­forme à vos attentes, à l’idée que vous vous en faisiez ?

Tout est con­forme à Sci­ences Po. Con­forme, con­formiste, rasoir. On y tra­vaille plus qu’ailleurs, c’est peut-être ce qui m’a le plus sur­pris. On y tra­vaille beau­coup en groupe. Il est dif­fi­cile de se ménag­er du temps pour exercer son esprit cri­tique. On baigne en per­ma­nence dans l’esprit bien-pen­sant, recro­quevil­lé dans la ouate du poli­tique­ment cor­rect, on se con­va­inc d’être à la pointe du pro­grès et de l’ouverture au monde. Le pre­mier cours de Gen­der Stud­ies en France a été don­né rue Saint-Guil­laume. Ceux qui ne maîtrisent pas les références mai­son sont des béo­tiens, des fachos ou des abrutis. C’est aus­si un tem­ple de l’utilitarisme : tout est appris dans la per­spec­tive d’une employ­a­bil­ité prochaine.

Quel était le « pro­fil » des étu­di­ants de votre pro­mo­tion ? Quels rap­ports avez-vous noués avec eux ?

Der­rière une appar­ente diver­sité sym­bol­isée par le recrute­ment en ZEP et le sou­tien aux élèves bour­siers, il y a une effrayante homogénéité cul­turelle. Mal­gré les nom­breux passe-droits (faux statuts de bour­siers, « fils de » et con­tourne­ment des par­cours ZEP dont 40% vien­nent d’ailleurs de familles CSP+), il y a une diver­sité sociale plutôt appré­cia­ble si on la com­pare à celle des écoles de com­merce. En revanche, c’est la même patine idéologique et cul­turelle et le mode de recrute­ment per­met un presque sans faute de ce point de vue. Comme l’écrivait Céline : « c’est sur les sur­faces les plus liss­es qu’accroche le mieux la pein­ture ». Cette impres­sion prend chair dans les votes blancs comme celui des alum­ni (2017, 5000 anciens con­sultés) qui donne 96% des suf­frages à Macron con­tre MLP. Quand j’y étu­di­ais en 2007, le vote anticipé des étu­di­ants avait don­né moins de 20% aux voix de droite (JMLP + Sarkozy+ Vil­liers) alors qu’ils frôlaient les 45% au national.

Du côté des pro­fesseurs et des inter­venants, quel était égale­ment le « pro­fil » de ceux-ci ? Cer­tains vous ont-ils par­ti­c­ulière­ment mar­qué et si oui, pourquoi ?

Ma pre­mière décep­tion à Sci­ences Po a juste­ment con­cerné l’enseignement. Après des pro­fesseurs aus­si hum­bles qu’exceptionnels en hypokhâgne et en khâgne, j’ai eu le sen­ti­ment de retourn­er au col­lège avec des profs dom­i­na­teurs, sûrs d’eux-mêmes, et pass­able­ment ennuyeux. Je dois not­er en revanche que les enseigne­ments pra­tiques étaient nom­breux et efficaces.

L’image de con­formisme et de « gauchisme » socié­tal qui colle à la plu­part des écoles de jour­nal­isme, vous sem­ble-t-elle jus­ti­fiée, cor­re­spon­dre à la réal­ité de ce que vous avez vécu ? Avez-vous des exem­ples illus­trant cette tendance ?

Les thé­ma­tiques de cer­tains cours et les résul­tats des con­sul­ta­tions sont les meilleures preuves de l’écrasante influ­ence de la gauche socié­tale à Sci­ences po.

Voir aus­si : Sci­ences-Po Jour­nal­isme : l’élite du conformisme

Ce qui est plus inquié­tant est qu’elle est gran­dis­sante : de plus en plus d’étudiants de l’école se procla­ment de gauche… Ils étaient 71% à se réclamer de ce courant en 2016 con­tre 57% en 2002. La machine à recruter et à manip­uler est de plus en plus effi­cace. L’une des grandes réus­sites de l’école est de promet­tre des clefs pour décrypter la fab­rique du con­sen­te­ment à des étu­di­ants qu’elle lobot­o­mise par­al­lèle­ment. Saupoudrez ensuite d’arrogance, gardez-les dans un milieu bien clos, et vous aurez une généra­tion de cadres décon­struc­teurs, intolérants, nuisibles.

Est-il pos­si­ble d’étudier « nor­male­ment » dans cette école sans partager l’idéologie qui la domine ? D’ailleurs, com­ment qual­i­fierez-vous cette « idéologie » ?

Il n’est pas pos­si­ble d’y étudi­er nor­male­ment sans en adopter l’idéologie. Soit on se rebelle, et l’on est paria. Soit on pra­tique l’évitement. J’ai séché tant que j’ai pu.

Je qual­i­fierais l’idéologie dom­i­nante à Sci­ences Po de libéral-pro­gres­sisme. Et la pos­ture de ses étu­di­ants est la lor­dose : la posi­tion sex­uelle de nom­breux mam­mifères femelles juste avant le coït, une posi­tion d’accueil pas­sif, de soumission.

Le jour­nal­isme se veut, ou se pré­tend tout du moins, une activ­ité « objec­tive », impar­tiale et plu­ral­iste. Con­sid­érez-vous que ce sont des valeurs et pra­tiques enseignées dans cette école ?

Il ne faut pas être manichéen : les tech­niques sont très bien enseignées, les principes de déon­tolo­gie égale­ment, la méthodolo­gie est solide, la somme de con­nais­sances accu­mulées impres­sion­nante. Mais il y manque l’humilité, ce « pou­voir d’attention » comme l’écrivait Simone Weil, et il y manque le dis­cerne­ment, ce qui fait que la faib­lesse de ces futurs jour­nal­istes n’est pas d’avoir un sys­tème de pen­sée — c’est le cas de toute per­son­ne qui écrit — mais de croire qu’ils sont les seuls à échap­per à un car­can idéologique. Pour un étu­di­ant de Sci­ences-Po, la doxa, c’est les autres.

Au final, quel bilan glob­al tirez-vous de votre for­ma­tion ? Gardez-vous le sou­venir d’un événe­ment ou d’une anec­dote en particulier ?

Je n’aime pas me sou­venir de cette péri­ode qui a été aride sur le plan intel­lectuel et plus encore sur le plan ami­cal. L’emprise de cette école est plus forte et durable qu’on l’imagine, et il faut du temps pour s’en dégager.