Les patrons de presse du Sénégal sont fatigués. Ils ne savent plus quoi faire. Confrontés à des difficultés énormes sous le mutisme des nouvelles autorités sénégalaises, ils n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Enquête de notre nouveau correspondant en Afrique francophone, d’autres suivront sur d’autres pays.
La liberté de la presse menacée au Sénégal
Le Sénégal connu pour un pays les plus démocratiques d’Afrique, se voit aujourd’hui menacé ; car la presse vit un rouge total.
« L’objectif visé n’est autre que le contrôle de l’information et la domestication des acteurs des médias. C’est tout simplement la liberté de la presse qui est menacée au Sénégal » constate le conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal.
Face à cette situation, les nouvelles autorités bloquent les comptes bancaires des entreprises de presse en arrêtant aussi unilatéralement des contrats publicitaires, et gèlent des paiements.
Pour Maimouna Ndour Faye, directrice de la télévision 7tv, « les nouvelles autorités doivent se concerter avec nous », car, dit-elle, « la presse a besoin d’un climat favorable ». À l’en croire, « la presse sénégalaise ne peut pas continuer à être taxée de la même manière que les entreprises minières ou les industries commerciales par exemple, qui font beaucoup de rentes ».
N’appréciant guère le comportement des nouvelles autorités sénégalaises, les patrons de presse du Sénégal dénoncent catégoriquement la rupture illégale et unilatérale des contrats publicitaires. « Nous demandons aux autorités de revoir la stratégie mise en place actuellement, on ne peut plus faire des recouvrements au niveau des structures publiques et parapubliques. Il y a un gel des paiements concernant les créances dues aux entreprises de presse, toutes les voies ont été fermées, et nous autres entreprises de presse, ne pouvons pas continuer à supporter les charges et à faire face à nos obligations légales économiques » dit-elle.
De son côté, Alioune Tine, président d’Afrikajom Center, est d’avis que « les responsables d’entreprises de presse sont des citoyens sénégalais qui jouent un rôle stratégique dans la démocratie sénégalaise ». Selon lui, « s’ils ont besoin de parler au président de la République ou au Premier Ministre de leurs difficultés, ils doivent être reçus, écoutés, entendus pour trouver ensemble la solution la plus juste pour tout le monde ».
« La presse est un pilier essentiel dans tout système démocratique » reconnaît également Ababacar Fall, secrétaire général du groupe de recherche et d’appui conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec). Il a tenu à préciser que « l’origine de la crise, c’est le fisc ». À cet effet, il invite les entreprises de presse à s’acquitter de leurs impôts.
Reporters sans frontières crie au scandale
La situation des médias au Sénégal est préoccupante. « Bien que les difficultés de la presse sénégalaise ne datent pas de l’arrivée des nouvelles autorités, ces dernières ne peuvent rester insensibles à la chape de plomb qui pèse sur le secteur avec notamment 26 % de reporters dépourvus de contrats de travail, de lourdes dettes fiscales, et une crise de confiance entre les médias et le public.
RSF appelle les autorités sénégalaises à veiller à ce que cette crise « ne prive pas les Sénégalais d’une presse bouillonnante » explique Sadibou Marone, directeur du bureau Afrique Subsaharienne (RSF). Il se dit convaincu que « les médias sont les canaux de transmission du droit à l’information et les autorités en sont des garants ». À ce stade, il déclare « qu’il est important que l’État et les acteurs des médias se concertent pour trouver des solutions bénéfiques pour le secteur et pour la démocratie ». RSF retrouve ici son rôle, ce qui n’est pas le cas en France.
Les trois déficits : liberté de la presse, rentabilité et professionnalisation
Plus tôt que dans la plupart des autres pays africains, la presse s’est diversifiée au Sénégal concernant l’évolution générale des mass médias en Afrique. Au début de 2006, le marché était saturé, on ne dénombrait pas moins de 19 quotidiens et environ 50 hebdomadaires, mensuels et magazines. Généralement, ces journaux étaient édités par des entreprises de presse relativement professionnelles ; ils étaient les meilleurs sur le plan de la qualité et, ont réussi à créer un « label ». S’ajoutent aujourd’hui la naissance d’autres journaux y compris de nombreux sites d’informations.
Malgré cette pléthore de titres, le secteur traverse une crise grave : le pays toujours cité en référence connaît maintenant une dérive inquiétante avec des journalistes agressés, d’autres sont menacés dans l’exercice de leur mission. Si la presse écrite sénégalaise s’est démocratisée et pluralisée de façon remarquable, la liberté de la presse, la rentabilité et la professionnalisation insuffisante restent des handicaps majeurs.
Le nouveau président Bassirou Diomaye Diakhar Faye interpellé
Les nouvelles autorités sénégalaises doivent agir pour protéger ce secteur de la presse, symbole de la liberté d’expression et garant de la démocratie. N’oublions pas de mentionner que la première fonction de cette presse est de nous informer. Sans information, il est impossible de participer au débat public. Nombre de journalistes n’hésitent pas à prendre des risques et, même, dans le cas des correspondants ou reporters de guerre, prêts à donner leur vie, uniquement pour sauvegarder le droit du public à l’information.
La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux de nos systèmes démocratiques qui reposent sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Il incombe au gouvernement sénégalais de tout mettre en œuvre pour une presse libre au Sénégal.
Les médias constituent donc incontestablement non seulement un indispensable quatrième pouvoir face au monde politique, mais aussi un « liant » entre les citoyens. Ils sont à ce titre un élément constitutif de la démocratie.
M.G.,
Correspondant Afrique